Incroyants, encore un effort

6. AVANTAGES, INCONVENIENTS ET ORIGINE DES RELIGIONS

La Maréchale. - A la bonne heure ; mais quel inconvénient y aurait-il à avoir une raison de plus, la religion, pour faire le bien, et une raison de moins, l'incrédulité, pour mal faire.
Crudeli. - Aucun, si la religion était un motif de faire le bien, et l'incrédulité un moyen de faire le mal.
La Maréchale. - Est-ce qu'il y a quelque doute là-dessus ? Est-ce que l'esprit de religion n'est pas de contrarier cette vilaine nature corrompue, et celui de l'incrédulité, de l'abandonner à sa malice, en l'affranchissant de la crainte ?
Crudeli. - Ceci, madame la maréchale, va nous jeter dans une longue discussion ;
La Maréchale. - Qu'est-ce que cela fait ? Le maréchal ne rentrera pas sitôt ; et il vaut mieux que nous parlions raison, que de médire de notre prochain.
Crudeli. - Il faudra que je reprenne les choses d'un peu plus haut.
La Maréchale. - De si haut que vous voudrez, pourvu que je vous entende.
Crudeli. - Si vous ne m'entendiez pas, ce serait bien ma faute.
La Maréchale. - Cela est poli ; mais il faut que vous sachiez que je n'ai jamais lu que mes Heures, et que je ne suis guère occupée qu'à pratiquer l'Évangile et à faire des enfants.
Crudeli. - Ce sont deux devoirs dont vous vous êtes bien acquittée.
La Maréchale. - Oui, pour les enfants. J'en ai six tout venus et un septième qui frappe à la porte ; mais commencez.
Crudeli. - Madame la maréchale, y a-t-il quelque bien, dans ce monde-ci, qui soit sans inconvénient ?
La Maréchale. - Aucun.
Crudeli. - Et quelque mal qui soit sans avantage ?
La Maréchale. - Aucun.
Crudeli. - Qu'appelez-vous donc mal ou bien ?
La Maréchale. - Le mal, ce sera ce qui a le plus d'inconvénients que d'avantages ; et le bien, au contraire, ce qui a plus d'avantages que d'inconvénients.
Crudeli. - Madame la maréchale aura-t-elle la bonté de se souvenir de sa définition du bien et du mal ?
La Maréchale. - Je m'en souviendrai. Appelez-vous cela une définition ?
Crudeli. - Oui.
La Maréchale. - C'est donc de la philosophie ?
Crudeli. - Excellente.
La Maréchale. - Et j'ai fait de la philosophie !
Crudeli. - Ainsi, vous êtes persuadée que la religion a plus d'avantages que d'inconvénients ; et c'est pour cela que vous l'appelez un bien ?
La Maréchale. - Oui.
Crudeli. - Pour moi, je ne doute point que votre intendant ne vous vole un peu moins la veille de Pâques que le lendemain des fêtes, et que de temps en temps la religion n'empêche nombre de petits maux et ne produise nombre de petits biens.
La Maréchale. - Petit à petit, cela fait somme.
Crudeli. - Mais croyez-vous que les terribles ravages qu'elle a causés dans les temps passés, et qu'elle causera dans les temps à venir, soient suffisamment compensés par ces guenilleux avantages-là ? Songez qu'elle a créé et qu'elle perpétue la plus violente antipathie entre les nations. Il n'y a pas un musulman qui n'imaginât faire une action agréable à Dieu et au saint Prophète, en exterminant tous les chrétiens, qui, de leur côté, ne sont guère plus tolérants. Songez qu'elle a créé et qu'elle perpétue, dans la même contrée, des divisions qui se sont rarement éteintes sans effusion de sang. Notre histoire ne nous en offre que de trop récents et de trop funestes exemples. Songez qu'elle a créé et qu'elle perpétue, dans la société entre les citoyens, et dans la famille entre les proches, les haines les plus fortes et les plus constantes. Le Christ a dit qu'il était venu pour séparer l'époux de la femme, la mère de ses enfants, le frère de la sœur, l'ami de l'ami ; et sa prédiction ne s'est que trop fidèlement accomplie.
La Maréchale. - Voilà bien les abus ; mais ce n'est pas la chose.
Crudeli. - C'est la chose, si les abus en sont inséparables.

La Maréchale et le philosophe viennent d’exprimer leurs points de vue respectifs sur les avantages et les inconvénients des religions. Pour la Maréchale, elles sont garantes de la moralité publique et produisent nombre de petits biens qui à la fin font somme. Pour le philosophe elles entraînent à cause de leurs conflits des drames effroyables, entre les nations comme dans les familles. Le croyant se sent agressé par une croyance différente de la sienne, ou par l’incroyance, et réagit d’autant plus violemment qu’il n’est pas vraiment en mesure de justifier son parti-pris. Quand il a fini d’épuiser ses mauvaises raisons, il en vient facilement à la colère, ayant le sentiment qu’on refuse de l’écouter et de le comprendre. Ces querelles sont du même ordre que les querelles politiques : c’est intuition contre intuition, préjugé contre préjugé. Cependant, la Maréchale et le philosophe ne se sont pas interrogés sur l’origine des religions. Essayons de réparer cet oubli.
Qu'est-ce qui peut bien expliquer la fortune de l’idée religieuse, présente en tous lieux et à toutes les époques ? La réponse usuelle est que l’homme est un animal religieux. Il est vrai que l’homme a tout adoré, le soleil, la lune, la vache, le taureau et jusqu’à l’escargot. Encore aujourd’hui, si vous vous amusez à comparer les prévisions de différents horoscopes avec ce qui advient véritablement, vous en conclurez que de telles prévisions sont invendables puis, renseignements pris, que la crédulité n’a pas de limites. L’homme est ainsi fait qu’une affirmation douteuse est plus facile à lui vendre qu’une bonne question. Il est tellement avide d’explications qu’un mythe improbable sera toujours mieux accepté qu’un aveu d’ignorance. On peut en conclure que son ennemi le plus redoutable, c’est l’indécision, d’où les présages et les augures chargés de les interpréter. Les augures avaient souvent recours en matière de présage au vol des oiseaux, sans doute parce qu’un oiseau qui s’envole avertit le chasseur de l’approche d’un danger et, sans doute aussi, parce qu’ils ont la vue perçante et qu’ils sont capables de parcourir de longues distances sans s’égarer. Dans les temps anciens deux augures qui se rencontraient étaient obligés dit-on de se cacher pour rire à leur aise. Et quand deux cardinaux aujourd’hui se rencontrent ? Des personnes aussi intelligentes peuvent-elles ignorer le doute, même si elles n’ont aucun doute sur la grandeur de leur fonction ? Les astrologues, les gourous fondateurs de sectes, les hommes d’église couvrant sciemment des supercheries, les publicitaires sans scrupules, les organisateurs de jeux de hasard, les escrocs et les démagogues exploitent sans vergogne le filon jamais épuisé de la crédulité humaine. Celui qui se voit déjà riche à millions achète un billet de loterie. Il y a des religions parce que la crédulité et le désir d’échapper à la dure réalité créent un marché pour les idées religieuses.
Pour essayer d’aller plus loin, il faut observer tout d’abord que les hommes occupent dans la nature un domaine restreint où s’exercent leurs activités quotidiennes, où le comportement immédiat de ce qui les entoure est dans une large mesure prévisible. Aux frontières de ce domaine se tiennent trois types de personnages :
- Les hommes de science qui travaillent à agrandir le domaine
- Les philosophes qui, regardant par-dessus l’épaule des savants, font l’inventaire des territoires récemment conquis, essaient d’en extraire une sagesse utile et tentent de deviner ce qui peut se situer encore au-delà. N’ayant pas comme les savants « le nez dans le guidon », ils sont éventuellement mieux à même de tirer parti de ces nouveaux territoires
- Les hommes de religion qui se font les propagateurs de diverses traditions mythiques décrivant ce qui est censé exister au-delà de la frontière. Ce sont eux qui déroulent devant leurs fidèles des toiles sur lesquelles ils ont peint les paysages lointains et embrumés imaginés par leurs traditions. Protégés de l’angoisse de l’inconnu par ces rideaux aux couleurs apaisantes (les enfers sont cachés opportunément aujourd’hui par un pli du rideau), les hommes peuvent vaquer tranquillement à leurs occupations.
Les religions auraient donc d’abord un intérêt utilitaire en dissuadant les hommes de perdre leur temps à ratiociner sur ce qui se situe en dehors de leur domaine normal d’activité et en les invitant à se concentrer ce sur quoi ils peuvent effectivement agir. Elles les aideraient également à prendre des risques en leur fournissant une sorte d’assurance tous risques sur l’éternité. Elles seraient un refuge pour les individus qui se sentent mal à l’aise dans un monde gouverné par la science et la technologie.
« Est-il en notre temps
Rien de plus odieux
De plus désespérant
Que de n’pas croire en Dieu »
(Brassens)
Dans les situations désespérées elles offriraient le refuge de l’imaginaire, d’où le réveil de la foi dans ces circonstances. Entre les pattes du lion la gazelle doit recommander son âme au dieu des gazelles. Croire qu’il est encore possible de faire quelque chose lorsqu’il n’y a plus rien à faire permet d’alléger quelque peu une angoisse bien compréhensible. L’homme emprisonné dans sa condition mortelle comme une guêpe dans un bocal est prêt à suivre quiconque se flatte de connaître la sortie. Il est possible que la croyance en un au-delà soit pour certains la seule façon de rendre tolérable la perspective de leur inéluctable disparition. Les amours contrariées ne suscitent-elles pas spontanément le désir d’une éternité compensatoire ? Les religions fourniraient par ailleurs aux hommes un horizon commun et des valeurs communes contribuant ainsi à la cohésion sociale. La religion est d’après l’étymologie ce qui relie les hommes entre eux, et pour les relier, il faut d’abord les rallier. D’où la nécessité, pour des raisons pratiques, d’appliquer l’adage à chaque région sa religion “ cujus regio, ejus religio ”. Le bon sens ne trouve pas son compte dans cette régionalisation de la vérité. La paix non plus. Certains vont même jusqu’à considérer que les religions sont des fictions commodes destinées à faire en sorte que le bon peuple se tienne tranquille, c’est le fameux « opium du peuple ». Le pouvoir politique protègerait la religion qui renverrait l’ascenseur en rassurant le peuple sur ses fins dernières et en prêchant la soumission. Aujourd’hui on vous dore la pilule. Demain, on vous rasera gratis ! Politiciens et religieux seraient complices du même mensonge, et comme ce mensonge est animé des meilleures intentions, ces deux corporations le ressentiraient comme un pieux mensonge.
« Vous recevrez des coups de pied au cul
Vous ferez des heures supplémentaires
Qui vous seront comptées dans le royaume de mon Père »
(Jacques Prévert, Paroles)
Si la religion chrétienne a été instrumentalisée par certains des princes qui nous ont gouvernés, il est douteux cependant que ceci explique complètement sa création et sa réussite.
Les hommes d’église se présentent comme des pasteurs, des bergers. C’est dire dans quelle estime ils tiennent le troupeau de leurs fidèles, et on sait bien quel est le sort final réservé aux moutons : au mieux la tonte, au pis l’abattoir ! Les hommes d’église ne sont pas d’ailleurs les bergers qu’ils prétendent être mais plutôt les chiens de berger de celui qui conduit effectivement le troupeau. Quand le premier des citoyens prête serment sur un livre sacré, ce n’est pas l’homme d’état qui est sacralisé, c’est le Livre !
Il faut également reconnaître que les rites auxquels sont assujettis les fidèles présentent des vertus que l’on peut dire paramédicales. Ce n’est pas une allure naturelle que de tendre le poing lorsqu’on est à genoux, ni de crier lorsqu’on a les mains jointes. L’immobilité forcée et les chants liturgiques apaisent les passions. A un aumônier militaire qui, profitant de circonstances particulières, essayait de ranimer la flamme de ma croyance défunte, je fis la réflexion que ses paroles faisaient une bien jolie musique. Sur quoi, citant les propos d’un Père de l’Eglise dont j’ai oublié le nom, il me répondit qu’il ne fallait pas avoir peur de la musique… Des gosiers incertains, se calant les uns sur les autres et se synchronisant, produisent un beau chant et font prendre conscience aux fidèles de l’intérêt d’appartenir à une même communauté. J’envie les croyants qui ont, comme la Maréchale, le privilège inouï de pouvoir s’entretenir en particulier et sans rendez-vous avec le Grand Patron de l’Univers. Il doit être particulièrement gratifiant de pouvoir lui raconter toutes ses petites affaires, toutes ses petites misères, toutes ses petites joies, toutes ses petites ambitions, de trouver chez lui une oreille attentive et d’obtenir son intervention. Joie ! Joie ! Pleurs de joie ! disait Blaise Pascal. Le même se disait effrayé par le silence des espaces infinis, faisant ainsi bon marché des propos du sage antique selon lesquels une pinte d’eau suffit à se noyer. Les croyants se font-ils cependant une juste idée de leur place dans le cosmos ? Ne craignent-ils pas que ce dialogue avec la puissance suprême ne soit qu’un monologue déguisé, une sorte d’autoanalyse, peut-être un traitement contre la déprime ? Peu importe au fond me direz-vous si cet exercice les aide à vivre. C’est toujours beaucoup moins cher qu’un passage sur le divan. Prier est également une façon de garder bonne conscience sans trop d’efforts. Prier pour que la pluie tombe est moins fatigant que de creuser un puits, un canal d’irrigation ou un bisse. Prier pour la paix est moins dangereux que de séparer les belligérants. L’ermite au cœur des montagnes ou du désert fuit ses contemporains et ne prie que pour lui-même. Si les prières peuvent être bénéfiques pour celui qui prie en lui apportant la paix de l’âme, elles ne semblent pas l’être pour ceux pour lesquels on prie. Des expériences récentes ont montré que les prières sont sans aucun effet, positif ou négatif, sur les malades lorsque ceux-ci ne sont pas tenus au courant des prières dites à leur intention - ce qui ne surprendra pas les mécréants et peut aussi s’interpréter comme un silence vexé de la divinité. Ce qui est plus inattendu, c’est que ces prières ont un impact négatif lorsque les malades en question ont été informés du fait qu’on priait pour eux ! L’explication fournie par les auteurs de l’étude est que cette information aurait déclenché chez eux une anxiété pathogène ! Ils ne se croyaient pas malades au point qu’on soit obligé de dire des prières pour leur guérison ! Les bouddhistes apprennent à atteindre l’ “ éveil ”, c’est à dire à être conscients sans aucune pensée discursive ou négative, exercice particulièrement difficile et qui réclame un long apprentissage. Ils en retirent un bénéfice thérapeutique, un peu comme s’il s’agissait d’un électrochoc. De façon analogue une remise à zéro guérit souvent les maux d’un ordinateur. Elle peut être obtenue en éteignant et en rallumant l’appareil. La spiritualité est une gymnastique consistant à faire fonctionner l’esprit en circuit fermé. Cette brève folie contrôlée peut à la rigueur renseigner sur les aberrations de l’esprit, mais surement pas sur la « nature profonde » du monde extérieur, à supposer que cette formule ait un sens. Les fadaises qu’elle prodigue sur l’Etre n’ont jamais rien apporté d’utile ni même de compréhensible. « La métaphysique est le roman de l’esprit » (Voltaire). Finalement, le grand avantage de tous ces exercices de méditation est de ne plus avoir à craindre les insomnies car celles-ci sont facilement meublées et rendues ainsi plus tolérables. Ces exercices préparent à un sommeil riche en rêves lequel est absolument essentiel pour que le cerveau classe les souvenirs utiles, élimine les autres et effectue cette remise à zéro et cette défragmentation qui permettent d’aborder la journée suivante dans de bonnes conditions. D’où l’importance accordé aux songes par les anciens. La privation de sommeil est un traitement inhumain et dégradant. Comme un bon commerçant, la défragmentation place les souvenirs heureux sur la devanture.
Une autre explication réside dans le phénomène d’empreinte. En inculquant leurs croyances à des enfants dont chacun sait qu’ils croient au Père Noël sans aucune difficulté et qu’ils adorent les dessins animés où les lois de la physique ordinaire sont ignorées ou caricaturées, les catéchistes obtiennent que ces croyances deviennent une partie intégrante et fondatrice de leurs structures mentales à l’age où celles-ci se constituent. Ainsi les jeunes oies qui n’avaient jamais connu que lui suivaient-elles dans tous ses déplacements le bon professeur Lorentz qu’elles prenaient pour leur mère ! Implantez une idée dans une jeune cervelle malléable et les faits ou les idées la confirmant viendront s’y agglutiner et enrichir la mémoire tandis que ceux qui l’infirment ne trouveront pas de support ou s’accrocher et seront perdus. Ce phénomène est à l’origine de tous les préjugés. Sous sa forme extrême il est à l’origine de tous les fanatismes.
En incitant les croyants à avoir beaucoup d’enfants, l’Eglise augmente le réservoir potentiel de ses fidèles car elle a observé qu’on passe plus fréquemment dans une lignée familiale de la croyance à l’incroyance que l’inverse. En France, selon certaines statistiques, 50% seulement des enfants d’une famille catholique conservent activement cette croyance. Pour que cette croyance ne dépérisse pas très rapidement il est par conséquent impératif que le croyant soit plus prolifique que l’incroyant. Des préoccupations boutiquières ne seraient donc pas étrangères à cette incitation à croître et se multiplier ! Quelles sont les prédispositions sociologiques qui conduisent un individu à épouser une croyance religieuse ou à la rejeter ? Essentiellement la tradition familiale et le milieu socioprofessionnel. Il existe peu ou pas d’études au sujet des prédispositions psychologiques qui pourraient jouer un rôle. Les religions sont mieux acceptées me semble-t-il par les « forts en thème » esprits aptes à mémoriser et appliquer sans erreur des règles qu’il n’y a pas lieu d’examiner. L’incroyance sied mieux à ceux qui se sentent plus à l’aise dans l’exercice de la version où il s’agit de comprendre la pensée de l’autre, sans y adhérer nécessairement. On peut hasarder qu’un facteur favorable à la croyance religieuse serait un terrain mental meuble dans lequel les premières idées reçues s’enracinent facilement et profondément. Le terrain mental de l’incroyant est plus imperméable, les idées toutes faites glissent sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard. L’incroyant ne se complait pas dans la peur et il n’a pas le culte du chef.
La sélection naturelle a jusqu’à une époque récente éliminé les sociétés, peu nombreuses au demeurant, qui n’ont pas eu recours à l’artifice de la religion. Des spécialistes ont relevé que la durée d’une civilisation dépourvue de religion ne dépassait pas deux ou trois générations. Quel est donc l’avantage apporté par les religions du point de vue de la survie ? C’est selon moi que les droits de la famille, du groupe, de la nation et, de façon ultime, les droits de l’espèce parlent par la bouche du prêtre, interprète autoproclamé de la volonté divine, mais d’abord interprète efficace des intérêts collectifs. « Qui donc dit que le riche ne peut entrer au royaume de Dieu ? C’est le petit prêtre. Et que les humbles ont la meilleure part de l’esprit ? C’est encore le petit prêtre » (Alain). C’est aussi que les Eglises prêchent le rassemblement des consciences et des volontés, obsession de tous les hommes publics. Ce rôle ne peut rester vacant. Les Eglises n’ont aucune légitimité historique ou scientifique, mais elles ont une légitimité pratique. Un totem signifie : « ce mat dressé est l’image de notre tribu, nos ancêtres se sont établi ici, et nous entendons nous y maintenir, et nous y multiplier». Clochers des églises générateurs de « l’esprit de clocher » et tours de bureaux des grandes sociétés, orgueil de leurs dirigeants, remplissent la même fonction. Avoir la foi et l’espérance, c’est prendre en considération, au delà de sa propre existence, le sort des générations futures. L’écologie est la forme moderne et scientifique des religions. Elle constitue donc une réelle nouveauté.
La religion est également une forme de politesse. Par son adhésion à une doctrine bien identifiée, le croyant affiche le code moral auquel il se réfère et se rend ainsi plus prévisible, moins inquiétant que l’incroyant qui n’a pas de critères reconnus, qui ne peut dire ce qu’il pense de façon simple et concise, ou qui n’ose pas le faire de peur de choquer. Les américains sont indifférents à la religion que vous avez choisie, pourvu que vous en ayez une. A leurs yeux, votre religion vous confère un label de qualité, comme votre compte en banque ou votre statut socioprofessionnel. Vous devenez grâce à elle un interlocuteur respecté, au moins selon les apparences, car la réalité est souvent bien différente. Ceux qui sont allés aux Etats-Unis vêtus de leur seule candeur pour y faire des affaires se sont vus le plus souvent roulés dans la farine.
Les incroyants seront toujours en position d’infériorité vis-à-vis des croyants car ils n’ont rien à vendre sauf peut-être l’honneur de l’esprit. “ Croyez et vous gagnerez davantage de dollars ”. Tel est, à peine caricaturé, le message des télé-évangélistes américains. Le pis est que ce message est exact. Débarrassé des préoccupations superflues, l’esprit serein, le croyant peut se concentrer sur la tâche qui lui est impartie et l’habitude qu’il a de s’incliner devant les puissances suprêmes rassure les gens en place. Par sa déférence il affiche son intention d’être toujours et quoi qu’il arrive du côté du manche. Faire acte d’allégeance à un supérieur et avaler si nécessaire quelques couleuvres n’est jamais pour lui un problème. Aussi la carrière des jeunes gens bien pensants est-elle toujours facilitée. Le choix de certains dirigeants ne s’explique pas si l’on ignore que ces derniers vont à la messe tous les dimanches. Ils viennent s’y entendre dire qu’ils sont les plus beaux et les meilleurs, qu’ils sont « le sel de la terre » et que par conséquent leur prospérité présente ou espérée n’est pas usurpée. Ils viennent également y apprendre l’art de raconter de belles histoires, celui d’afficher une assurance tranquille teintée d’autosatisfaction et celui de faire des promesses non gagées, talents indispensables aux meneurs d’hommes et par lesquels ils se reconnaissent entre eux aussi sûrement que le font les francs-maçons par d’autres signes. Ils savent prendre un sac de blé sur la 99ème marche et le poser sur la centième en se vantant de l’avoir hissé plus haut que tous les autres. S’intéressant à la chose publique ils sauront amorcer la pompe de la crédulité en répétant des vérités d’évidence et en enfonçant des portes ouvertes, avant de formuler leurs propositions les plus contestables. Observez à titre d’illustration que la proportion de pratiquants réguliers est de 7% chez les français et qu’elle atteint 80% chez les présidents de leur cinquième république ! Encore faut-il dire que les 20% qui restent étaient fortement imprégnés de la même tradition. Aucune activité politique, sportive ou culturelle ne peut se flatter de rassembler tous les dimanches trois ou quatre millions de français et de leur donner le sentiment d’appartenir à une même communauté. L’église catholique demeure bien le premier lobby de France, et elle n’est pas un cas isolé. Le choix d’une religion traduit souvent le désir d’être avec les plus forts ou les plus riches, et, pour une religion, bien plus que de soutenir une hypothétique vérité, l’important est de se retrouver du côté des vainqueurs. Les dieux des vaincus perdent leurs fidèles.
La religion ne serait ainsi que l’idéologie professée par le mâle dominant. Le retour en force des religions auquel on assiste aujourd’hui a un rapport certain avec les sentiments personnels affichés par le président Bush. Ces sentiments sont d’ailleurs tout à fait à l’opposé de ceux de la communauté scientifique américaine, plus que circonspecte à l’égard de toutes les croyances. Les dieux païens sont les mâles dominants chacun dans leur domaine respectif. Le dieu des monothéistes est le mâle dominant absolu devant lequel chacun doit faire acte de soumission. Il me souvient d’une époque où beaucoup de bons jeunes gens qu’on sentait impatients d’aller à la soupe avaient adopté, inconsciemment je l’espère, ce tic du regretté président Pompidou qui consistait à se passer la langue sur les lèvres avant de prononcer la moindre parole. L’esprit d’imitation et de soumission atteint parfois des sommets de ridicule ! A la cour du roi boiteux, tous les courtisans claudiquaient ! De leur côté les princes ont toujours veillé à ce que leurs sujets partagent leurs croyances. Epouser les idées du Chef, partager sa façon de voir les choses, c’est ce qu’on appelle dans l’armée faire preuve de discipline intellectuelle. C’est probablement ce phénomène qui est à l’origine du comportement de beaucoup d’allemands pendant la deuxième guerre mondiale. Pour faire pardonner cette complaisance, les plus indulgents diront à la suite de Pascal qu’il est plus facile de rendre juste ce qui est fort que de rendre fort ce qui est juste, réflexion essentiellement politique. C’est pour cette raison que la force ne peut durablement opprimer le droit, comme l’Histoire l’enseigne. Ceci étant, il apparaît un brin excessif que, dans un état laïque, une faction représentant sept pour cent de la population cherche à monopoliser les moyens d’information et de décision et entende régler les pensées et les actions des quatre vingt treize pour cent qui restent. S’ils caressent cet espoir c’est que leur assise sociale, et la confiance qui va avec, leur permettent de parler haut et fort, alors que leurs adversaires ont souvent un bœuf sur la langue.
« Dans les poulaillers d’acajou
Les belles basses-cours à bijoux
On entend la conversation
D’la volaille qui fait l’opinion
Qui dit
On peut pas être gentil tout l’temps
On peut pas aimer tous les gens
Y’a une sélection, c’est normal
On lit pas tous le même journal
Mais comprenez-moi, etc.… »
(Alain Souchon)
Il n’est ni surprenant ni illégitime que ceux qui se sont promis de suivre en toutes circonstances la voix de leur conscience se regroupent dans un club pour cultiver ces bonnes dispositions, mais il est regrettable qu’ils le fassent autour de mythes sujets à caution et que la réputation du club soit instrumentalisée par certains.
En ce qui concerne l’origine historique des religions primitives, il est possible d’avancer l’explication suivante : les enfants posent des questions dérangeantes, souvent de caractère métaphysique. Pour ne pas avoir l’air ignorant ou pour que leurs enfants les laissent en paix les parents inventent une explication dont ils se trouvent ensuite prisonniers. Endormis nous rêvons, à demi éveillés nous fantasmons, des situations conformes à nos désirs ou à nos craintes les plus secrets, situations qui sont à la base de ces inventions. L’explication des parents est d’autant plus facilement mémorisée qu’elle est saupoudrée d’évènements merveilleux qui servent de points d’ancrage au récit et valorisent le conteur. Comme les épices et les condiments, ces évènements qui dérogent à l’ordre naturel des choses ne doivent pas être présents en quantités excessives pour que le conte reste crédible. Il n’est pas exclu que certains de ces contes aient été l’œuvre de mythomanes au sens clinique du terme qui, s’étant persuadés de la réalité de faits imaginaires, ont eu le talent d’en persuader les autres… Ces contes, amendés au contact de contes analogues dits à la veillée, sont repris par les enfants à destination des petits-enfants et, de génération en génération, les histoires ne cessent de s’embellir jusqu’à aboutir aux mythes que nous connaissons. Ces mythes ont cessé d’évoluer à partir du moment où ils ont été consignés par écrit et soumis à la critique. Et, à cause de la presse d’investigation, il ne peut plus guère en apparaître de nouveaux. Les sectes sont sous haute surveillance.
D’autres enfants se rendent compte qu’ils sont capables de captiver l’attention de leurs camarades en leur racontant des histoires et d’obtenir leur adhésion. Devenus grands et promus chamans, ils utilisent ce don qui leur a été révélé pour s’emparer par les mêmes procédés de l’esprit des hommes de leur tribu et en tirer prestige et avantages comme celui de pouvoir payer de quelques grimaces la nourriture qui leur est nécessaire. Les fables n’engagent que ceux qui les écoutent. Certaines églises et non des moindres sont allées jusqu’à prétendre que leur intercession était indispensable pour que le soleil se lève chaque matin et pour que les saisons suivent leur cours. Ignorant les lois qui régissent la course des astres et les raisons des phénomènes météorologiques, elles feignaient d’en être les organisatrices. Leur volonté est conforme à la volonté divine, assuraient-elles, et réciproquement.
Un autre type d’explication a été avancé qui est que les dieux ont réellement existé, qu’ils ont un jour été parmi nous. De fait, dans les civilisations primitives, nul ne semblait mettre en doute l’existence des dieux. Est-ce parce que des hommes à cette époque reculée les avaient effectivement rencontrés ? Relisons à ce sujet ce passage d’Ézéchiel :
“ Je vis et voici, un vent de tempête vint du Nord et une grande nuée et un feu tournoyant ; autour de celle-là, il y avait une splendeur et au milieu de celui-ci, il y avait comme l’éclat d’un métal brillant
Et je regardais, et voici une roue en bas auprès des êtres vivants, auprès de tous les quatre. Et les roues avaient l’aspect comme l’éclat de la pierre de Tharsis et les quatre avaient la même forme et leur structure était comme si une roue était au milieu d’une autre roue. Elles pouvaient aller par leurs quatre cotés et elles ne tournaient que quand elles allaient. Et je vis qu’elles avaient des jantes, leurs jantes étaient pleines d’yeux tout autour auprès de toutes les quatre. Quand les êtres allaient, les roues allaient aussi à coté d’eux et quand les êtres s’élevaient du sol, les roues s’élevaient aussi ”
Remplacez la locution “ être vivant ” par “ sous-ensemble fonctionnel ” et vous obtenez la description de l’arrivée et des manœuvres d’un vaisseau spatial, sorte de super hélicoptère, faite par un contemporain essayant de rendre avec ses pauvres mots l’aspect stupéfiant de cet étrange objet technologique. Les chars ailés fendant le ciel sont présents dans beaucoup de mythes, sous toutes les latitudes. Aujourd’hui encore un traineau glisse silencieusement dans la nuit de Noel en empruntant la voie lactée…
Les dieux seraient donc des extraterrestres et les religions perpétueraient le souvenir magnifié de leur visite. L’existence d’extraterrestres n’aurait en soi rien de surprenant et, si nous avons une chance extrême d’habiter la planète terre, rien ne semble empécher que d’autres aient eu encore plus de chance que nous, ou l’aient eu plus tôt. Il n’y a aucune raison évidente pour que nous soyons les premiers de la classe. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, de nombreux observateurs ont relaté des phénomènes célestes inexpliqués. Ces observations ont récemment cessé. Les extraterrestres nous ont-ils quittés définitivement ? Nous ont-ils trouvés décidément infréquentables, nous ont-ils jugés condamnés, ou bien ont-ils eu vent de la réélection de Georges W ? Une rencontre du troisième type aurait pu se situer à peu près au moment où l’agriculture et l’élevage ont commencé d’être pratiqués. Sur les peintures et les gravures qui ornent les parois des grottes préhistoriques, comme celle de Lascaux, je ne sens pas en effet, malgré l’avis des spécialistes, passer un souffle religieux (les graffitis sur les murs des lieux publics et les barbecues dominicaux n’attestent pas de la persistance de cultes priapiques ou de rites sacrificiels à l’époque contemporaine). Ces figures animalières n’ont, me semble-t-il, rien de commun avec les représentations fabuleuses qu’on peut rencontrer dans les temples des anciennes civilisations méditerranéennes, asiatiques ou américaines qui font partie de l’histoire et non plus de la préhistoire. Je perçois au contraire, de l’art pariétal, le caractère naturaliste, comme celui qui a pu être observé aux meilleurs moments de l’Antiquité ou de la Renaissance. Les artistes de cette époque lointaine ont essayé de rendre leurs figures les plus expressives possible, au plus près de la chose elle-même, et ils y ont magnifiquement réussi. La force de ces dessins n’est pas sans rappeler celle des dessins de Picasso qui ne fut pas, comme chacun sait, un grand mystique. La sureté de leur trait montre qu’ils maitrisaient parfaitement leurs émotions. Ils auraient vécu dans une tranquille innocence avant que ne débarquent des perturbateurs. L’homme qui se croyait le roi des animaux découvrait avec effroi qu’il pouvait être l’animal de créatures beaucoup plus puissantes que lui. J’imagine avant cette rencontre fatale des cérémonies d’initiation où des jeunes gens viennent à la lueur des lampes à huile, essayer leur courage devant ces figures saisissantes. Car du courage il en fallait pour affronter des fauves de plusieurs centaines de kilos, armé seulement d’épieux à la pointe durcie au feu et de casse-tête de pierre et d’os ! Il est possible que la pensée pratique, pragmatique, prompte à l’auto dérision, qui est nécessaire pour survivre ait précédé la pensée religieuse drapée dans son sérieux et fuyant l’ironie comme la peste. D’une manière générale, le sérieux des mines est inversement proportionnel au sérieux des doctrines. Les médecins ont rangé depuis longtemps leurs robes et leurs couvre-chefs dans le placard aux souvenirs quand prêtres et magistrats continuent de les porter…Les hommes de science quant à eux sont tenus de se mettre à poil, au moins au sens figuré, devant leurs confrères !
Ce qui me plait dans cette explication par les extraterrestres, malgré son coté hasardeux, c’est qu’il s’agit d’un compromis. Le message religieux ne serait pas d’origine divine stricto sensu, mais il émanerait de civilisations plus avancées que la notre et devrait de ce fait être pris en considération. Nous pouvons supposer que ces civilisations extraterrestres ont toujours été gouvernées par des écologistes puisqu’elles se sont refusées à intervenir trop pesamment dans notre destin. Un autre aspect rassurant de cette explication serait qu’elle apporterait la preuve que les progrès scientifiques et techniques ne conduisent pas nécessairement une civilisation à son anéantissement. Croquer la pomme de la connaissance pourrait rendre malade mais ne serait pas forcément mortel.
Les tentatives d’explication formulées ci-dessus ne sont pas exclusives les unes des autres. Un grand fleuve a nécessairement de nombreux affluents.
Les religions primitives étaient toutes polythéistes. Chaque force naturelle, chaque passion éprouvée fortement, chaque talent particulier, étaient représentés par un dieu spécifique. L’homme satisfaisait ainsi à peu de frais son besoin d’explications. Chaque nation pouvait avoir sans problème son ou ses dieux qui luttaient à ses cotés. Un dieu victorieux chassait le dieu vaincu. Les difficultés ont commencé lorsque l’idée d’un monothéisme universel est apparue, en même temps que les grands empires d’Egypte et du Moyen-Orient, les superstitions essayant alors d’enfiler les habits de la rationalité, première étape vers une science authentique. Dans la tradition chrétienne il s’agit du reste d’un monothéisme bien tempéré puisque déjà Dieu est triple et qu’il est accompagné par des légions d’anges et de saints ; et surtout de démons qui n’obéissent pas à Sa Volonté (croire le contraire serait accuser Dieu de faire preuve d’une rare duplicité). Plus que de monothéisme, il faudrait plutôt parler dans le cas du christianisme d’une monolâtrie qui peut aller aujourd’hui jusqu’à l’hénothéisme lorsque le croyant adresse préférentiellement sa prière à la Vierge Mère. Un seul dieu au ciel, habitue à l’idée d’un prince unique, représentant du précédent, régnant sur le monde sensible. La monarchie de droit divin est l’héritière de cette conception. Et il fallait bien que l ‘idée d’un être suprême, tout-puissant et sans rival, plaise quelque part à Constantin, élu par ses légions Empereur de Rome en l’an 306 de notre ère, pour qu’il cherche à promouvoir les croyances d’une simple secte, au détriment de la religion officielle pratiquée depuis toujours par la très grande majorité des citoyens romains, riches ou pauvres. Qui plus est, cette nouvelle croyance se référait à une tradition étrangère, à contre-courant de l’idéologie dominante. Elle n’était même pas celle d’un vainqueur mais celle d’un mouvement persécuté composé principalement de pauvres et d’exclus. Quelle mouche avait donc piqué Constantin ? Imaginez Napoléon, s’amourachant du culte mahométan à la suite de son voyage en Egypte, et favorisant activement l’implantation de cette nouvelle croyance dans toute l’Europe ! Ce changement inouï était une entreprise à priori parfaitement déraisonnable et ne peut s’expliquer que par des motifs politiques extraordinairement puissants. Il y avait un grand risque en procédant ainsi d’accroître les divisions de la société romaine. Comme le rappelle Diderot « Le Christ a dit qu'il était venu pour séparer l'époux de la femme, la mère de ses enfants, le frère de la sœur, l'ami de l'ami ; et sa prédiction ne s'est que trop fidèlement accomplie ». D’ailleurs Constantin ne s’est fait baptiser que sur son lit de mort, selon ce qui est rapporté, se ménageant ainsi jusqu’au dernier moment la possibilité de revenir à la croyance ancestrale pour le cas où l’aventure aurait mal tourné …
Le noyau dur du christianisme naissant semble avoir été constitué par la classe des esclaves instruits qui travaillaient dans l’administration impériale. Ces esclaves, qui comptaient dans leurs rangs de nombreux juifs, se rappelaient qu’au temps de Spartacus ils s’étaient révoltés contre les conditions inhumaines qui leur étaient faites, qu’ils avaient combattu victorieusement les légions romaines avant d’être défaits par elles et que des milliers des leurs avaient péri crucifiés. Ils trouvèrent dans la "Septante", traduction en grec de la Bible, des récits qui ouvraient une espérance à leur triste condition et ils se l’approprièrent. Un phénomène comparable s’est produit lorsque les esclaves noirs du sud des Etats-Unis ont découvert le christianisme au travers des religions protestantes, l’ont adopté avec enthousiasme et célébré leur nouvelle croyance par de magnifiques gospels. Vous remarquerez que l’esclavage est un sujet qui n’est pour ainsi dire jamais abordé dans les textes fondateurs du christianisme, malgré son importance extraordinaire du point de vue moral et politique. On semble y être esclave comme on serait cordonnier ou forgeron, sans que cela porte davantage à conséquence. Etait-ce pour ne pas trahir l’origine sociale des chrétiens, ce qui aurait pu dévaloriser les thèses qu’ils défendaient ? Les débuts du christianisme ont coïncidé avec les débuts de l’Empire Romain et ce n’est certainement pas un hasard. Les esclaves romains se sont tournés vers l’Empereur, pensant à juste titre qu’il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses Saints. De la même façon nos ancêtres paysans opprimés et asservis par des hobereaux voyaient dans le roi de France une espérance et un recours car l’attitude d’un homme, d’une institution, voire d’une espèce passe naturellement de l’agressivité à la bienveillance à mesure que ses pouvoirs s’accroissent et sont moins contestés. Au début du règne de Constantin les chrétiens formaient une organisation multipolaire, avec Rome comme pôle dominant, cimentée par la répression dont elle était l’objet, un mouvement syndical et révolutionnaire (le premier ?), intellectuel et plébéien, capable de susciter les plus grands dévouements. Le christianisme est un adroit syncrétisme du merveilleux commun à toutes les religions indo-européennes, du judaïsme comme référence pseudo historique, des cultes célébrés à Rome, de la sagesse philosophique gréco-romaine et de dogmes empruntés au zoroastrisme et à l’essénisme avec adjonction d’une dose supplémentaire de générosité, ou de charité selon la terminologie chrétienne. Je préfère cependant utiliser le mot de générosité, car dans celui de charité je crois déceler un brin de condescendance. Noel, fête du soleil, et Pâques, fête de Cybèle la terre-mère, sont les fêtes du solstice d’hiver et de l’équinoxe de printemps dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Ces fêtes étaient célébrées à Rome. La fête de Pâques commençait le 15 mars par une semaine d’abstinence. On commémorait le 22 mars la mort et l’enterrement du dieu Attis, parèdre de Cybèle, représenté par le pin toujours vert et on fêtait le 25 sa résurrection. C’est le même délai de trois jours qui sépare dans le mythe chrétien la mort du Christ de sa résurrection…La filiation est évidente. Le mythe chrétien de la mort du Christ a été inventé pour assurer la survie d’un rite païen populaire.
Cette religion hybride a trouvé un terrain favorable à Rome, ville cosmopolite par excellence. Il peut paraître surprenant qu’il se soit trouvé des gens pour ajouter foi à une telle construction qui ne disposait pas encore de la respectabilité que confère le grand age. C’est oublier que les dieux les plus divers prospéraient alors librement à Rome et que l’esprit critique et scientifique était à l’époque réservé à une toute petite minorité de lettrés et que tous étaient intimidés par la puissance impériale. Rêves et réalité, religions et science, mythologies et histoire, astrologies et astronomie cohabitaient alors sans que cela choque. C’est oublier aussi que des sectes se créent encore aujourd’hui sur des bases tout aussi arbitraires.
St Paul est vraisemblablement le mythomane à l’origine de la légende christique. Différentes raisons conduisent à douter de la véracité des épîtres dites de St Paul qui sont considérées comme la première expression aboutie de la doctrine chrétienne. Ces épîtres n’ont en effet nullement le ton qu’emploierait un homme qui, selon la légende, ne représente que lui-même et qui cherche à faire partager ses convictions. C’est celui d’un inspecteur délégué par la maison mère auprès de succursales manifestant des velléités d’indépendance. Il n’y a de plus aucun témoignage provenant d’une source non chrétienne selon lequel le christianisme se serait répandu comme une traînée de poudre sur tout le pourtour méditerranéen dés le premier siècle de notre ère. Qui diable aurait pu financer les nombreux voyages de Paul dans ces contrées lointaines ? Lui-même n’était, toujours selon la légende, qu’un humble artisan qui disposait de peu de ressources. Allez aux antipodes sans rien dans les poches et essayez de faire croire aux gens du crû que vous êtes chargés par le Tout-Puissant de réformer la doctrine et les mœurs. Vous serez aussitôt enfermé ! Ajoutez à cela qu’aucune des épîtres n’a jamais été retrouvée chez son destinataire supposé, qu’elles ne comportent ni remerciements pour le bon accueil d’un hôte, ni rappel d’un entretien chaleureux, d’un repas pris en commun, d’une visite d’un site remarquable, d’une quelconque anecdote prise sur le vif et vous pourrez même supposer que ces épîtres n’étaient qu’un moyen oblique pour dénoncer des erreurs doctrinales ou de comportement commises par des écoles de pensée plus proches et potentiellement rivales, pour vider en somme des querelles de chapelle ; et que cela s’est passé à une époque beaucoup plus tardive. Dans « la femme du boulanger » de Pagnol, le mari trompé adresse à sa chatte Pomponette, qu’il sait infidèle à Pompon son vieux matou, les reproches qu’il n’a pas le cœur de faire à sa jeune femme…Le style des épîtres est emberlificoté. Une sentence frappante, pleine de force et de clarté, émerge soudain d’un magma de propositions à peine compréhensibles. Le talent du prédicateur se rapproche ainsi de celui du prestidigitateur qui détourne le regard des spectateurs vers un accessoire pendant qu’il sort de sa manche une blanche colombe. Le moment le plus distrayant de ces épîtres est celui où il fait appel de façon détournée à la générosité de ses interlocuteurs. Comme chaque fois que l’on présente une addition, ce moment se situe vers la fin du message. L’odeur de l’argent plus que celle de l’encens est en définitive ce qui donne à ces missives, à condition de transposer, un discret parfum d’authenticité. St Paul, en illustrant l’art et la manière de faire la quête, est bien un des principaux pères fondateurs de l’Eglise.
Il n’est pas interdit de supposer que les évangiles ont été pour leur part le produit d’une sorte d’exercice littéraire, commandé peut-être par l’Empereur Constantin lui-même, consistant, sur des thèmes choisis à l’avance - fruits de la synthèse de plusieurs siècles de cogitations philosophiques, morales et politiques - à pasticher la Septante en utilisant, comme il se doit, la langue grecque. D’ailleurs il était assez facile à Constantinople de recruter des écrivains dont c’était la langue maternelle. Il est plus que probable que le Christ décrit par les évangiles n’a jamais existé, à moins qu’un quelconque illuminé n’ait servi de lointain modèle. Aucun homme du nom de Jésus ou dont le destin lui ressemble tant soi peu n’a laissé de traces, ni dans l’histoire juive ni dans l’histoire romaine officielle. Les très nombreux manuscrits d’origine essénienne cachés vers l’an 70 dans des grottes proches de la Mer Morte et retrouvés vers 1950, documents dont nul ne conteste l’authenticité, n’en font aucune mention, ce qui paraît incompatible avec la popularité attribuée au personnage et sa proximité avec les esséniens dans l’espace, dans le temps et dans les préoccupations, car esséniens et chrétiens supposés auraient chassé sur les mêmes terres. La plus petite allusion à un homme nommé Jésus aurait été pourtant accueillie avec enthousiasme par les chrétiens ! L’examen de ces documents a été confié par l’état hébreu à des religieux, sans doute par souci d’objectivité et de transparence… Des documents ont disparu, avec celui qui était chargé de les étudier, dont on peut penser qu’ils étaient particulièrement dommageables pour certaines croyances … On trouve avec étonnement dans ceux qui ont été publiés des idées et des formules qui seront reprises dans les évangiles. Jésus est donc un héros littéraire au même titre que Don Quichotte, Gulliver ou Gargantua, un archétype créé par une synthèse habile dans un but apologétique de défense des faibles et des opprimés. Les dieux de l’Olympe que plus personne ne prend au sérieux, ont été de même façonnés par les poètes grecs et latins à partir d’un fonds de croyances populaires qui remontent à la plus haute antiquité. Celui qui a vraiment existé, c’est un certain Chrestus, vivant à Rome au premier siècle de notre ère, qui jouissait d’un grand prestige et d’une grande autorité au sein du mouvement d’entraide qu’il avait fondé, au point que les membres de ce mouvement ont été nommés chrétiens, disciples de Chrestus. Ce Chrestus est la « Pierre » sur laquelle l’Eglise a été édifiée. Il ne doit pas être confondu avec Christos qui signifie en grec l’oint du seigneur. La légende chrétienne a instrumentalisé cet à-peu-près. Le poisson a été choisi comme signe de reconnaissance des premiers chrétiens parce que les lettres d’ICHTUS, le mot grec désignant un poisson, seraient les initiales de Jésus Christ Fils du Dieu Sauveur. L’Eglise toute entière est édifiée sur ces quelques traits d’esprit pas trop subtils. Bien loin d’être le fruit d’une révélation divine, la doctrine chrétienne est depuis ses débuts le produit d’intenses réflexions qui se sont poursuivies au fil des siècles et qui ne sont pas encore achevées. L’image du juste en croix par exemple figure déjà dans Platon et la croix elle-même est un symbole immémorial. Pas de croix tracées sur les parois des catacombes abritant les restes des premiers chrétiens, uniquement des petits poissons… L’épisode de la crucifixion du Sauveur ne sera incorporé à la doctrine officielle qu’à la fin de l’empire, époque sombre et chaotique s’il en fut, et sous une forme édulcorée semble-t-il. Il ne s’est définitivement imposé sous sa forme actuelle qu’à la faveur des famines et des terreurs de l’an mille. Aux populations qui se plaignaient d’avoir été abandonnées de Dieu, il était possible de dire qu’elles avaient tort de se lamenter puisque Dieu lui-même avait souffert sur la croix. Il a donc fallu près de huit siècles pour acclimater l’idée, à vrai dire peu banale, d’un dieu tout-puissant torturé et mis à mort, non par des dieux, ce qui avait été déjà conté, mais par des hommes, ce qui était sans précédent. Le supplice du Christ dont les juifs se seraient rendus coupables devait être vengé. La croix est arrivée à point nommé pour justifier les croisades et, par la suite, bien d’autres abominations. C’est le glaive du pouvoir impérial qui a donné autorité à cette doctrine et à tous les textes qui la contiennent. Il n’est pas difficile de comprendre que des érudits qui consacrent toute leur énergie à commenter ces textes et qui font leur gagne-pain de cette activité n’admettront pas volontiers qu’ils puissent être d’origine douteuse.
Quels sont les accords qui ont bien pu être conclus entre ce qui n’était encore qu’une secte séditieuse, persécutée et, comme la plupart des mouvements de résistance, traversée de querelles intestines, et un empereur contesté par l’establishment du fait qu’il était le fils né hors mariage d’une servante d’auberge, chrétienne de surcroît, que l’on devine au demeurant maîtresse femme et supérieurement belle (comme Sophia Loren ?), une pasionaria en somme qui aurait réussi ? Est-ce leur commune marginalité qui les a rapprochés ? Personne ne le sait. On sait par contre que, si nul ne ment par plaisir, les nécessités pressantes de l’action politique conduisent très souvent les hommes publics à pratiquer la désinformation avec la meilleure conscience du monde. Constantin a pu se livrer à une sorte de chantage vis-à-vis de ses adversaires : « Si vous vous opposez à ma politique, les esclaves vont se révolter comme au temps de Spartacus, mais il est possible cette fois que les légions refusent de marcher contre eux ! ». Constantin n’aurait pas été le premier homme d’état romain à s’appuyer sur la plèbe pour arriver à ses fins. Le christianisme des origines est une doctrine de combat et, dans un combat, seul le résultat compte. Dans toute guerre, comme on sait, la vérité est la première victime ! Les chrétiens n’allaient pas démentir un empereur dont, comme tous les citoyens romains, ils célébraient le culte, d’autant plus volontiers qu’il les avait soustraits aux atrocités et comblés de ses bienfaits, qu’il avait été en somme leur Sauveur. Ils en ont donc fait l’Unique Représentant sur terre du Dieu Unique. L’évêque de Rome a dû attendre les dernières années de l’Empire d’Occident pour devenir le chef incontesté de l’Eglise Catholique. Même pour des évènements contemporains, dans une période calme et sous un régime démocratique, l’esprit partisan altère profondément la réalité des faits. Or, toutes les informations concernant l’origine et les premiers siècles du christianisme ont été placées pendant toute cette période lointaine et plutôt agitée sous le contrôle exclusif d’un totalitarisme particulièrement musclé. Vous chercherez longtemps à propos du changement fondamental qu’a représenté le passage du paganisme au christianisme une réflexion critique formulée par un contemporain. Ces critiques n’ont pourtant certainement pas manqué. Elles ne nous sont un peu connues que par les réfutations qui en ont été faites et qui, elles, ont été conservées ! Tous les documents prétendument historiques sont passés à un moment ou à un autre entre les mains d’autorités prosélytes et sont donc frappés de suspicion. Divers désordres liés aux persécutions dont les chrétiens ont été les victimes ont soi-disant détruit tous les documents originaux de l’Eglise des premiers siècles. Ces documents rédigés selon la légende (qui est encore la doctrine officielle de l’Eglise) par des apôtres ayant été en contact direct avec le Christ auraient pourtant dû constituer pour les chrétiens un legs inestimable et jalousement gardé. Il est tout à fait surprenant qu’aucun de ces documents ne soit parvenu jusqu’à nous alors qu’il ne manquait certainement pas de fidèles pour les surveiller et éventuellement pour les dissimuler, sous l’autorité d’une organisation structurée et pérenne. Des copies presque aussi anciennes auraient dû forcément exister puisque les textes canoniques sont censés être tout à fait authentiques. N’est-ce pas une réaction naturelle en cas de danger de faire des copies des textes importants pour les lire en cachette et de mettre à l’abri les originaux ? Détruits à Rome, auraient-ils pu l’être dans toutes les provinces de l’Empire où la foi chrétienne s’était prétendument établie dés le premier siècle ? D’autres documents encore plus anciens ont été préservés qui ne bénéficiaient pas de circonstances aussi favorables. Que l’on songe aux soins qui ont été pris plus tard pour conserver des morceaux de la vraie croix ou de la couronne d’épines, le saint suaire, le saint sang, les saints clous et d’autres reliques moins prestigieuses ! L’Eglise a du se livrer à une traque impitoyable de tous les écrits qui n’étaient plus conformes à l’évolution de la doctrine de la même manière que, plus tard, les autorités communistes feront effacer des photographies officielles tous les dirigeants qui, n’étant plus dans la ligne, avaient été éliminés ! La disparition de tous les documents des premiers temps du christianisme est en tout cas bien utile pour entretenir le mystère. Une voûte élancée peut paraître miraculeuse une fois démontés les échafaudages et les cintres qui ont servi à sa construction. Quelle serait l’histoire du fascisme si les historiens n’avaient plus à leur disposition que les écrits des écrivains fascistes ? C’est malheureusement ce qui se passe avec l’Eglise qui ne livre aucun accès aux documents historiques, mais uniquement à ce qu’elle veut que l’on en pense. Il serait particulièrement instructif de dater au carbone 14 les plus anciens documents et les plus anciennes reliques détenus par les chrétiens, qu’ils se trouvent à Rome, à Constantinople ou ailleurs. C’est pour l’Eglise un devoir moral de procéder à cet examen. Un document oublié pendant deux mille ans et non altéré intentionnellement est un document historique. Un document remanié cent fois à l’intérieur d’une structure opaque ne peut se parer de ce titre. L’Eglise revendique une filiation ininterrompue avec le Christ. Qu’elle en fasse la démonstration ! Elle jure que la tradition qu’elle perpétue est de bon aloi. Qu’elle le prouve ! L’époque à laquelle les faits sont censés s’être déroulés appartient sans conteste à l’histoire, pas à la préhistoire ni à la mythologie ! Quand on rapporte des faits à priori extravagants, c’est bien le minimum que d’avoir quelques éléments de preuve et il est très naturel d’être soupçonneux quand on essaie de vous vendre une histoire invraisemblable selon les critères usuels. Cette méfiance est tout particulièrement justifiée connaissant la longue et étroite connivence qui a existé entre l’Eglise et le pouvoir politique. Il est peu probable que les chrétiens cherchent à répondre à ces interrogations légitimes car les plus avisés d’entre eux doivent bien pressentir plus ou moins confusément que leur histoire est assez largement bidonnée, et les autres considèrent comme sacrilège de procéder ne fut-ce qu’à l’ombre d’une vérification.
Si vous ne croyez pas aux miracles, si vous considérez que la crucifixion n’était pas un supplice pratiqué en Palestine, s’il vous paraît impossible, comme à la plupart des experts, que des apôtres putatifs soient les véritables auteurs des évangiles, si vous considérez que la doctrine chrétienne constitue une synthèse un peu trop adroite, ou si vous relevez que la phrase « il faut rendre à César ce qui appartient à César » fait du Christ un « collabo » improbable de l’occupant romain mais constitue quelques siècles plus tard un acte d’allégeance à l’Empereur, vous en conclurez que ces textes doivent être considérés comme des documents de propagande, non comme des documents historiques, et vous ne pourrez qu’étendre vos soupçons à tous les faits qui y sont rapportés. Une falsification ingénieuse s’est imposée en devenant mensonge d’Etat. La caractéristique la plus fondamentale d’une dictature est qu’elle traite la vérité par l’huile de ricin quand elle débute et par le plomb quand elle est bien installée. On ne peut dans ces conditions qu’essayer d’imaginer ce qui s’est réellement passé en utilisant des critères de vraisemblance. Or un homme politique se détermine avant tout pour des raisons politiques et la première de celles-ci est la conquête et la conservation du pouvoir. Il ne faut pas d’ailleurs s’en offusquer car le meilleur des chefs d’état potentiels, s’il n’est né roi, ne vaut rien s’il est incapable de s’imposer. C’est ainsi qu’il est permis de voir une certaine similitude entre un Constantin qui conforte son pouvoir en s’appuyant sur le peuple des chrétiens, seule force organisée en dehors de l’état lui-même, contre les patriciens tenants de la religion traditionnelle, et un Mao Tsé Toung qui lance la révolution culturelle pour reprendre la main après l’échec du « Grand Bond En Avant » … Les chrétiens auraient été en quelque sorte les gardes rouges chargés de rassembler les citoyens favorables à l’Empereur et de faire taire les opposants. Les évangiles, dans une version archaïque précédant celles que nous connaissons, auraient été leur petit livre rouge. A cela s’ajoutait certainement le sentiment répandu dans le peuple que la société romaine, du fait de l’impunité que donne la surpuissance, était allée beaucoup trop loin dans le sens de la permissivité, de la cruauté et du cynisme et que l’instauration de mœurs plus bénignes était souhaitable. Constantin, proche du peuple, partageait certainement ce sentiment même s’il y a fait nombre d’entorses. Est-ce à cette relative bénignité que l’on doit, après bien des péripéties, l’actuelle prédominance des chrétiens ? Il ne le semble pas dans la mesure où d’autres religions tout aussi lénifiantes comme le bouddhisme n’ont pas conduit au même résultat.
A la mort de Constantin en 337, les chrétiens étaient suffisamment bien établis dans les rouages du pouvoir pour qu’il soit devenu difficile de faire carrière dans l’administration impériale sans être des leurs. La qualité de leur lobbying et la supériorité de leur organisation les a propulsés et maintenus au premier plan. Le cri de révolte des esclaves était devenu le cri de ralliement des maîtres. Existe-t-il meilleur exemple de récupération ? La religion qui permet d’enrégimenter et de formater les esprits est un enjeu politique majeur, au point qu’elle peut être parfois suscitée ou promue par le pouvoir à des fins purement personnelles. C’est le cas de l’église catholique, mais aussi celui de nombreuses églises protestantes. Comme on le dit à juste titre, une religion est une secte qui a réussi. Comment peut-elle réussir sinon en s’alliant avec le pouvoir politique pour éliminer la concurrence ? Un corollaire de ce principe voudrait qu’une religion qui perd durablement ce lien organique avec le pouvoir soit rétrogradée au rang de secte et perde progressivement de son influence… Du reste, la loi ne devrait pas établir de distinction entre sectes et religions car, dans le principe, il n’y a aucune différence entre elles. La loi doit sanctionner tous les comportements déviants, qu’ils soient le fait de sectes débutantes ou de sectes parvenues à maturité.

Plus tard les chrétiens deviendront commissaires politiques chargés du renseignement et de la police des esprits et des mœurs. Ils utiliseront les méthodes habituelles des régimes totalitaires, brûlant les bibliothèques, éliminant avec diligence tout écrit gênant et toute opinion dissidente, ruinant, pourchassant et assassinant tous ceux qui refusent de se soumettre. Les citoyens de l’Empire déboussolés et rétifs à l’égard de cette religion imposée d’en haut et divisés comme les Français en 1940 perdirent confiance dans les institutions et n’eurent plus la volonté de les défendre contre les invasions barbares. Après la parenthèse de Julien l’Apostat qui s’est refermée à sa mort en l’an 363, il faudra à peine plus d’un siècle pour que l’empire soit complètement disloqué. Cet empereur, sans opprimer les chrétiens, mais profitant comme Constantin de son statut de mâle dominant, avait redonné sa primauté à la religion traditionnelle, considérant que la religion chrétienne, dans laquelle il avait pourtant été élevé, était une adroite escroquerie. Il est d’ailleurs probable qu’il était sceptique à l’égard de toutes les croyances. Voici comment débute son ouvrage « Contre les galiléens », c’est à dire contre les chrétiens (et contre la religion juive dont les chrétiens s’inspiraient) :
« Il m’a paru à propos d’exposer à la vue de tout le monde, les raisons que j’ai eues de me persuader, que la Secte des Galiléens n’est qu’une fourberie purement humaine, et malicieusement inventée, qui, n’ayant rien de divin, est pourtant venue à bout de séduire les esprits faibles, et d’abuser de l’affection que les hommes ont pour les fables, en donnant une couleur de vérité et de persuasion à des fictions prodigieuses ».
César en Gaule puis Empereur à Rome, celui qu’il vaudrait mieux appeler « Julien le Sage », car c’était un authentique philosophe, est soi-disant mort au combat. Dans le cas d’un commandant en chef avisé et expérimenté, c’est rarissime, Les circonstances exactes de la mort d’un empereur devraient être parfaitement connues. Peut-on savoir qui l’a vraiment tué? Fecit qui prodest ? Après cela, bien entendu, les chrétiens sont revenus au pouvoir et ils ont conduit l’empire jusqu’à la catastrophe finale. La France ne s’est non plus jamais vraiment remise de la révocation de l’Edit de Nantes, alors que le hiatus entre deux versions du christianisme est tout de même beaucoup moins grand qu’entre christianisme et paganisme. L’ostracisme exercé à l’encontre des protestants qui n’ont pu conserver la religion selon leur cœur explique peut-être la relative déchristianisation de ce pays. Il est assez paradoxal par parenthèse que les deux figures les plus connues de l’histoire de France, Louis XIV et Napoléon soient probablement celles qui ont causé le plus de tort à leur patrie. L’un força les meilleurs à l’exil, épuisa son peuple par la guerre et les grands travaux et institua un absolutisme rétrograde, taillé à ses seules mesures, et donc générateur de désordres futurs. L’autre a laissé la France exsangue. Tous deux ont fait que la nation européenne de loin la plus puissante par ses richesses naturelles et sa population, au lieu de participer activement au peuplement du continent américain, est devenue une puissance moyenne et sous-peuplée, tant il est vrai que les ego surdimensionnés sont les précurseurs de toutes les catastrophes, publiques et privées. Albion, jouant à chat perché sur son île, a largement profité de cette situation. Refermons cette parenthèse pour relever que l’Eglise fut amenée à répéter avec les rois barbares vainqueurs la manœuvre qui avait si bien réussi avec l’Empereur de Rome et proposa son appui. Cet appui fut accepté, car si « Paris vaut bien une messe » comme le dirait plus tard le bon roi Henri, Rome également justifie quelques sacrifices. Eternelle alliance du sabre et du goupillon ! Il s’est ensuivi des siècles d’apparent obscurantisme où la créativité s’est réfugiée dans le perfectionnement empirique des techniques. Il suffit de comparer la pénombre d’un temple gréco-romain, jeu de construction assez élémentaire même s’il peut être extrêmement élégant, et la luminosité d’une cathédrale gothique, prodige d’audace, de légèreté, d’équilibre et de robustesse, pour prendre la mesure des progrès accomplis. Chaque fois que quelqu’un d’un peu sensible pénètre dans une cathédrale il peut éprouver un sentiment de honte en voyant ce qui se construit actuellement ; ce qui est au fond assez injuste car certains ouvrages contemporains méritent de défier les siècles. Le prodige de la renaissance italienne vient de la rencontre de l’esprit scientifique né sur les rivages de la mer ionienne et de la technologie élaborée par des générations de cultivateurs, de vignerons et d’artisans des métiers de bouche dont le savoir-faire continue de nous nourrir, de constructeurs de navires, de travailleurs du métal, du bois, des textiles ou du cuir, d’architectes, de maçons, de potiers, de papetiers, de verriers, de distillateurs, d’alchimistes, d’apothicaires, d’herboristes, d’horlogers, de minotiers, de fontainiers, de facteurs d’instruments de musique. Le savant grec n’avait guère que sa tête, Archimède étant l’exception qui confirme la règle. Le moyen age a donné à ses continuateurs les outils nécessaires pour mettre leurs idées à l’épreuve des faits et leur trouver des applications utiles. Le niveau technologique de l’artisanat ne suffit pas à lui seul en effet à enclencher le mécanisme du déve

Norbert Croûton
Rédigé par Norbert Croûton le 24/11/2006 à 00:36