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Evincés par le PS, les députés des banlieues rouges oscillent entre larmes et colère

Perspective communiste

Scène surréaliste, mercredi 13 juin, à la sortie d'une galerie commerciale dans le centre-ville de Saint-Denis, sous-préfecture de la Seine-Saint-Denis. Des militants PS locaux et leurs homologues du Front de gauche distribuent des tracts de campagne en s'envoyant des piques, sous le regard interloqué des passants. "Vous avez toujours été des traîtres", accuse une militante communiste. "Mauvais perdants !" répond un socialiste

Cette tension politique est née des résultats décevants de la gauche radicale au premier tour des législatives. En 2007, seize députés communistes et trois députés du Parti de gauche avaient obtenu un siège à l'Assemblée. Cinq ans plus tard, regroupés sous la bannière du Front de gauche, ils ne devraient cette fois obtenir qu'entre huit et dix sièges. Au-delà des têtes d'affiche désavouées, comme Jean-Luc Mélenchon à Hénin-Beaumont ou Martine Billard à Paris, c'est surtout la perte des "banlieues rouges", ces circonscriptions franciliennes historiquement communistes désormais acquises aux candidats socialistes, qui inquiète le Front de gauche.

La 2e circonscription de Seine-Saint-Denis a ainsi échappé à Patrick Braouezec, figure de la gauche radicale, député communiste depuis dix-neuf ans. Dimanche 10 juin, avec 31,17%, il s'est qualifié pour le deuxième tour mais a été devancé par les 36,51% de Mathieu Hanotin, jeune socialiste de 33 ans.

"C'est vraiment triste"

Un accord régional PS-FDG-EELV prévoit que dans un tel cas, le candidat arrivé second se désiste. Mais, contrairement à ses camarades listés par France 3 Ile-de-France, Patrick Braouezec, 61 ans, refuse de céder et compte bien remporter ses cinquièmes législatives. Pas question de voir le Front de gauche plus affaibli encore.



"C'est vraiment triste, regrette Alice, en tendant un tract PS devant la basilique de Saint-Denis. Et puis je ne comprends pas comment Braouezec croit gagner." "Il va s'appuyer sur les voix des anciens communistes passés au FN, lui répond Driss, employé de banque de 35 ans, dionysien depuis sa naissance. De toute façon, des communistes ici, il y en a de moins en moins. Les nouveaux arrivants, ils votent PS."

Mathieu Hanotin, le très jeune candidat socialiste, se dit "serein" malgré le maintien de Patrick Braouezec. "J'ai le soutien officiel du PCF. L'union de la gauche, c'est moi." Il n'oublie pas d'égratigner son adversaire, "un homme seul qui pense plus à sa fin de carrière qu'à l'avenir de la gauche". Mais il clame surtout que "les électeurs du 93 veulent du changement". D'abord "parce qu'ils ont été touchés plus que les autres par cinq ans de sarkozysme". Mais aussi "parce qu'il y a une usure du communisme".

"La faute à Jospin"

Roland Muzeau tente d'étouffer un sanglot. Et n'y parvient pas. C'est un homme touché qui évoque, d'une voix chevrotante, ses proches "qui lui ont demandé de se maintenir au second tour". "Mais j'ai souhaité rester fidèle à mes convictions", lâche le député sortant de la 1re circonscription des Hauts-de-Seine. L'émotion est forte, le mot "retrait" ne sort pas.

Avec 29,76% des voix, l'ex-porte-parole du groupe communiste à l'Assemblée a lui aussi été devancé par les 32,51% d'un jeune socialiste, Alexis Bachelay, 38 ans. Le choc du désistement est violent pour Roland Muzeau. "Le plus dur, c’est que j’ai pourtant fait un boulot de dingue à l'Assemblée." Et la colère remplace les larmes. "C’est la conséquence de cette loi folle et antidémocratique [l'inversion du calendrier électoral] décidée par Jospin ! Maintenant, les gens votent en fonction de la présidentielle. Ça amoindrit la légitimité du Parlement !"

"Les gens ne votent plus communiste sans réfléchir"

Au marché des Grésillons, à Gennevilliers, où Roland Muzeau est maire-adjoint et apprécié, l'analyse est la même. Karim, employé de 35 ans, veut "d'abord donner sa chance à Hollande". Mohammed, un ouvrier qui a voté Muzeau, est quand même satisfait "tant que c'est pas la droite". Solange, 66 ans, relève qu'ici François Hollande a largement devancé Jean-Luc Mélenchon, parce que le candidat du Front de gauche "a fait peur avec ses idées irréalistes".

C'est aussi ce que pense Alexis Bachelay, le candidat PS qui a poussé Roland Muzeau à se désister : "Ici, les gens sont matures et ne votent plus communiste sans réfléchir. Ils veulent de l'efficacité, pas des promesses intenables." Selon lui, le PS a pris le relais dans les banlieues en tirant des leçons de ses défaites, pour être plus proche de la population. "Dans le gouvernement actuel, il y a des femmes, des jeunes et des personnes d'origines diverses. Désormais, on incarne le changement quand les communistes sont parfois des élus en poste depuis plus de trente ans."

Reste à savoir si le Front de gauche entamera une telle remise en cause au lendemain des législatives qui, dans les banlieues rouges comme ailleurs, s'annoncent déjà comme un échec.

Christophe Rauzy
http://www.francetv.fr/info/evinces-par-le-ps-les-deputes-des-banlieues-rouges-oscillent-entre-larmes-et-colere_106875.html


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