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Gerry Adams et les évolutions du Sinn Féin

Perspective communiste

Par Jean-Michel Galano Philosophe et ancien résident français en Irlande du Nord

« L'ancien barman devenu dirigeant de parti politique n'est ni Arafat ni Mandela » : c'est en ces termes méprisants qu'un article du Monde de 1992 parlait de Gerry Adams. Depuis, le ton a changé. Le Sinn Féin, deuxième force politique en Irlande du Nord et troisième dans la République, a fait la preuve de sa représentativité et de sa capacité à oeuvrer pour le bien public, dans des circonstances extrêmement difficiles où les pièges et les provocations n'ont pas manqué.

Il faut reconnaître que rien n'était écrit d'avance : Gerry Adams avait hérité quelques années auparavant, peu après sa sortie de prison où il avait passé huit ans, d'une organisation squelettique encore semi-clandestine, légale dans la République mais pas dans le Nord, et dont le rôle se bornait à être la vitrine politique de l'IRA. En 1982, l'armée, dirigée par Martin McGuinness, mais aussi par Gerry Adams, s'interrogea sur les suites à donner au mouvement de solidarité qui avait entouré l'année précédente les grévistes de la faim, et comment élargir ce mouvement. Elle prit l'initiative de « blâmer le Sinn Féin», auquel elle reprochait son absence des luttes sociales et politiques, et une identité catholique trop marquée malgré les dénégations.

LE SINN FÉIN EST PARTIE PRENANTE AU PARLEMENT EUROPÉEN DU GROUPE DE LA GAUCHE UNITAIRE.

Un grand remue-ménage s'ensuivit: des militants du Sinn Féin s'investirent dans les syndicats, les associations de quartier, les mouvements féministes, les initiatives de solidarité internationale, notamment avec l'Amérique latine et l'Afrique du Sud. Je peux témoigner de cette mutation: invité à la conférence annuelle du Sinn Féin en 1998, juste après les accords du Vendredi saint (qui, dans les faits, mirent fin à la guerre civile), j'avais été un peu agacé, comme d'autres délégués étrangers, par l'arrivée « à l'américaine » d'Adams et de McGuinness au beau milieu des débats, entourés d'une foule de caméras. Rien de tel l'année suivante : sous une grande banderole disant en français « Liberté, égalité, fraternité », les délégués rendaient hommage à la Révolution française, ainsi qu'aux United Irishmen de Wolfe Tone, fondateurs d'un nationalisme irlandais social et déconfessionnalisé. Il y a davantage encore : un volet des débats était consacré à la question des femmes, ce qui était en soi très nouveau. Adams avait attendu son tour pour s'exprimer devant le micro, en tant que délégué de son quartier de Belfast. En quelques phrases fermes, il avait invité les délégués à ouvrir les yeux sur ce qu'était le Sinn Féin : un mouvement certes en pleine mutation, mais toujours majoritairement masculin, porteur de valeurs viriles et guerrières, avec très peu de femmes dans ses organismes de direction. « Une honte », avait-il dit.

Et c'est cela qui a changé. Alors que le jeune Gerry Adams se disait «antimarxiste» et accordait une importance considérable au «lobby irlandais» américain, le Sinn Féin dénonce la politique agressive de Trump, n'hésite pas à parler de lutte des classes et est partie prenante au Parlement européen du groupe de la Gauche unitaire. Mary Lou McDonald, bien connue des communistes français, députée du centre de Dublin et sans passé commun avec l'IRA, pourrait lui succéder. Que de chemin parcouru !

L'Humanité


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