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Chronique de Danik Ibrahim Zandwonis

Nicolas Maury

Danik Ibrahim Zandwonis, Rédacteur en chef des Nouvelles Étincelles (hebdo du Parti Communiste Guadeloupéen) pour l'Humanité

Vous avez dit crise sociale ?

La sortie de crise est-elle encore lointaine ? C’est bien la question qui a été le plus souvent posée ce week-end, en Guadeloupe. Difficile d’y répondre positivement, car nous avons tous, depuis longtemps, dépassé les limites de l’ordinaire, voire du raisonnable. Qui peut un seul instant penser, croire ou admettre qu’après 27 jours le LKP puisse décider d’une fin de grève sans avoir au moins réussi à arracher les « 200 euros » qui ont aujourd’hui force de symbole ?

Sur le plan de l’éthique, l’État français et ses représentants, y compris le locataire de l’Élysée, ont géré ce conflit avec la plus grande désinvolture. Au cours de derniers jours, ils ont fait preuve d’une si grande légèreté qu’on en vient à s’interroger sur la morale de ses dirigeants. Même si nous voulions faire mine de n’être pas esclaves de notre histoire, récente ou lointaine, tout a été fait pour qu’elle remonte par pans entiers dans notre quotidien.

Le 14 février 1952, la ville du Moule était le théâtre d’une tragique bavure. Les gendarmes tiraient sans raison sur une foule de badauds : cinq tués, des dizaines de blessés. Manière forte pour mettre un terme à une grève d’ouvriers agricoles. Samedi dernier, LKP a mobilisé une foule considérable sur les lieux mêmes de cette tuerie. Un grand moment d’émotion, mais surtout de détermination. Le 26 mai 1967, cette fois à Pointe-à-Pitre, encore une grève ouvrière, encore des Guadeloupéens morts parce qu’ils osaient réclamer 2,5 % d’augmentation de leur salaire de misère. L’État français n’a jamais fait lumière sur ces crimes impunis, quarante-deux ans après.

Oh ! me dira-t-on, c’est de l’histoire ! NOTRE histoire. Mais pourquoi revenir sur ces périodes sombres ? Parce que personne ne souhaite que la belle épopée du LKP se termine en bain de sang. Or, en dépit des précautions innombrables du LKP, il suffirait d’une étincelle pour mettre le feu à la plaine. Depuis la fuite dimanche dernier de M. Jégo et son retour mains vides et la bouche pleine de mensonges éhontés, nous sommes dans une situation de crise dans la crise. Les grands patrons, avec leur cynisme coutumier, font des propositions inacceptables dans une négociation. L’État, en se retirant maladroitement, en n’assumant plus son rôle, laisse face à face des protagonistes qui ne peuvent plus discuter.

Autre donnée non négligeable : quel peut être, si la tension augmente, le rôle des centaines de policiers en armes parqués sur tout le territoire ? Sauront-ils faire preuve de maîtrise ? Jour après jour, le climat s’alourdit. Certains pensent déjà que cette crise sociale pourrait bien enfanter une solution politique, car il ne faut pas non plus se faire d’illusions, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion, la question du pouvoir d’achat n’est qu’une feuille de vigne. Les peuples ne se nourrissent pas que de pain. Ils ont aussi faim de dignité, de fierté, de liberté. La crise s’exporte en France. Nous en reparlerons, car l’histoire des peuples de Guadeloupe, de Martinique ou de Guyane ne se laissera pas distraire par des subsides versés, ou non, par un État méprisant…

Nous sommes des colonisés !

Depuis sans doute la fin de la guerre d’Algérie, en France, on avait un peu oublié ce vocabulaire, disons-le un peu désuet, peut-être même ringard. Colon, colonies, colonialisme. Qui en 2009, en France, pense encore les Caraïbes, comme « dernières colonies de la France en Amérique » ? Et pourtant, quand on gratte le vernis à peine patiné par soixante-quatre ans de « départementalisation », que découvre-t-on ? À l’ombre généreuse des cocotiers, au soleil des belles plages de sable chaud, où viennent mourir les eaux les plus azurées, quatre siècles après la fin officielle du travail servile, l’exploitation la plus féroce du capitalisme colonial demeure. Les « Dom », qu’elles aient pour nom Martinique, Réunion, Guyane ou Guadeloupe, sont des paradis factices.

Il y a 15 jours, Yves Jégo, l’homme qui ment plus vite que son ombre, eut un éclair de vérité et demanda à la criée : « Pourquoi, dans les hypermarchés de Pointe-à-Pitre, une simple brosse à dents coûte-t-elle 4,50 euros ? Sans doute, sans le faire exprès, il venait de découvrir une boîte de Pandore. Au soleil toujours rieur des jolies colonies… pour vacanciers fortunés, la vie est rude. Les salaires sont désespérément bas. Les patrons sont une oligarchie, installée dans ces « isles » depuis les temps les plus anciens de la servitude. Après avoir, grâce au Code noir de Colbert, usé leur fouet sur le cuir humain de génération d’hommes et de femmes noirs privés de liberté, les maîtres d’hier sont justes devenus des patrons. Les rapports n’ont guère évolué, ils appliquaient hier avec toute la sévérité et toute la rigueur nécessaires le Code noir, et aujourd’hui, ils ont bien du mal à appliquer le Code du travail. Alors, au fil des ans, des syndicats ont vu le jour, les partis de la gauche ont affirmé leur anticolonialisme ; l’État colonial, copain copain avec le capitaliste usinier ou bananier, n’a jamais démenti son soutien aux puissants et aux puissances d’argent. Souvent loin, au loin de la France mère des arts, terre des droits de l’homme, le travailleur démuni est beaucoup moins qu’un simple exploité : il est en plus colonisé. Là-bas au soleil des Caraïbes, à l’envers de la belle carte postale mer sable soleil, sea sand sun, il ne fait pas si bon de vivre. lors le 20 janvier dernier, 49 organisations syndicales culturelles et politiques, guadeloupéennes, se sont levées comme un seul homme et ont décidé de gripper la machine coloniale. Ils disent « non » à Sarko, « oui » à une autre vie, et peut-être à un autre statut. La bataille contre la « pwofitasyon » a commencé et vous allez en entendre parler…

Une grève sous les cocotiers, coco !

Ainsi donc, il aura fallu à M. Sarkozy que les Caraïbes menacent sérieusement de s’enflammer pour qu’il daigne, et du bout des lèvres, proposer une rencontre aux parlementaires de la Guadeloupe.

Ce jeudi, donc, Monsieur le Président de la République de France et de Navarre s’entretiendra avec les exécutifs et parlementaires made in « outre-mer », à 18 heures et en fin de journée…

Du côté de la mer des Caraïbes, on commence à bien savoir que le matin, en se rasant, Sarko ne se prend pas à rêver de ces confettis d’îles perdues, quelque part entre les Amériques du Nord et du Sud. Il est donc bien fini le temps du gaullisme en mode paternaliste. Jacques Chirac aura été l’un des derniers de la génération de Gaulle à chanter sur tous les modes un « amour » fou et incommensurable pour cette « France » extra-muros. On en rit à pleurer, sans regret aucun. On comprend alors que, du côté des Caraïbes, une grève, même de 28 jours, ne fasse pas le moins du monde sourciller Monsieur le Président de la France ! On se rappelle sans sourire que c’est ce Sarkozy qui disait tantôt que, lorsqu’il y a une grève, « ça ne se voit pas ». Sarko parlait bien sûr de la France de France. Mais alors comment espérer qu’une grève sous les cocotiers lui fasse chaud ou froid ?

Pendant, donc 28 jours, une « île s’est levée en un cri » contre les « pwofitasyon », contre la hausse exorbitante des prix, contre les incroyables marges des rois de l’import, « pwofiteurs » d’une absence totale de contrôles.

Dix jours après, une autre île s’est levée, ohé Martinique ! Et puis au loin des Caraïbes, dans l’océan Indien, encore une île qui se lève. Ohé la Réunion ! C’est l’empire qui s’embrase, parce qu’ici ou là, là-bas et ailleurs, ils ont tous été sourds, muets et aveugles. N’est-il pas pire « aveugle » que celui qui ne veut pas « entendre » ? Et pire « sourd » que celui qui ne daigne pas « voir » ? C’est donc vrai là-bas sous les cocotiers, les pires sourds sont aveugles et les pires aveugles sont muets !

Un mois déjà que le Collectif Lyannaj kont pwofitasyon (Collectif contre l’exploitation capitaliste et coloniale) bat la semelle. Mais vous savez, sur la plage, sans doute le bruit des pas aura été amorti et personne à Matignon ou l’Élysée n’a voulu ni voir ni entendre ceux qui étaient en grève… sur la grève ! La nuit dernière, il a fait chaud sous les cocotiers. Les champs de cannes s’embrasent. La colère gronde au son du gwo ka. La misère chante sa faim, pas encore la fin des misères… Il paraît que Sarko a enfin entendu et que nous serons entendus. C’est à voir.

Un homme est mort

Cette nuit, un homme est mort. Un mort de plus. Mort à Pointe-à-Pitre dans la nuit noire qui s’est lourdement abattue sur une Guadeloupe en lutte.

Un homme est mort parce que, depuis 30 jours, le gouvernement français s’est enfermé dans sa surdité. Un homme est mort, c’était un syndicaliste. Il est mort sans savoir si, aujourd’hui ou demain, ceux qui obligent tout un peuple à marcher pour sa dignité comprendront pourquoi il est mort.

La tristesse est dans le camp du LKP. Un homme est mort, comme en février 1952, comme en mai 1967. Notre histoire est toujours une histoire de morts. Car, dans la colonie, on meurt d’être colonisé, on meurt de vouloir se libérer des chaînes qui, jusqu’en 1848, privaient les Guadeloupéens de ce bien si précieux qu’est la liberté. Un homme est mort. Militant CGTG, militant culturel du groupe Akiyo, proche du collectif LKP. Il était de ceux qui continuent de croire qu’une cause juste obtient toujours un large soutien. Mais la vie l’a quitté et il laisse à ses camarades le flambeau d’un combat qui continuera. Ici, chez nous, la violence est une ombre hélas trop fidèle, qui ne lâche pas l’homme noir. Un homme est mort en Guadeloupe, terre de conflits toujours plus âpres. Un homme est mort aussi parce que l’État français, cyniquement, joue le pourrissement.

Un homme est mort comme sacrifié parce que les conditions n’ont jamais été réunies pour qu’enfin les revendications avancées par le collectif LKP se traduisent par des actes responsables. L’État fuyant, l’État absent, l’État arrogant et souvent méprisant, l’État menteur, l’État zigzagueur, l’État sans grâce à nos yeux, l’État dans toute sa « colonialitude » n’est jamais le même à 8 000 km de Paris.

Ici l’État est répressif, sans coeur, parfois haineux, voire raciste parce qu’unicolore. Un homme mort, comme bien d’autres, depuis que ce jour de 1635 quand, au nom du roi de France, cette terre des Caraïbes est devenue française, anglaise, puis française. C’est cela l’histoire des peuples qui n’ont jamais eu la maîtrise de leur histoire. Alors ils sont morts par centaines, par milliers, ici ou à Verdun, dans les Dardanelles ou en Indochine, parfois dans la casbah, car là-bas, chez nous, on meurt aussi pour des causes qui ne sont pas nôtres.

Un homme est mort bêtement. C’est injuste.

Retroussons nos manches !

Attention, cela vaut la peine d’être noté. Dans une île de 440 000 âmes. Et un territoire de 1 800 km2, depuis un mois maintenant, à plusieurs reprises déjà, 60 000 personnes sont descendues dans les rues avec le collectif LKP.

Vous imaginez, en France cela ferait plus de 8 millions de manifestants ! Mais cela n’aura pas été quand même suffisant pour « retenir » l’attention d’un gouvernement qui n’a jamais, ô grand jamais, été à l’écoute de la rue.

Tout porte à croire que le gouvernement français n’est plus seulement sourd, mais tout à fait indifférent. Les Caraïbes avec ou sans grève(s) générale(s) ? Sarkozy s’en fout. Et plus que royalement.

Mercredi, les grandes centrales syndicales françaises ont spontanément mis la pression sur le président, l’obligeant presque à mettre le nez dans un dossier qu’il ne souhaitait pas évoquer.

Toute la presse française, depuis une semaine, (mais avec trois semaines de retard !) a fait du « problème guadeloupéen » une question d’actualité. Mais cela n’aura pas suffi à mobiliser un gouvernement qui est resté enfermé dans son bunker. Mais, soyons justes, la ministre de l’Intérieur, tutelle de M. Jégo, a eu enfin une réaction… Elle a dépêché sur place de nouveaux escadrons de gendarmes.

La meilleure réponse qui soit aux problèmes de société, aux 26 % de chômeurs, au coût exorbitant des produits de première nécessité, aux marges fantastiques de la firme Total, au déficit de logements sociaux, de lycées, etc., c’est la répression ! Encore un effort MAM.

Alors en Guadeloupe, on compte désormais les points, on engrange, car cette grève générale d’un mois aura fait tomber tous les masques. Ceux qui depuis des décennies posaient le problème d’une vraie décolonisation de ces îles Caraïbes savent qu’ils ont eu raison. L’État sarkozien aura montré son vrai visage.

Après quatre cents ans de pillage, de mépris, de crachats, d’hypocrisie, ceux qui s’étaient endormis en « rêvant » d’une Guadeloupe française savent que le réveil sera brutal. Pas d’amertume, camarades, retroussons nos manches, soyons lucides.

Il va falloir enfin commencer à faire de cette ex-colonie un pays, ne plus se battre pour 200 euros ou un RSA, qui ne seront jamais rien d’autre que des « pansements » d’urgence. Quand un pays est malade aussi profondément et que l’État est aux abonnés absents, il faut alors inventer d’autres possibles. Le combat ne fait que commencer, mais il fallait le commencer. C’est fait !


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