Tout le monde s’attendait à un revers cuisant pour le gouvernement travailliste aux municipales du 4 mai, mais peut-être pas à ce point. Depuis la fin des années 1930, c’est en effet seulement la deuxième fois que les travaillistes se trouvent relégués à la troisième place dans de telles élections, derrière les conservateurs et les libéraux-démocrates, avec tout juste 26% des voix, dans une élection où 64% des inscrits n’ont pas jugé utile d’aller voter.

Il est vrai que, dès le premier scrutin municipal qui suivit leur retour au pouvoir en 1997, les travaillistes avaient commencé à perdre du terrain aux municipales. Depuis, leur recul s’est poursuivi d’année en année. Néanmoins, même après avoir perdu la position majoritaire qu’ils détenaient parmi les conseillers municipaux du pays, il y a deux ans, les travaillistes continuaient à contrôler la majorité des grandes municipalités.

Cette période est désormais révolue. Conséquence des 336 sièges qu’ils ont perdus le 4 mai, les travaillistes ne dirigent désormais plus que 9 des 32 municipalités de l’agglomération londonienne. Et s’ils n’ont perdu que sept grandes villes dans le reste du pays, c’est essentiellement parce que, contrairement aux conseils municipaux londoniens qui étaient soumis intégralement à ré-élection, ailleurs seul un tiers des sièges était renouvelé.

Le fait peut-être le plus marquant de la campagne électorale aura été... qu’il n’y en a pas eu. Cela fait déjà un certain temps que la direction travailliste, qui a perdu plus de la moitié de ses adhérents depuis 1997, a du mal à mobiliser ses troupes pour le porte-à-porte traditionnel des campagnes électorales. Mais cette année, non seulement bien des adhérents s’y sont de nouveau refusé en disant qu’ils n’avaient aucune envie de porter le chapeau pour la politique de Blair devant des électeurs mécontents, mais, chose assez rare, dans certaines villes les militants locaux ont fait ouvertement campagne contre les candidats officiels imposés par l’appareil du parti. Fait tout aussi significatif, s’agissant de l’électorat traditionnel des travaillistes, les affichettes de soutien à leurs candidats qui, d’ordinaire, ornent les vitres des fenêtres des quartiers ouvriers, sont restées invisibles cette année.

Tout cela reflète la profonde rancœur que Blair et sa politique ont réussi à susciter dans une partie de la population laborieuse. L’arrogance bien pensante du régime, sa sempiternelle auto-satisfaction à propos de l’économie, c’est-à-dire des profits patronaux, alors que pour des millions de salariés, de chômeurs ou de retraités, les conditions de vie ne cessent de devenir plus dures, constituent une provocation permanente. Et ce n’est pas le son des milliards d’euros dont Blair arrose certains secteurs des services publics en arborant des airs généreux, qui peuvent calmer la frustration des classes pauvres. Car elles n’ont jamais vu la couleur de ces milliards qui, sous prétexte de «moderniser» la Santé ou l’enseignement, vont en fait tout droit dans les poches des requins du capital qui vivent en parasitant la manne étatique.

Cette fois, contrairement aux scrutins des trois dernières années, ce n’est pas tant la politique de Blair en Irak qui semble avoir déterminé les électeurs. Sinon, les scores des libéraux-démocrates, qui ont tout misé sur leur opposition (très modérée) à la guerre, n’auraient pas stagné comme ils l’ont fait. En revanche, les menaces contre les retraites des travailleurs et la protection sociale des plus pauvres, la crise du logement qui s’aggrave et les vagues de licenciements qui se multiplient semblent avoir pesé bien plus lourd. Dans la seule semaine des élections, 14000 suppressions d’emplois ont été annoncées par cinq grandes entreprises riches à milliards, en plus des 7000 suppressions d’emplois récemment annoncées dans les hôpitaux et des dizaines de milliers d’autres en cours dans la Fonction publique et la Poste.

Pendant qu’il aggrave ainsi les conditions de vie des travailleurs, le régime va de scandale en scandale, tous plus artificiels et dérisoires les uns que les autres, mais révélant néanmoins des rivalités sans merci dans ses plus hautes sphères. Cela fait maintenant un an que Blair a annoncé son départ prochain vers une nouvelle carrière dans le monde des affaires. Dans cette atmosphère de fin de règne, il y a des relents de pourriture. Mais la politique de Blair pourrit aussi la vie des travailleurs. Et c’est ce qu’ils ont exprimé le 4 mai, avec les moyens limités que leur offrait cette élection.

Et dire de Ségolène Royale qui loue cet exemple, sa laisse a réfléchir.