Tunisie: la laïcité en devenir...?

Vendredi 3 Juin 2016 17:09

Si, en Tunisie, une grande partie de la jeunesse s'est engagée dans la laïcité, il n'en est pas moins vrai que l'espace public est envahi par des cohortes de prêcheurs d'un autre temps. Une véritable déferlante islamiste qui contredit de façon criante l'image que veulent donner les médias français de la république tunisienne.
Le professeur Mohamed Boukhari, sociologue et fondateur du PPRT, Parti Progressiste Républicain Tunisien, expose sans complaisance et avec l'objectivité qu'on lui connaît la situation d'un état failli et dresse un inventaire des échecs de la révolution du jasmin.



Remarquons d’entrée de jeu que la culture politique en Tunisie n’est ni démocratique, ni moderniste, ni laïque. En effet, la culture politique prédominante de la société tunisienne et de sa scène politique est gorgée d’archaïsme, d’hypocrisie sociale, de religiosité déculturée et d’ignorance sacrée : « la sainte ignorance »(1) comme l’explique très bien Olivier Roy.

L’image rendue par les medias occidentaux - et particulièrement français - de la société tunisienne est une image simpliste, voire même fausse. La Tunisie est présentée comme étant cette opposition laïcs contre islamistes. C’était déjà le cas lors des élections législatives du 26 octobre 2014: « Le parti laïc Nidaa Tounès remporte les élections »(2), «  La Tunisie vote laïque » (3).
Il faut souligner le fait que, lors des élections de l’assemblée constituante du 23 octobre 2011, personne n’a proposé un véritable débat sur la laïcité pour éclairer les électeurs. On a eu droit à «un état civil», et à la fable populiste « il faut ménager la sensibilité du peuple ». Dans ce climat de propagande islamiste anti-laïcité et de compromission des soi-disant modernistes qui se disent « hadathyoun », justement pour se démarquer du concept de modernité, la chaîne de télévision Nessma diffuse le film « Persépolis », jugé blasphématoire. Quelle aubaine pour le parti islamiste Ennahdha qui  monte au créneau et déclare que le film a « touché tout ce qui est sacré pour les Tunisiens » (4).
Dès lors, libre à  la déferlante islamiste ...

Dès lors, libre à  la déferlante islamiste d’envahir l’espace public par des cohortes de prêcheurs et prédicateurs d’un autre temps. La propagation des thèmes salafistes fait rentrer le pays dans un chaos organisé. La suite, on la connaît. Le pays recule sur tous les plans et devient le premier pourvoyeur des mercenaires pour tous les terrains où sévit le terrorisme.
En aucun cas l’islamisme ne peut établir la démocratie et l’Etat moderne. Le fiasco du printemps tunisien est patent. L’Etat failli s’installe, la corruption est légion, le désordre et l’insécurité règnent.
Force est de constater que le courant laïc et progressiste est minoritaire dans le pays. En effet, l’audience de la philosophie et de la philosophie des lumières, de la sociologie politique et de l’histoire est limitée. Le Tunisien ne lit pas. La majorité se contente de glaner des informations par le canal des réseaux sociaux ou des chaînes de télévisions, notamment celles qui véhiculent des idées archaïques présentées comme la quintessence de la pensée musulmane et qui n’est autre chose que l’idéologie des frères musulmans, du wahhâbisme et du salafisme ravageur.

Nous entendons, par courant laïc et progressiste, l’ensemble de celles et de ceux qui se regroupent en structures associatives et partisanes pour faire progresser les hautes valeurs de l’humanité : La liberté, l’égalité, la fraternité, la justice sociale, la dignité de la personne humaine, l’Etat moderne et son droit et la laïcité.
Ces valeurs sont diamétralement opposées à l’islamisme, toutes tendances confondues.
Ceci posé, pourquoi, le courant laïc et progressiste est-il minoritaire, voire absent ? Nous pouvons résumer cette situation dans les points suivants :
- L’absence d’intellectuels capables d’animer le débat autour des valeurs énoncées ci-dessus et de permettre au grand public de connaître l’héritage rationaliste dans la tradition arabe et dans la pensée universelle.
- L’absence de sociabilité (réunions culturelles, clubs et autres formes de réseaux de communication pour sensibiliser le citoyen aux questions sociales, politiques et culturelles).
- L’absence de formations politiques véritablement progressistes et laïques porteuses de projets de société pour dépasser l’impasse réformiste et conservatrice de la politique dans le pays.

Ce constat de faiblesse ne veut nullement dire l’impossibilité pour les forces de progrès de se présenter et se constituer comme une alternative pour une société moderne, la démocratie radicale, le savoir et la raison qui l’emporteront certainement sur la superstition, la félonie et l’ignorance sacrée.

C’est dans ce sens que nous pouvons mentionner le Parti Progressiste Républicain Tunisien, légalisé par une décision du ministre de l’intérieur tunisien en date du 4 juin 2011 et sa devise : Liberté – Fraternité – Laïcité. Le (PPRT) œuvre pour le triomphe de l’humanisme, de l’Etat moderne et son droit et d'une société moderne ouverte sur le monde et enracinée dans notre histoire et dans notre culture.
    
Parti laïc dans sa devise, dans son action, et aussi dans sa déclaration de principes qui stipule dans son article 21 : « La laïcité est pour nous le principe social et politique qui permet à notre peuple de vivre dans la cohésion et dans la pluralité, elle ne prétend pas combattre les religions. Elle se conçoit difficilement sans les notions de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et de la solidarité.
Elle repose sur des principes humanistes forgés au cours de l’histoire. Elle est une affirmation forte de sens et de valeurs au service de la liberté individuelle. Elle est le plus sur garant de la paix civile.
Elle s’exprime par un combat de la libre pensée basé sur une conception philosophique non confessionnelle, pour éviter le recours à des tentations autoritaires, sectaires et / ou dogmatiques et théocratiques.
La laïcité est à la fois un idéal politique et le dispositif juridique qui le réalise. Elle doit être une valeur fondatrice et un principe essentiel de la République en Tunisie, qui reposent sur trois grands piliers : la neutralité de l’État, la liberté de conscience et le pluralisme.
Nous œuvrons pour l’inscription de la laïcité dans la constitution de la République Tunisienne ». (4)
La laïcité doit être au cœur du pacte républicain que nous devons refonder. Voilà  comment, à  notre  sens, la laïcité doit être comprise et comment on doit l’intégrer dans la culture politique et dans le combat politique pour :
Une république Tunisienne sociale, démocratique et laïque.

Par Mohamed Boukhari, sociologue
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1 - Olivier ROY, La Sainte ignorance : le temps de la religion sans culture, Paris, Seuil, 2012, 384 p.
2 - Législative en Tunisie : le parti laïc Nidaa Tounès remporte l’élection, L’express, 30 octobre 2014.
3 - La Tunisie vote laïc ! , Marianne, 27 octobre 2014, par Martine Gozlan.
4 – Parti Progressiste Républicain Tunisien, déclaration de principes, Tunis 25 avril 2011, p.7.



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Mohamed Boukhari, sociologue



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