Un bouquet pour Lisbeth

Henri VARIO-NOUIOUA

"La mort est la plus folle des illusions de l'Homme.

Au point que lorsqu'il s'enfouit sous terre, il se décompose à la surface."

Un bouquet pour Lisbeth
Nous habitions une de ces banlieues blafardes des environs de Paris. Ce jour-là, je réussis facilement, à cause de la pluie, à prendre mon métro sans dépenser un rotin.

Vers dix-huit heures, je m’engageai dans la puanteur misérable de notre cage d’escalier. Plus par habitude que par défi, j’urinai devant la porte du gros du troisième. Un jet foncé, continu, a l’odeur d’acétone.

Une odeur de plus.

Je pinçai les narines, plongeai le nez dans mon bouquet. Il était composé de trois artichauts séparés par de jeunes carottes à la verdure vive. Au centre, un énorme poireau déployait ses vertes feuilles. Le tout était lié à la base par un fil de fer camouflé par un joli ruban rouge. Le fumet de terre que dégageait les légumes m’émut.

Je continuai mon ascension.

Au cinquième, une minette était assise sur une marche, sa main nonchalamment posée sur la cuisse de son compagnon. Je leurs souris. Mon bouquet semblait les impressionner. Ils ricanèrent.
- C’est quoi, ce truc?” lança le garçon.
- Une soupe portative!” répondit la fille tout en inhalant une goulée de son joint.

Je montai encore. Notre chat était là, m’observant de ses yeux lumineux. Enfin, ce fut le neuvième.

Lisbeth, c’est moi!”
- Tu es mouillé. Tu as du travail?”
Je négligeai de répondre. Esquissant gaiement un pas de danse, j’empoignai le gros vase posé sur la commode.
La voix de Lisbeth m’interrompit:
- C’est quoi, ce truc?”
Je le lui tendis:
- C’est pour toi, ma chérie. Ce sont des primeurs!”
Elle avança la main, souriante.
- C’est trop tard pour la soupe de ce soir. Ce sera pour demain.”
- Quoi demain? criai-je”
- Mais la soupe, bien sûr.” affirma-t-elle avec force.
Mes mains tremblaient. La voix cassée, je réussis à articuler:
- C’est ton cadeau, Lisbeth!”
J’avais envie de la prendre dans mes bras. Elle dut le sentir, mon bouquet serré contre elle, elle tourna les talons. Je la suivis, la contournai pour lui faire face. Je me surpris à l’observer attentivement… Ma femme, du moins ce qu’il en restait: de grands yeux noirs mais désormais dans le vague, une lourde poitrine affaissée tout à la fois par l’absence de désir et de soutien-gorge. Le déclic que j’attendais depuis des jours, des semaines, des mois se produisit enfin.
La décision s’imposa d’elle-même à mon esprit.

Texte integral en allant sur  le MaG de Stanislas et ses Amis


Commentaires (2)
1. Henri Vario le 18/11/2005 12:00
Vous vous en doutez.
Ce texte est une fiction qui est sans rapport avec la crise des Banlieues !
2. Stlvie Delhaye le 06/08/2012 21:34
A lire de toute urgence pour se consoler de la vie...
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