Perspective Com
La Courneuve demande réparation

Nicolas Maury

Gilles Poux, le maire PCF de la Courneuve, porte plainte auprès de la HALDE pour les multiples discriminations qu’endure la ville depuis cinquante ans

Pour les sages de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) habitués à recevoir des doléances individuelles, le choc va être rude : aujourd’hui, c’est toute une ville qui débarque dans ses locaux du 9e arrondissement de la capitale pour déposer plainte.

Gilles Poux et son équipe municipale de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) ont décidé que la liste des discriminations infligées à leur territoire et à ses habitants était suffisamment longue pour solliciter cet « outil national ». Pour les élus, la seule évocation du nom de La Courneuve recèle déjà toute une série de représentations à caractère discriminant pour l’ensemble de ses habitants.

Au pied des immeubles, Damien Verdez dit tout haut ce que tout le monde pense ici : « Quand on dit qu’on est de La Courneuve, le patron, il ne veut même pas nous prendre dans son bureau… Des fois, on dirait qu’on n’est pas des humains comme les autres. » De cette discrimination vécue à hauteur d’homme jusqu’aux stigmates urbains hérités de cinquante ans de politique publique infligée à la ville, Gilles Poux veut se débarrasser : « La HALDE se doit de faire valoir avec nous qu’il ne peut y avoir, dans le cadre de la République, de ses lois, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de lieu où la maltraitance urbaine, éducative, sociale, locative soit purement et simplement admise par l’ensemble de la société, quand nous avons collectivement les outils pour faire vivre l’égalité. »

La première motivation du dépôt de plainte plonge ses racines dans l’histoire de la ville. En mars 1959 commence la construction des 4000. L’office HLM de Paris, par dérogation exceptionnelle, construit des logements en dehors de la capitale. Un tournant historique, « à partir duquel plus rien ne s’est obtenu sans peine », lâche le maire. Ces logements qui auraient pu être une chance pour leurs habitants se dégradent rapidement. Le gestionnaire n’entreprend aucun travail d’entretien. Les familles qui le peuvent quittent les lieux, s’y concentrent de plus en plus de ménages pauvres. Spirale amplifiée par la crise économique. La Courneuve, territoire de seconde zone, devient un terrain de jeu du pouvoir en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Devant l’antenne jeunesse des 4000, Emmanuel Kalemba soutient : « La première discrimination, c’est le fait qu’on soit tous entassés entre nous dans un coin. »

Le maire souligne : « Certes, nous sommes toujours prioritaires pour la politique de la ville, certes nous sommes bénéficiaires de la dotation de solidarité urbaine, certes nous sommes “quartiers sensibles”, certes nous sommes zone d’éducation prioritaire… Quand le SAMU de l’urgence sociale se met en route, il marque toujours un arrêt à La Courneuve pour tenter les nouveaux protocoles thérapeutiques de la ville, mais le problème est là, il s’arrête moins pour penser la cohésion sociale, l’égalité territoriale, l’égalité des citoyens que pour se pencher sur la “pathologie urbaine” que nous représentons. Nous subissons à la fois l’image dégradée qui en découle et les soins inappropriés. »

Que ce soit pour l’habitat, pour le tracé des autoroutes, pour le mur antibruit de l’A86, qui ne protège que la moitié du centre-ville (contrairement aux promesses arrachées de haute lutte), pour l’ensemble des infrastructures, un euro dépensé par l’État pour respecter l’existant semble un euro de trop. Pour Muguette Jacquaint, ancienne députée toujours communiste, sous le terme « discrimination » se cache ceux de « racisme de classe » : « On était des gens modestes, ce que les gouvernements daignaient nous donner était considéré comme bien suffisant pour nous. » Aujourd’hui, Gilles Poux considère que la politique du pouvoir a peu à peu inscrit La Courneuve comme une ville d’exclusion urbaine, de cités ghettos, de ségrégation. « En somme : aux porte de Paris, les parias urbains ! Il y a donc un stigmate associé au lieu de la résidence, une disqualification collective, c’est une discrimination que nous vivons au quotidien ! »

C’est donc après avoir mûrement réfléchi à cette démarche que La Courneuve se rend aujourd’hui à la HALDE pour porter plainte pour discrimination territoriale. Conscient de ne pas être le seul à faire face à une situation intolérable, Gilles Poux a adressé une lettre à 150 maires, de toute obédience politique, qui connaissent des difficultés similaires pour les informer de sa démarche, et « avec eux, avec les associations, donner ensemble des suites plus globales à ce que nous engageons ».

Dany Stive


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