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"La surface agricole utile a baissé de 20% en France. Il faut trouver des espaces complémentaires"

Perspective communiste

Pour Gilles Fumey, géographe de l’alimentation, le retour de fermes dans les zones urbaines est non seulement possible, mais souhaitable. Géographe de l’alimentation, Gilles Fumey prépare pour janvier un ouvrage intitulé les Villes qui mangent, coécrit avec le philosophe Thierry Paquot. Il explique à Libération pourquoi il est, selon lui, nécessaire d’implanter des fermes en ville

Rapprocher l’agriculture des villes n’est-il pas une lubie d’illuminés écolos ?

Non, c’est même une affaire très sérieuse. Et ce n’est d’ailleurs pas tant quelque chose de nouveau qu’un retour vers une situation qui a déjà existé. Paris intramuros, en 1800, était autosuffisant alimentairement. Ce rapprochement est nécessaire car, depuis 1960, la surface agricole utile a baissé de 20 % en France sous l’effet de l’expansion des forêts et de l’étalement urbain. Il faut trouver des espaces complémentaires. N’oublions pas que l’Ile-de-France, par exemple, est au centre des meilleures terres agricoles françaises, avec la Brie, la Beauce, la plaine de France. Un capital agricole considérable.

Cela aurait également des effets bénéfiques pour l’environnement ?

Sur le plan énergétique, on y a tout intérêt, car cela permet de capter du CO2 et de rafraîchir les villes. L’agriculture en ville permet également de faire l’économie du transport des denrées, ainsi que de sécuriser les approvisionnements. Il y a aussi un potentiel intéressant en matière d’emplois, en mettant en place de nouvelles filières maraîchères de proximité, au lieu de dépendre de l’Italie ou de l’Espagne et de leur main-d’œuvre esclavagisée.

La production pourrait-elle dépasser un simple stade symbolique ?

Bien sûr. Au quotidien, l’apport de nutriments et de vitamines issus d’une alimentation fraîche pourrait être en grande majorité couvert par des légumes et fruits produits en ville. Cela ne veut pas dire qu’on y fera des céréales, de la vigne ou de l’élevage, mais on peut être au niveau sur les produits frais de première nécessité. Cela suppose aussi de modifier l’alimentation en consommant moins de viande et de produits laitiers, et plus de protéines végétales.

Où en est-on aujourd’hui ?

Une étude vient de sortir, montrant que l’autonomie alimentaire des 100 premières aires urbaines françaises n’est que de 2 %, ce qui signifie que 98 % des aliments sont importés. Autre problème : 96,9 % de la production agricole des aires urbaines est consommée hors du territoire. Il y a un souci de filières de distribution et de distorsion des marchés qui fonctionnent sur les prix et pas sur les impacts environnementaux. Plus globalement, la situation est en train de bouger partout dans le monde. A Detroit, Montréal, Taiwan… On commencera à voir les effets de ces expériences, petites ou grandes, d’ici cinq ans.

Des exemples à suivre en France ?

La commune de Grande-Synthe, dans le Nord, où la municipalité encourage un panachage avec des jardins partagés, une forêt comestible, une ferme de 9,7 hectares pour alimenter les restaurants collectifs de la ville et, en projet, une ferme urbaine de 35 000 m² portée par un acteur privé, Auchan.

Cela peut être fait partout. Il y a une vieille idée, fausse selon moi, selon laquelle le Nord devrait nourrir la planète. Or, à quelques exceptions près, l’Afrique peut tout à fait apprendre à se nourrir elle-même.

Qui résiste à cette évolution ?

Le capitalisme immobilier, la spéculation et les bétonneurs. Les néomaraîchers peinent à accéder à la terre. Mais je crois qu’il existe en France un capital social et agricole pour changer les habitudes et se désintoxiquer progressivement de la grande distribution.

Libération


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