Incroyants, encore un effort

12. MULTIPLICITE DES RELIGIONS

l’argumentation qui peut être utilisée contre les religions ? Il ne semble pas que ce soit le cas puisqu’il n’évoque pas vraiment les problèmes posés par leur multiplicité. Il effleure le sujet à deux reprises. Il montre les dangers que présente cette multiplicité en raison des conflits meurtriers qu’elle suscite mais il n’en tire pas argument pour mettre en doute leur véracité même, et pourtant...!
Existe-t-il un recensement de toutes les religions connues, petites ou grandes, qui se sont succédées à la surface de la planète ? Sont-elles des dizaines, des centaines ou plus ? En ajoutant les variantes, le nombre des religions est égal au nombre des croyants présents et passés. Chacun adapte en effet sa religion à ses propres besoins, chacun a sa casuistique personnelle. Les textes sacrés qui affirment tout et son contraire permettent de déjeuner ou de dîner à la carte. « Le destin, la grâce, la punition, le pardon, l’obéissance aux pouvoirs, la guerre, la paix, le capitalisme, le communisme, tout s’y trouve, en un mélange où la pensée commune reconnaît à peu près son image » (Alain).
Si les religions sont considérées comme des pansements analgésiques appliqués sur les plaies de la société, il peut y avoir sans inconvénients plusieurs marques de pansements, mais qu’en est-il quand le souci est celui de la vérité ? Les diverses traditions religieuses se présentent toutes en effet comme seules détentrices d’une vérité unique, suprême et indépassable. Seul le bouddhisme fait exception puisque le Dallai Lama recommande à chacun de rester fidèle à la religion dans laquelle il a été élevé, toutes les religions ayant pour but selon lui d’éloigner la souffrance et de se rapprocher du bonheur, de ramener à l’équilibre en quelque sorte l’aiguille du « satisfactionomètre ». Atteignent-elles leur but ? C’est une autre question. Dans le meilleur des cas elles sont équivalentes à l’antique sagesse selon laquelle il faut faire de son mieux pour améliorer les choses et accepter l’inévitable avec sérénité. Les bouddhistes paraissent prêts à admettre que les divinités n’existent que dans l’esprit de ceux qui les évoquent. On ne voit pas très bien dés lors ce qui différencie ces divinités de simples concepts destinés à imager des explications. Ce point de vue en tout cas relativise toutes les religions et en diminue singulièrement la portée en les réduisant à des activités culturelles à but thérapeutique. Les autres religions se condamnent et s’excluent mutuellement. Pour mettre les choses au mieux, une seule peut se prévaloir de détenir la vérité. Imagine-t-on un tribunal cherchant à écarter l’imposture, où chaque religion viendrait à son tour soutenir qu’elle est la seule véritable, contre toutes les autres également représentées ? En invoquant des textes uniquement préoccupés de faire la promotion de mythes concoctés par de jeunes barbus épris de pureté et rêvant de refaire le monde, transmis, interprétés et modifiés sous le contrôle exclusif de zélateurs ayant tout loisir de trier les témoignages et de détruire les preuves contraires, pleins d’invraisemblances et de contradictions, sans aucun témoignage indépendant, sans aucune espèce de preuve historique digne de ce nom ? Ce serait à mourir de rire. Autant vaudrait comparer d’après leurs dépliants publicitaires des produits concurrents dont les caractéristiques et les performances, probablement imaginaires, seraient impossibles à vérifier ! Est-il possible que rien n’ait été rapporté à Rome par la voie hiérarchique, dans cet empire si bien organisé, des exploits extraordinaires d’un dénommé Jésus ? Un homme capable de multiplier les pains, de changer l’eau en vin et d’effectuer des pêches miraculeuses aurait été précieux pour l’approvisionnement des légions romaines ! Sans même parler des dons qu’il avait de marcher sur les eaux, de guérir les malades et de ressusciter les morts ! Comment se fait-il qu’aucun des nombreux spectateurs de ces exploits extraordinaires ne soit venu témoigner au procès de celui qui les avait accomplis ? La vision d’un reportage fait par des extra terrestres sur la vie de Jésus, à supposer que quelqu’un lui ressemblant vaguement ait véritablement existé, réserverait bien des surprises ! Certains ont imaginé un solide gaillard aimant la vie, le vin et les femmes. Pourrait-il du reste avoir été véritablement homme sans aimer tout cela ? Pour justifier la véracité unique de la foi chrétienne Pascal embarrassé utilise l’argument de prophéties qui auraient été confirmées par l’histoire. Est-ce bien sérieux quand prophéties et événements censés les confirmer ont été fabriqués simultanément par les rédacteurs des livres sacrés ?
Qu’en serait-il par ailleurs des religions tombées en désuétude ? Seraient-elles représentées devant ce tribunal ? Que sont devenus les dieux qui ont cessé de plaire ? Ont-ils perdu tout pouvoir, eux que leurs fidèles ont loués et implorés pendant des siècles voire des millénaires ? Ces fidèles furent-ils moins sincères ou moins convaincus que les croyants d’aujourd’hui ? A l’heure qu’il est Jupiter, Quetzalcóatl et tous les autres jouent-ils aux boules sous les platanes élyséens, comme de paisibles retraités ? Trouveraient-ils des avocats pour les défendre, et qui les paierait ? Il est néanmoins permis de penser que certains avocats se verraient volontiers commis d’office pour défendre Vénus et Bacchus, et qu’ils ne manqueraient pas d’arguments auxquels même des incroyants pourraient être sensibles !
Les tentatives de rapprochement entre religions s’apparentent aux accords et fusions que recherchent les entreprises en difficulté, mais deux estropiés ne font pas un individu sain. L’Eglise Catholique qui se dit instituée par Dieu et investie par lui d’une mission impérative ne peut considérer les autres religions que comme des impostures soutenues par des esprits fourvoyés, si toutefois elle reste fidèle à sa doctrine. Si d’aventure deux religions d’origines distinctes peuvent se retrouver, c’est uniquement sur le terrain de la morale naturelle dont parle Diderot. Car ce qui paraît orthodoxe aux uns ne paraît pas très catholique aux autres, et vice-versa. D’un dialogue avec un scientifique le professionnel du divin espère récupérer un peu du prestige qui s’attache à la science. On ne voit pas par contre ce qu’un scientifique peut retirer d’un tel dialogue, à moins qu’il ne soit lui-même spécialiste des questions religieuses. La science s’occupe du monde réel accessible aux sens et à l’expérience. Les religions postulent des mondes fantastiques qui ne sont pas accessibles de façon démontrable aux sens et à l’expérience. Aucun dialogue touchant à l’essentiel n’est donc possible entre science et religions, et pas davantage entre religions différentes. Aussi bien toutes les réunions œcuméniques ne peuvent-elles être qu’une suite de monologues polis et aboutir au mieux à des délimitations de zones d’influence, des pactes de non-agression ou des ententes pour la défense d’intérêts corporatistes car, bien que concurrentes, les différentes religions s’attaquent au même marché. La pression pour qu’elles fusionnent n’est pas encore suffisante. En fait, dans la plupart des dialogues interreligieux, chaque partie utilise l’autre comme outil pour enraciner un peu plus sa propre foi. Chaque partie est bien convaincue qu’il n’existe qu’une seule foi véridique et, comme par hasard, c’est la sienne. Ce préjugé ne peut être soutenu valablement qu’avec les poings.
Tout croyant sincère est amoureux de sa croyance. Il n’en voit que les beautés et les perfections. Il ne lui vient pas à l’esprit que, né dans une autre contrée ou à une autre époque, d’autres beautés l’auraient séduit ; qu’il a adopté la croyance locale comme il a adopté le costume régional, pour ne pas se singulariser. Il existe en effet, au-delà de l’apparente diversité, une grande similitude entre les différentes religions quels que soient le lieu et l’époque considérés. Elles ont toutes des prescriptions morales comparables, la punition des méchants et la récompense des justes, des êtres divins hiérarchisés, des esprits bienfaisants et des esprits malfaisants, des saints et des démons, des miracles et des cataclysmes, des mythes concernant la genèse et la fin du monde, des lieux saints, des temples, des prêtres, des moines , des ermites, des prêches, des gestes et des objets rituels, des reliques, des initiations, des ablutions, des immersions, des onctions, des fumigations, des illuminations, des génuflexions, des prosternations, des méditations, des oraisons à voix haute et à voix basse, des adorations, des prostrations, des processions, des transes, des offrandes, des sacrifices, des nourritures sacrées, des interdits alimentaires et sexuels, des envoutements et des exorcismes, des psalmodies, des chants, des musiques, des cortèges, des pèlerinages, un calendrier, des cérémonies ordinaires et des cérémonies extraordinaires accompagnant les grands évènements de la vie… Considérez les civilisations qui s’épanouissaient des deux côtés de l’Atlantique avant le voyage de Christophe Colomb. Ces civilisations étaient sans relations depuis des dizaines de milliers d’années. Pourtant, de part et d’autre de ce vaste océan, les pierres des monuments s’y disposaient selon les mêmes lois dictées par la pesanteur et les pensées religieuses s’y ordonnaient selon les mêmes lois propres à l’esprit humain. Cet exemple montre bien que toutes les religions s’enracinent dans le même inconscient collectif et qu’il s’agit d’œuvres humaines, exclusivement humaines, très probablement.
Il ne paraît pas particulièrement raisonnable d’adopter sans précautions ces constructions intellectuelles antérieures à l’apparition de la science, alors que la science est évidemment le seul mode de connaissance fiable. Un esprit rationnel, rationaliste diront certains, considère à cet égard un croyant avec un étonnement qui est sans doute réciproque. Comme chacun peut s’en rendre compte tous les jours, l’esprit humain, dans sa quête de la vérité, est beaucoup trop faible pour se passer de l’expérimentation, c’est à dire de la confrontation des conséquences tirées des hypothèses envisagées avec la réalité observée. Toute autre démarche est présomptueuse et vouée d’avance à l’échec. Les disputes scolastiques sur le sexe des anges, sur la grâce suffisante, ou sur l’existence même d’un Dieu qu’on ne sait pas définir sont des logorrhées sans intérêt, faute de faits susceptibles de vérification. Toute religion est impie qui prétend enseigner ce qu’elle ignore ! Les véritables lieux de culte sont les centres de recherche et les observatoires, car la réalité dévoilée par la science est beaucoup plus étendue, multiple, diverse, complexe et étonnante que tout ce que les traditions religieuses ont pu imaginer à son sujet. C’est en ces lieux que l’esprit curieux peut s’émerveiller de l’élégance des lois universelles, de leurs prodigieuses conséquences et de l’ingéniosité de leur éventuel auteur. La science est seule capable de faire l’accord de tous les hommes car elle se règle sur la nature qui est une et immuable, et non sur les fantaisies multiples et changeantes de quelques-uns. Elle seule est capable de fonder l’éthique sur des bases solides. L’Ethique qu’elle permet de dégager de façon idéalement univoque par prise en considération objective de l’épanouissement des espèces vivantes est tout le contraire du relativisme. Au contraire la multiplicité des religions conduit tout droit au relativisme si on considère toutes ces religions, et pourquoi ne pas le faire, comme équivalentes. Chacune d’entre elles prétend être la seule à parler au nom de Dieu. Quelle foutaise ! Non seulement les religions ne sont pas d’accord entre elles, mais de plus leurs différentes doctrines respectives ont varié au cours du temps, et dans un même temps, l’avis des différents représentants d’une même doctrine a rarement été unanime et ceux qui s’en réclamaient ne l’ont pas toujours suivie. N’était-ce pas l’idée même de Diderot?
Voilà, me semble-t-il ce que peut dire le bon sens dans un domaine où il n’est pas forcément le bienvenu. Je crois entendre d’ici les malins s’esclaffer : « il faut donc que vous croyiez un peu à toutes ces choses-là pour que vous éprouviez le besoin d’en disputer. Nous, nous savons ce qu’il en est depuis longtemps, mais nous préférons nous taire et utiliser ce levier pour agir sur les âmes simples».

Norbert Croûton
Rédigé par Norbert Croûton le 24/11/2006 à 00:24