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Il y a 80 ans : le Front populaire se déchire dans le sang à Clichy, la SFIO de Léon Blum fait tirer sur la foule

Perspective communiste

Il y a quatre-vingts ans, le 16 mars 1937, une manifestation antifasciste dégénère près de Paris. La police du Front populaire tire sur la foule : six morts, des centaines de blessés... et l'unité de la gauche qui vole en éclats

"La Rocque, chef des fascistes, doit venir à Clichy mardi 16 mars. [...] Nous invitons tous les antifascistes à contre-manifester le même jour à partir de 19 heures." Avec ses lettres tape-à-l'oeil et ses mots qui frappent les esprits, l'affiche est immanquable. D'autant qu'en ce début du mois de mars 1937, elle a fleuri sur tout ce que la banlieue parisienne compte de palissades. Signé du comité du Front populaire de Clichy, l'appel est clair : il s'agit de barrer la route au dirigeant du Parti social français (PSF), une formation de droite nationaliste née sur les cendres de la ligue des Croix de Feu.

Depuis qu'ils ont appris que le PSF comptait se réunir au cinéma l'Olympia, juste derrière la mairie de Clichy, communistes et socialistes locaux sont furieux : la tenue d'un tel raout dans une commune de la « banlieue rouge » est vécue comme une provocation. Le maire (SFIO) Charles Auffray, le conseiller général de la Seine (PCF) Maurice Naile et le député (PCF) Maurice Honel sonnent la mobilisation. On s'organise : collage d'affiches, remise en état d'un cirque proche du cinéma pour les besoins d'un meeting et mise en place d'un service d'ordre : l'époque est aux combats de rue politiques, souvent très violents.

C'est d'ailleurs pour parer à toute échauffourée que les forces de l'ordre se déploient dès le matin du 16 mars. Plusieurs centaines de policiers sont présents quand arrivent les militants du PSF au cinéma, où les attendent des membres des équipes volantes de propagande, les gros bras du parti. Bientôt, c'est au tour des militants antifascistes de compléter la distribution du drame à venir.

Ils sont un millier à être présents dès 19 heures sur la place de la mairie. A 20 heures, on compte 3 500 manifestants. Les esprits commencent à s'échauffer : des militants tentent d'enfoncer un barrage policier. Ils sont repoussés. Des projectiles en tout genre, notamment de la fonte arrachée aux grilles de la mairie, volent sur les policiers. A 21 heures, ils sont 4 500. La tension ne cesse de croître et le chaos devient total. A 21 h 45, des coups de feu retentissent. Mouvement de foule. Des militants se réfugient dans l'hôtel de ville et font retentir la sirène d'alarme municipale.

Après le drame, deux gauches devenaient irréconciliables

Six morts et près de 300 blessés (dont 48 par arme à feu) côté manifestants, 250 blessés du côté de la police : le bilan est lourd, l'émoi est immense. On raconte que Léon Blum, le chef socialiste du gouvernement, aurait vacillé en apprenant l'événement. Le dimanche 21 mars, un hommage est rendu aux morts de Clichy : une foule gigantesque se rassemble dans la ville. « L'Humanité » parle d'un million de personnes, « le Journal » évoque un défilé ininterrompu pendant six heures. Au deuil succède la colère : ce que l'on va appeler la fusillade de Clichy devient un scandale politique qui fracture le Front populaire.

Pour le ministre socialiste de l'Intérieur Marx Dormoy, déstabilisé par l'événement, c'est l'agitation gauchiste qui est à l'origine du drame. Dans son viseur : la tendance gauche révolutionnaire, animée par Marceau Pivert au sein même de la SFIO, et qui, de concert avec les communistes, estime que le gouvernement n'est pas assez de gauche. Un mois avant Clichy, en février 1937, Léon Blum n'a-t-il pas décrété « la pause du Front populaire », dont l'arrivée au pouvoir en juin 1936 s'était accompagnée de réformes sociales spectaculaires ? Une pause ! Alors, si en plus « sa » police tire sur le peuple ouvrier...

« La police d'un gouvernement de gauche avait été attaquée par une foule de gauche, la police de gauche avait tiré sur une foule de gauche », résume le journaliste Henri Amouroux. Pour l'historien Matthias Bouchenot, « Clichy est le déclencheur d'une rupture prochaine entre la majorité du Parti socialiste et sa tendance révolutionnaire. » Deux gauches devenaient irréconciliables... et il ne restait plus qu'un an à vivre au Front populaire.

Le Parisien


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