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Front National « J’ai la rage : une tache brune, et ça tombe sur moi ! »

Lionel Venturini

Reportage à Brignoles (Var). Claude Gilardo, maire PCF de Brignoles et candidat du Front de gauche, dépose un recours contre l’élection à cinq voix près du conseiller général FN du Var

Il a soupesé jusqu’au bout le pour et le contre, dans son bureau de la mairie donnant sur la place Caramy, archétype de la place provençale. Fontaine, terrasses de café, petits commerces, douceur de vivre, s’il n’y avait ces reliquats du second tour sous la forme de deux panneaux électoraux. D’un côté Claude Gilardo, maire PCF de Brignoles, de l’autre Jean-Paul Dispard, élu à la surprise générale conseiller général FN avec cinq voix d’avance seulement.

Et après réflexion, Claude Gilardo a décidé de déposer un recours contre l’élection de l’un des deux seuls élus du Front national à ces cantonales. D’abord, en raison des manoeuvres « de nature à altérer la sincérité du scrutin », selon l’expression consacrée. « Il existe manifestement, dit le communiqué officiel, des signatures douteuses sur des listes d’émargement qui ne peuvent s’expliquer que par un système qui a permis de favoriser un candidat de façon irrégulière. » Puis, parce qu’il « ne pleure pas, (j’)ai la rage : une tache brune, et ça tombe sur (moi )! » tonne ce Piémontais d’origine.

Quand le FN attendait une dizaine d’élus sans parier une seconde sur le canton de Brignoles, il faut donc en interroger les causes. Une campagne de choc du FN ? Pas de meeting, pas de tract pour son candidat. Ses affiches datent un peu, elles mentionnent encore l’ancienne adresse à Saint-Cloud du Front, au temps de sa splendeur financière. Surtout, ses propositions pour le canton, au coeur de l’ex-pays minier des « gueules rouges » qui extrayaient la bauxite, démarrent par « territoire, développement urbain et environnement », se poursuivent par « économie, agriculture, tourisme ».

La « sécurité » arrive en sixième position sur sept, mêlant vidéosurveillance, effectifs de gendarmerie et création de pistes forestières pour lutter contre les incendies. On est loin du vade-mecum du parfait candidat frontiste délivré par le siège du parti. D’ailleurs, Jean- Paul Dispard, quand on lui demande comment il se déterminera dans l’assemblée départementale, dit ne pas vouloir « suivre systématiquement la ligne nationale du parti ». Horace Lanfranchi, réélu président UMP du Var, a toute son estime ; c’est un homme « droit et intègre », mais l’élu FN ne pouvait tout de même pas voter pour lui…

Cela aurait été un juste retour des choses, pourtant, pour le retraité du commerce de viande en gros qui a bénéficié largement du report des voix de droite. « 15 % environ », minimise- t-il. « Plutôt la moitié ! » rétorque Claude Gilardo, résultats en main. Qu’a fait l’autre moitié des électeurs de droite ? « Facile, il y a plus de 500 bulletins blancs et nuls, comparés au premier tour », relève le secrétaire fédéral du PCF, Alain Bolla.

La droite locale s’est délectée du « ni-ni » sarkozyste. La députée UMP Josette Pons a laissé les électeurs sans consigne, tandis que dans une commune du canton, La Celle, un courrier de la mairie fut opportunément distribué. On y lit que « depuis quelques jours, nous avons observé le passage anormal de fourgons ou véhicules suspects ». S’ensuit un appel à relever « immatriculations, nombre et signalement des personnes… », jusqu’à leur « description vestimentaire ». L’abstention, enfin, a achevé de donner au candidat FN le coup de pouce nécessaire. Non qu’elle soit, à Brignoles, le fait des quartiers populaires ; la vieille ville, qui concentre les revenus modestes, a largement porté en tête le candidat communiste, à la différence de la périphérie et des villages alentour. Un militant se lamente sur « le nombre de gens qui ne sont pas venus voter en se disant “Gilardo va passer de toute façon” » ! Si le recours était accepté, l’élection partielle pourrait intervenir à quelques mois seulement de la présidentielle. Elle prendrait alors figure de test avant le rendez-vous national.

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DUPRAT, DANS L’OMBRE DE LE PEN
Pas une fois Jean-Marie Le Pen n’a manqué de se recueillir sur sa tombe, chaque 18 mars. François Duprat, théoricien des droites extrêmes pendant les années 1960-1970, organisa formations et mouvements de Jeune Nation à Occident, d’Ordre nouveau au FN, fut indic et « honorable correspondant » sans doute aussi. Son assassinat à la voiture piégée en mars 1978 en fait un martyr du Front national. « Si nous gagnons des voix populaires et qu’il y a risque de victoire de la gauche, la droite n’aura pas d’autre choix que de valider nos thèses », formule-t-il un jour, rappelle son biographe Nicolas Lebourg, dans le webdocumentaire de Joseph Beauregard. « Nous ne serons alors plus les horribles fascistes, les nazis, nous serons une droite musclée, qui aura sa place dans le champ politique. »


Commentaires (3)
1. Fald le 08/04/2011 19:08
Dans un commentaire récent j'émettais des doutes sur les reports de voix PS, verts et gauchistes.

Tu crois qu'on en serait là s'il n'y avait aucun problème?

La triste réalité, c'est que la discipline républicaine et le barrage à l'extrème droite, c'est quand les communistes votent sur leur droite. Mais jamais quand leur droite vote pour eux.

Et tout ça pour ensuite, se faire traiter de stalinien par les mêmes.

Je proposais de leur tremper le nez dans leur merde, et je crois que ça reste d'actualité.
2. Brath-z le 07/06/2011 06:31
Cette histoire de "discipline républicaine" n'est qu'une vaste blague ! Les partis de "l'arc central" considèrent avec le même dédain ceux qui se trouvent à leur gauche comme ceux qui se trouvent à leur droite.
L'orientation imposée au forceps par F. Mitterrand et J.-P. Chevènement aux socialistes pendant les années 1970 et dont le reliquat a servi jusqu'à la fin des années 1990 n'a jamais pu effacer le fait que ces messieurs-dames de la sociale-démocratie autorisée considèrent le PCF et ses alliés comme de mauvais républicains.

Pendant la IIIème République, les présidents du Conseil républicains ne tenaient compte que des voix républicaines pour former leurs majorités. Ainsi, un président du conseil élu face à un autre grâce aux voix monarchistes s'effaçait. Après 1924, le même traitement a été infligé à la SFIC-PC, et cela s'est poursuivi jusqu'à la fin de la IVème République !
Comble de perfidie : pour construire une "troisième voie" centriste allant de la SFIO au MRP entre les gaullistes et les communistes, les socialistes inventèrent à la fin de la IVème République le système des "apparentements" permettant d'additionner les voix des candidats "alliés" pour obtenir une majorité quand bien même aucun d'entre eux ne serait en tête. Pour contrer cette manœuvre, il eût fallu que les communistes s'allient aux gaullistes, vu que la "gauche non communiste" ne voulait pas d'eux. Évidemment, et les socialistes comptaient là-dessus, pareil grand écart idéologique (moindre, cependant, qu'entre le Front de Gauche et les socio-libéraux du PS, si tu veux mon avis) était impensable, et les artisans de cette loi comptaient bien là-dessus pour priver tant communistes que gaullistes de leurs succès respectifs.

Et encore, au début de la Vème République, on a assisté aux "accords de désistement mutuel" avec la SFIO et les radicaux, accords qui dans les faits se sont toujours conclus dans un seul sens : du PCF vers le centre-gauche. A de nombreuses reprises, le PCF retirait sa candidature et appelait à voter en faveur du candidat socialiste ou radical mieux placé, et les électeurs suivaient. On a même vu des candidats communistes arrivés en tête de la gauche retirés au profit de candidats socialistes "mieux placés pour le second tour".
Malgré les déclarations d'intentions des socialistes, les consignes étaient suffisamment floues pour que l'électeur moyen comprenne que la SFIO était certes liée par son engagement à soutenir des candidats communistes, mais que rien n'obligeait ses électeurs à faire de même, et ainsi on a systématiquement observé des pics d'abstention quand c'était un candidat PCF qui était présent au second tour.

Pour ces gens-là, il est logique que le PCF ne puisse pas bénéficier de la "discipline républicaine", vu qu'ils ne placent pas dans "l'arc républicain" (qui correspond peu ou prou au "cercle de la raison" cher à Alain Minc, ce qui veut tout dire !). La seule question étant : pourquoi le PCF se plie-t-il malgré tout depuis des années à cette mascarade ?
Réponse : la gauche sociale-démocrate, qui a abandonné le peuple au profit des bons sentiments et de la "modernité", fait depuis plus de trente ans un chantage continu auprès du Parti, menaçant de le mettre dans le même sac que le FN (chantage qui se poursuit aujourd'hui, il n'est que de voir la campagne contre le TCE en 2005 ou les comparaisons de Mélenchon avec la fille Lepen, même si j'ai l'impression que tu n'apprécies guère le co-président du PG) s'il n'en rabattait pas. A force d'en rabattre électoralement, il en est venu à en rabattre idéologiquement, Georges Marchais ayant été le dernier dirigeant à défendre vaillamment (même si parfois maladroitement) à la tentation de la "modernité".

La "discipline républicaine" n'a pour but que de favoriser l'UMPS, s'y plier c'est jouer aux dindons de la farce. Y compris lorsqu'il s'agit de "bloquer le FN". Ça arrange bien l'UMPS qu'il soit là, ce Front National, car il leur permet d'agglomérer autour d'eux les voix de leurs adversaires sous prétexte de "danger fasciste" fantasmé. Mais si du jour au lendemain leurs antiennes ne fonctionnent plus, ils seront bien attrapés, et ils devront se débrouiller de leur créature !
3. Nicolas Maury le 07/06/2011 12:24
100% d'accord avec toi Brath-z
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