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Inde. La vie contre une poignée de roupies

Perspective communiste

Les couches les plus pauvres, notamment en milieu rural, paient au prix fort la réforme de la démonétisation enclenchée par le premier ministre indien, Narendra Modi, sur injonction états-unienne

Narendra Modi, l’homme qui voulait « éradiquer la pauvreté en Inde en une génération », a lancé une guerre éclair… contre les couches les plus défavorisées. Des millions d’Indiens risquent en effet de ne pas se relever de sa politique de démonétisation lancée en novembre. Officiellement, la suppression des coupures de 500 et 1 000 roupies (6,90 et 13,80 euros) par le premier ministre conservateur visait à lutter contre la corruption, l’inflation, le financement du terrorisme et l’économie parallèle, qui représente à elle seule 25 à 30 % du PIB. Mais les travailleurs pauvres, notamment dans les zones rurales, ont vu l’argent leur brûler entre les doigts alors que 86 % des billets alors en circulation perdaient de leur valeur nominale, dans un pays où 90 % des transactions sont réalisées en liquide et où 85 % des travailleurs perçoivent leur salaire en cash. L’échange des billets dans les banques, autorisé jusqu’au 30 décembre, a suscité des scènes de chaos se soldant par la mort d’une centaine de personnes dans des files d’attente. Des files parfois si longues que certains ont rapporté avoir fait la queue vingt heures durant et perdu une journée de salaire.

Dans les campagnes, où aucune banque n’est visible à des kilomètres à la ronde, l’échange s’est avéré impossible. Selon la Banque centrale, les zones rurales, qui abritent les deux tiers de la population, disposent seulement de sept agences pour 100 000 personnes en moyenne. De l’argent perdu. Volé, n’hésitent plus à dire certains. D’autant que la monnaie reste indispensable aux transactions quotidiennes. Notamment pour acheter les graines de la prochaine récolte. Ceux qui vivent de petits boulots dans l’agriculture ou sont employés à la semaine, comme c’est fréquemment le cas dans la construction, risquent encore de payer très cher cette réforme. D’autant qu’une nouvelle taxe sur la consommation doit entrer en vigueur cette année. Tous les échanges du quotidien sont bouleversés. De l’achat de produit de première nécessité au règlement des services de santé ou de transport.

Les pauvres plus appauvris

Le Parti communiste de l’Inde marxiste (PCI-M) dénonce ainsi une politique qui appauvrit les plus pauvres. « Voici Modi Antoinette disant “s’ils n’ont pas de liquide, qu’ils utilisent leur carte de crédit !” » a fustigé Sitaram Yechury, le secrétaire général du PCI-M, parodiant la reine de France avant de préciser que « le taux de suicide des paysans sous le gouvernement de Modi avait augmenté de 26 % ». Selon le dirigeant, de nombreux paysans qui croulent déjà sous les dettes ont par ailleurs été obligés de vendre leur récolte à prix cassés sur le marché. Après les manifestations massives des agriculteurs en 2015 contre une réforme gouvernementale visant à faciliter les réquisitions de terres pour l’industrie, la grève et les manifestations s’étendent aujourd’hui à de nombreux secteurs. Et la démonétisation crée des remous jusque dans la majorité. Du fait des invendus, les commerçants ont été obligés de jeter des denrées périssables et nombre de travailleurs journaliers ne trouvent plus d’emplois car les petits patrons manquent également de nouvelles coupures. La presse indienne regorge de témoignages de ventres vides au cœur d’une population qui représente déjà un quart de la population sous-alimentée dans le monde.

Les petits commerçants ont été invités à faire crédit à leurs clients. Une solution d’urgence intenable à terme. « Les moins favorisés paient le prix fort pour les erreurs financières de la classe privilégiée », commente la sociologue Ashis Nandy. S’agit-il réellement d’erreurs ? Beaucoup dénoncent un plan préparé sur un coin de table dont aucun des instigateurs n’avait mesuré les conséquences. Mais le projet avait savamment été élaboré par l’Agence américaine de développement international, l’Usaid, qui a négocié des accords de coopération avec le ministère indien des Finances à condition de diminuer l’utilisation de l’argent liquide en faveur de moyens de paiement électroniques afin de favoriser ses propres intérêts économiques et l’ouverture de l’Inde aux capitaux étrangers. Ou quand la guerre au cash fait des millions de victimes.

Lina Sankari
L'Humanité


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