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Geneviève Fioraso : « Il faut favoriser le transfert de la recherche publique » ou comment le PS justifie la marchandisation de l'Enseignement supérieur !

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"Mais il ne faut surtout pas oublier les sciences humaines et sociales, sinon on oublie le marché. Ce sont quand même les chercheurs de ces disciplines qui savent le mieux décrypter les usages et ont les outils nécessaires. Vous pouvez avoir le meilleur objet technologique du monde, s'il ne correspond pas à une demande du marché, il ne trouvera aucun débouché. Donc il faut à la fois pousser la technologie et être tiré par le marché" Cet extrait résume la pensée de Fioraso

L'innovation devient un outil de compétitivité et le levier de croissance des entreprises en cette période de crise. Comment mieux valoriser la recherche française ?

Quand on compare notre perte de propriété intellectuelle (PI) à la désindustrialisation de la France, les deux courbes se superposent exactement. C'est incontestable ! Nous voulons donc former nos chercheurs et nos enseignants-chercheurs à la culture de la PI. Je me suis justement rendue lundi dernier à Strasbourg pour l'inauguration d'un bâtiment de formation dédié à la propriété industrielle, à côté de l'ENA. Il ne faut pas oublier que l'innovation vient de notre recherche fondamentale, de grande qualité, et nous veillerons dorénavant à la laisser travailler sereinement. Mais son impact économique est trop faible. Nous devons améliorer et rendre plus efficace le transfert de technologies. D'où notre idée de mesurer l'impact économique de la recherche.

D'abord, on va mettre en place les bons indicateurs dans la nouvelle stratégie de la recherche, puisqu'il y a un volet réindustrialisation dans les grandes orientations. Ensuite, on veut regrouper les établissements d'enseignement supérieur et les organismes de recherche sur une trentaine de sites au lieu d'avoir 160 contrats, et intégrer l'impact économique des recherches et du transfert de technologies sur les territoires, dans les critères de dotation. Ce point est extrêmement important, on a donc inscrit le transfert dans les missions de service public des chercheurs dans les cas où ce critère est pertinent. L'objectif est aussi arrêter de considérer la recherche technologique, dont la part est inférieure à 10 % dans notre pays contre 20 % en Allemagne ou aux Etats-Unis, comme le parent pauvre.

Vous annoncez le lancement de 100 laboratoires communs de recherche publique dédiés aux PME ? De quoi s'agit-il concrètement ?

Nous avons demandé à l'Agence nationale de la recherche (ANR) d'ouvrir un appel d'offres pour financer, à terme, 100 laboratoires communs avec des entreprises françaises. L'objectif de ce dispositif qui va monter en puissance pour devenir pérenne est de faire en sorte qu'un laboratoire public les aide à renforcer leurs compétences. On vise plutôt des PME innovantes à fort levier de croissance et de création d'emplois, repérées par Oséo, principalement dans les secteurs prioritaires au niveau national, c'est-à-dire l'énergie, la sécurité alimentaire, la santé, les biotechnologies, les systèmes d'information, la mobilité et les systèmes urbains.

Mais il ne faut surtout pas oublier les sciences humaines et sociales, sinon on oublie le marché. Ce sont quand même les chercheurs de ces disciplines qui savent le mieux décrypter les usages et ont les outils nécessaires. Vous pouvez avoir le meilleur objet technologique du monde, s'il ne correspond pas à une demande du marché, il ne trouvera aucun débouché. Donc il faut à la fois pousser la technologie et être tiré par le marché. C'est précisément sur cette convergence que nous travaillons, Fleur Pellerin, Arnaud Montebourg et moi-même, dans le cadre de la troisième phase des pôles de compétitivité, ce qu'on appelle 3.0, avec l'accompagnement des start-up et la montée en gamme des filières porteuses.

Le lancement des plates-formes CEA Tech dans certaines régions est-il complémentaire ?

Oui. L'idée est de mettre en place en collaboration avec le CEA des plates-formes dans les régions où il existe déjà un écosystème. Après Grenoble et Saclay, cette expérimentation qui est orientée sur les points forts technologiques de la région vient de démarrer à Bordeaux, Nantes et Toulouse. Un autre projet est en préparation en Lorraine, sur l'axe Metz-Nancy, pour relancer l'avenir industriel de cette région et valoriser son savoir-faire, notamment dans les matériaux. Notre objectif est de faire comprendre aux patrons des PME et des ETI l'intérêt des innovations issues des laboratoires de recherche, en leur montrant concrètement leurs usages dans la mobilité, la santé, la traçabilité... On met à leur disposition toute l'ingénierie nécessaire et on leur propose une offre complète qui intègre le transfert de technologies, la propriété industrielle et le CIR. C'est une approche très concrète et inédite de l'innovation qui va générer de la valeur dans les territoires, en montant en gamme les produits et les services pour les rendre plus compétitifs à l'international et créer des emplois durables.

Mais les pôles de compétitivité, comme tous les dispositifs actuels, souffrent d'une complexité administrative qui freine justement la valorisation des projets de R&D. Comment fluidifier le système ?

On a mis en place une méthode de simplification avec l'ANR et les divers organismes pour qu'il y ait des formulaires de réponse aux projets homogénéisés avec ceux de l'Europe. Car nous avons régressé entre le 6 e et le 7 e PCRDT de 13 % à 11,6 %, soit une différence de 6 points avec la contribution française au budget de l'Union européenne (17,6 %).
Il y a eu une telle frénésie d'appels d'offres nationaux que nos chercheurs se sont moins tournés vers les projets européens. Un euro investi ne rapporte plus que 0,70 euro. Et ce n'est pas seulement pour l'argent perdu, mais surtout pour les opportunités de partenariats européens non saisies.

Si la France n'a pas une masse critique en Europe, c'est peine perdue face aux pays émergents comme la Corée, la Chine, l'Inde ou le Brésil. Il faut absolument que l'on conforte notre position. C'est pourquoi on met en place un agenda stratégique avec un conseil national de la recherche actif, placé sous l'autorité du Premier ministre, comme cela est inscrit dans le projet de loi.

Dans cette logique de simplification, comment éviter les superpositions entre les pôles de compétitivité et les nouvelles structures issues du programme des investissements d'avenir ?
Je crois que, maintenant, c'est en train de se décanter car les synergies se mettent en place de fait. Si je prends l'exemple de l'IRT de Grenoble, le premier à avoir obtenu la compatibilité de Bruxelles, il est porté scientifiquement et économiquement par le CEA et ses partenaires, dont le pôle de compétitivité Minalogic. L'Etat doit avoir une stratégie nationale et européenne avec des orientations précises et pouvoir s'appuyer sur les écosystèmes à la fois académiques, régionaux, interrégionaux et transfrontaliers. Il faut aussi mutualiser les moyens pour ne pas s'éparpiller. Dans le projet de loi, j'ai voulu laisser une grande liberté d'organisation aux territoires. Ce qu'il faut éviter par exemple, pour les sociétés d'accélération de transfert de technologies (SATT), qui sont par ailleurs nécessaires, c'est d'ajouter une couche au millefeuille existant. Il faut donc qu'ils tiennent compte des structures préexistantes. Il y a aussi un risque que les SATT ne prennent justement plus de risques, si on leur demande un retour sur investissement trop rapide, et donc abandonnent les innovations de rupture. Nous avons demandé une première évaluation à l'été 2013 et nous arbitrerons à ce moment-là. Il faut vraiment garder cet esprit du risque et, pour le financer, la BPI pourra servir de levier car un montant de 10 milliards sur sa dotation de 42 milliards d'euros sera consacré à l'innovation.

CHANTAL HOUZELLE


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