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Vendredi 16 Novembre 2007

Il n'était pas nécessaire de les chercher longtemps avec la traductrice Cristina Haiduc pour les trouver dans les rue de Nîmes. Devant la gare centrale ils nous découvrent leur histoire humaine car ils ont envie de parler et de nous faire comprendre ce que parler veut dire


Sabina et Maruis devant la gare de Nîmes
Sabina et Maruis devant la gare de Nîmes
Ils sont une petite vingtaine qui viennent de tous les coins de la Roumanie, la plupart d'Alba, un judet (département) de Roumanie en Transylvanie.
On les voit tous les jours faire la manche un peu partout aux grands carrefours de Nîmes ou dans les rues de l’Ecusson. Roumains, donc Européens, les Rroms peuvent légalement séjourner ici. Nous les avons rencontrés, moi et Cristina Haiduc, une amie roumaine qui a assuré la traduction.
Le plus âgé, Sibian, 41 ans, dont la sagesse lui a fait gagner la confiance de la minorité roumaine à Nîmes, est convaincu qu’un jour il ne devra plus faire la manche parce qu'il y aura de travail pour lui et tous les autres.
En Roumanie, il a travaillé longtemps dans le bâtiment mais la pauvreté l'a poussé à venir à Nîmes pour y chercher une meilleure vie, au moins un salaire sûr "parce que là-bas, dit Sibian, on n'est pas bien payés, souvent même pas du tout. Ici, les patrons ne nous embauchent pas parce qu'on ne parle pas français", explique Sibian.
Qui assure être néanmoins capable de créer les mêmes bâtiments qu'on retrouve à Nîmes et ailleurs. Malgré son allure de SDF, il connaît bien l'histoire et la géographie, il s'intéresse à la politique et à tout ce qui se passe en Europe et en Roumanie. Sibian aurait sûrement pu travailler ailleurs que dans le bâtiment mais en Roumanie les Rroms ne peuvent pas exercer n’importe quel métier car beaucoup sont réservés aux "vrais" Roumains.
Lutter contre cet a priori est l'enjeu de leur vie en Roumanie mais aussi dans l'Europe entière : souvent traités de "voleurs de poules", les Rroms sont laissés en marge de la société et doivent accepter les boulots les plus durs et les moins bien payés.
Ils viennent à Nîmes car cette ville est l’un des carrefours importants sud-européens et tout transport provenant de l'est du continent y passe inévitablement. Certais connaissent d'autres Rroms qui se sont installés ici et arrivent à survivre mieux qu’en Roumanie. Leur seul but est de trouver un travail pour pouvoir vivre comme tout le monde. Même si c’est une illusion.
A 19 ans, Marius est le plus jeune du groupe. Il n'a aucune expérience professionnelle mais il a quitté la Roumanie après la fin du lycée car il rêvait d’une autre vie. Il passe le plus clair de son temps devant la gare de Nîmes. Il connaît par cœur les trains partant et arrivant mais, dit-il, "le train que j’ai attrapé pour venir en France ne s'est jamais arrêté au bon endroit". Son seul désir est de pouvoir trouver un travail et "d'être bien, enfin comme tout le monde". Pour l'instant son rêve est loin d'être réalisé : il fait la manche tous les jours devant la gare et dort toujours dans la rue.
Téodor, 24 ans, est arrivé il y a quatre ans à Nîmes avec sa petite copine Adriana. Il fait souvent des aller-retours en Roumanie car son père est resté là-bas et "il a besoin de mon aide", confie Téodor avec un regard baissé. Avec son dernier argent bien caché dans sa poche il a acheté à Nîmes une vieille voiture qui reste depuis garée dans une petite rue.
Il a perdu son permis de conduire en arrivant à Nîmes et, dit-il, il a dormi dans les rues et sous les arches de la gare. Il aimerait avoir un nouveau permis et ramener la voiture en Roumanie chez son père. De tous les Roumains rencontrés, il est le seul des vingt-cinq qui a aujourd'hui un toit au-dessus de la tête : "Un vieux Marocain m'a hébergé, moi et ma copine, parce qu'il est très croyant et il veut aider tout le monde. Tous les matins avant sortir il retire de l'argent du distributeur à côté pour qu'on puisse manger tous les deux", souligne Téodor. C'est un bon début pour le couple mais il reste à faire le plus difficile : trouver du travail.
Parce qu’elle est la cousine de Téodor, Sabina l’a rejoint à Nîmes avec son beau-frère Angel qui n'a que 21 ans. Elle n'a pas pu être hébergé par le généreux Marocain mais elle ne se plaint pas : "Heureusement, les Nîmois sont généreux et ont toujours une petite pièce à me donner. Ça ne me dérange pas de dormir dans les rues, j'’y suis habituée. La différence avec ma cabane en Roumanie, c'est qu‘ici il fait chaud". C’est d’ailleurs pourquoi elle est venue dans le sud de la France. Ses cheveux sont soigneusement coiffés et avec son T. Shirt sur lequel on lit « Only girl », elle ne se distingue guère des autres adultes qui fréquentent les bars de Nîmes. Sauf qu'elle n'a jamais été dans un endroit pareil car en Roumanie l'accès dans les lieux de loisirs est interdit aux Rroms. Ici, on appelle ça "discrimination raciale" mais pour elle c'est un simple fait de la vie quotidienne. Dormir, mendier et manger sont ses seules activités mais Sabina se sent heureuse d’avoir retrouvé enfin sa liberté dans les rues de Nîmes.
Car contrairement à une idée répandue, les filles ne se prostituent pas. Sibian explique : "Il y a bien une quinzaine de prostituées roumaines à Nîmes. Mais elles ne dorment pas dans la rue. Nous, on est venu pour chercher du vrai travail". Et Sibian sait qu’il ne cherchera pas toute sa vie. Son vrai trésor se trouve dans sa sacoche : il a gardé un téléphone portable dont le forfait est épuisé. Il ne s’en sert plus que comme réveil et, surtout, comme répertoire : il y conserve précieusement tous les numéros des ces amis restés en Roumanie : "Je ne resterai pas à Nîmes pour toujours. Si je ne trouve pas de travail, je repartirai. J'ai un bon métier et je pense que je gâche ma vie". Quelques jours après ce reportage, Sibian nous a appelé de son portable : il venait de revenir en Roumanie.







Repères

- On en comptabilise de 7 à 10 millions de Rroms en Europe dont près 4 millions en Roumanie.


- Les Rroms, c’est le nom officiel donné par les Nations Unies aux romanichels, bohémiens et autres tsiganes, manouches, venus d’Europe de l’Est et, à l’origine, de l’Inde. Les gitans refusent d’être assimilés aux Rroms.





La manche, de l’aube au crépuscule

Mendier est l'activité principale des Rroms à Nîmes. Comme pour un travail classique, ils quittent leur "foyer" principal -la rue, les arches de la gare ou dans des squats du côté de la route d’Arles- tôt le matin et se rendent sur les places de travail. Les endroits fréquentés par les mendiants sont nombreux : les centres commerciaux, devant le parking des Arènes, à la gare mais aussi devant le théâtre, la cathédrale Notre-Dame et le musée du Vieux Nîmes car il y à plus de touristes et des visiteurs.
Chacun occupe une place précise et aucune rivalité n'est possible parce qu'il n'est pas accepté de quitter une place et de prendre la place de quelqu'un d'autre. Il n'existe pas non plus une hiérarchisation des rôles dans le groupe, ni une supériorité homme-femme : tout le monde doit travailler de la même manière.
Faire la manche du l'aube au crépuscule, est vécu comme une activité honteuse mais inévitable : "Les gens ont toujours de la petite monnaie pour nous donner mais souvent on part avec les mains vides", dit Adriana.
Les poubelles sont une autre source principale "d’enrichissement" : les Rroms y trouvent souvent des vestes, des chaussures et des objet utiles pour mener une vie presque normale.
Ils sont rarement sales, la plupart des hommes sont rasés, les femmes propres et souvent maquillées. Chacun possède une petite sacoche dans laquelle on peut trouver une pièce d'identité roumaine, quelques centimes gagnés pendant la journée et, plus rarement, des pièces de 1 ou 2 euros.
Mendier n’est pas punissable. Les policiers ne les dérangent jamais car les Rroms appartiennent à l'Union Européenne et ne sont pas expulsés.


Des SDF sans « couverture sociale »


La pauvreté en Roumanie les a fait se disperser après l'adhésion du pays à l'Union Européenne. Aujourd'hui, les Rroms parcourent toute l’Europe, surtout l’Italie, le sud de la France et l’Espagne. Ils préfèrent les endroits plus chauds où la chance de survivre dans la rue est plus forte.
La France les attire surtout pour son système social développé et unique : ils mangent gratuitement tous les jours à 21h à la gare de Nîmes et sont accueillis dans les centres d'hébergement.
Ils refusent néanmoins d’entrer dans les structures : "On ne refuse personne à l'Espélido, un centre d'hébergement d’urgence nîmois. Mais pour être pris en charge il faut se présenter sur place". Ce que les Rroms ne font pas. Aucune demande d'aide n'a pas été enregistrée dans les centres spécialisés d'alimentation, comme l’Adejo. Quand le SAMU Social de Nîmes leur a proposé son service d'hébergement pendant les vagues de froid, il ont toujours refusé. "Nous ne parlons pas français et donc on ne peut pas se comprendre avec les gens qui travaillent dans ces centres", justifie Sibian. Et puis, on a peur. Tous le monde nous pose des questions pour savoir d'où l’on vient, où on vit, où on va";
Il y a quelques mois, ils squattaient les arches de la gare, sous l'avant-dernière arche de la gare, mais après ils ont choisi un autre abri beaucoup plus calme sur la route vers Arles. Pour eux vivre en liberté, ce qui signifie dormir dans la rue, est primordial et toute intervention de l'extérieure est vécue comme hostile.




Ivan Ivanov
Rédigé par Ivan Ivanov le Vendredi 16 Novembre 2007 à 17:29