Perspective communiste
Rappelons-nous la position du Luxembourg sur la guerre économique contre le Venezuela.
La responsabilité de la gauche dans cette crise est immense.
En 1914, la social-démocratie a cédé au nationalisme et sacrifié son internationalisme sur l’autel de « l’unité nationale ». Aujourd’hui, certaines forces se réclamant du progressisme commettent une erreur similaire : elles acceptent sans esprit critique le discours de ce même impérialisme qui a instauré des dictatures en Amérique latine et qui justifie le génocide à Gaza.
Concernant le Venezuela, elles reprennent ses accusations, se déclarent « équidistantes » entre l’agresseur et la victime, ou se réfugient dans un silence lâche. Dans tous ces cas, elles renoncent à leur rôle historique de porte-parole du peuple et deviennent de simples notaires de l’ordre mondial.
Daniel Jadue, ancien maire communiste de Recoleta (Chili) et prisonnier politique.
Traduction Nico Maury
Aujourd'hui, alors que les États-Unis, sur leur ton impérial habituel, déclarent à maintes reprises que le Venezuela constitue une « menace inhabituelle et extraordinaire » pour leur sécurité et déploient contre son peuple une combinaison de sanctions, de blocus financier, d'opérations secrètes, de tentatives de coup d'État et de menaces militaires ouvertes, dans le seul objectif avoué de s'emparer des richesses des Vénézuéliens, nous nous trouvons, comme en août 1914, confrontés à une épreuve historique : de quel côté se rangent les partis qui se disent démocratiques, progressistes et responsables ? Du côté du peuple ou du côté du capital et de l'empire ?
En 1914, la majorité du Parti social-démocrate allemand vota en faveur des crédits de guerre. Au lieu de dire « non » au massacre impérialiste, elle succomba au slogan trompeur de la « défense de la patrie ». Les députés qui avaient juré de représenter la classe ouvrière approuvèrent sans hésiter les fonds qui allaient envoyer cette même classe se battre et mourir pour des intérêts qui n'étaient pas les siens. Ce vote scella la faillite morale de la Deuxième Internationale et ouvrit la porte à la barbarie.
Aujourd'hui, alors que gouvernements, parlements, partis politiques et médias s'alignent sur le discours de Washington contre le Venezuela, répétant sans esprit critique des termes comme « dictature », « régime illégitime » et « menace régionale », nous assistons à un geste similaire. Ils ne portent pas d'uniforme, ils ne lèvent pas la main au Reichstag, mais ils font la même chose : ils offrent leur soutien politique, leur silence complice ou leur neutralité hypocrite à une politique de guerre, même si celle-ci se présente aujourd'hui sous la forme « civilisée » de sanctions, de blocus et de « pressions diplomatiques ».
Appelons un chat un chat. Les sanctions imposées par les États-Unis et leurs alliés au Venezuela, à Cuba et à l'Iran, tout en finançant, sous le faux prétexte de la légitime défense, le génocide à Gaza et la rhétorique néonazie du gouvernement ukrainien, constituent une forme de guerre économique visant à briser la résistance et le droit à l'autodétermination des peuples qui refusent de se soumettre à l'empire. Elles cherchent à anéantir leur capacité de production, à provoquer pénurie, souffrance et colère, afin d'imposer un changement politique favorable aux intérêts du capital transnational. Elles sont l'équivalent des crédits de guerre de 1914 : le financement d'une offensive impériale menée non pas à la baïonnette, mais par les banques, les embargos et les listes noires.
Qui donc est le véritable ennemi de chaque peuple ? En 1915, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht nous ont appris que « le principal ennemi est dans notre propre pays », et ils ne faisaient pas référence aux paysans français, aux ouvriers anglais ou russes, mais à la bourgeoisie allemande elle-même et à son État, qui poussaient la classe ouvrière à la guerre pour réorganiser le partage du monde.
Aujourd'hui, le principal ennemi des peuples des États-Unis et du Venezuela, d'Europe et d'Amérique latine, n'est ni un pays lointain ni un gouvernement qui refuse d'obéir à la Maison-Blanche. Le véritable ennemi siège aux conseils d'administration des grandes entreprises, dans les directions des banques, parmi les officiers supérieurs qui font carrière grâce à la guerre, dans les médias qui fabriquent un consensus en faveur de l'agression, et parmi tous ceux qui préfèrent financer les guerres plutôt que de venir en aide à leurs populations qui souffrent de la faim, du manque de logements, de soins de santé et d'éducation, entre autres.
Cet ennemi parle le langage de la « démocratie » et des « droits de l'homme », tout en étouffant des populations entières sous des sanctions qui les privent de nourriture, de médicaments, de pièces détachées et de technologies, et qui sabotent toute tentative de souveraineté économique. Les ennemis du peuple vénézuélien sont les quelques Vénézuéliens qui, comme María Corina Machado, préfèrent appeler à la guerre contre leur propre pays afin que ceux qui se croient maîtres du monde puissent profiter des revenus pétroliers et de toutes les richesses communes de la République bolivarienne du Venezuela, en échange d'une part. Quant aux ennemis du peuple américain, ce sont Trump et ses amis, qui préfèrent investir des milliards de dollars dans le financement de la guerre en Ukraine, du génocide à Gaza et au Soudan, et de l'occupation du Sahara, au lieu d'améliorer la vie des millions de personnes pauvres, malades et toxicomanes qui vivent aujourd'hui aux États-Unis et qui, avec une fraction de ces ressources, pourraient résoudre la plupart de leurs problèmes.
Et la classe ouvrière ne doit jamais oublier que, dans ces aventures, seuls ses dignes représentants périssent, car les proches de Machado et de Trump ne partiront pas à la guerre, pas plus que les généraux qui, depuis leurs bureaux, observeront comment les pauvres, chair à canon du Grand Capital, sacrifient leur vie pour les intérêts mesquins de ceux qui les envoient au combat, lesquels gagneront doublement : la première fois par le commerce de la guerre, la seconde par le pillage qu'ils perpétreront après la victoire, en conservant tout : le pétrole, le gaz, les côtes, l'or et tout ce qui les motive.
Ceux qui approuvent ces sanctions, ceux qui justifient le blocus, ceux qui gardent le silence face à cette agression qui dure depuis des décennies, se comportent comme ces sociaux-démocrates qui, en 1914, ont voté pour les crédits de guerre. Ils peuvent se draper dans le drapeau des droits de l'homme, ils peuvent parler de « préoccupation pour la démocratie », mais le véritable objectif de leurs actions est le même : prendre parti pour l'impérialisme contre un peuple et ses décisions.
D'un point de vue marxiste, la situation est on ne peut plus claire. La classe ouvrière, aux États-Unis comme au Venezuela, en Europe et en Amérique latine, n'a rien à gagner de cette guerre économique. La destruction de l'économie vénézuélienne n'améliore en rien le sort des travailleurs américains ; elle ne fait que renforcer le pouvoir des compagnies pétrolières, des fonds d'investissement et du complexe militaro-industriel. De même, le peuple vénézuélien souffre non seulement des erreurs et des limites de son propre processus, mais aussi d'une agression extérieure visant à punir toute nation qui s'écarte du modèle néolibéral.
Par conséquent, une politique véritablement de gauche repose sur deux principes incontestables. Premièrement, la classe ouvrière doit toujours s'opposer à la guerre entre États et œuvrer pour la paix entre les peuples. Il ne s'agit pas d'un pacifisme abstrait, mais de comprendre que dans toute guerre impérialiste, les victimes sont toujours les mêmes : les pauvres, les ouvriers, les femmes et les enfants, des deux côtés. Dans ce cas précis, la « guerre » qui n'a pas encore éclaté prend la forme de sanctions, de blocus financiers, de campagnes médiatiques et de menaces militaires ; mais la logique reste identique : briser la volonté d'un peuple pour imposer les intérêts d'un autre État. Le devoir des travailleurs des États-Unis, d'Europe et d'Amérique latine n'est pas d'applaudir cette escalade, mais de la dénoncer, de s'organiser contre elle, d'exiger la levée des sanctions et de défendre le droit du Venezuela à décider de son propre destin.
Deuxièmement, défendre la souveraineté et la non-intervention signifie soutenir le droit des peuples à se tromper et à corriger leurs erreurs sans ingérence étrangère. Dire « non à l’intervention » ne signifie pas que tout va bien au Venezuela, ni dans aucun autre pays, ni qu’il n’y a pas lieu de critiquer ses dirigeants, ses politiques ou ses erreurs. Nous disons quelque chose de plus simple et de plus profond : ces débats appartiennent au peuple vénézuélien, et non aux stratèges du Pentagone ni aux bureaucrates sanguinaires de Washington ou de Bruxelles. La classe ouvrière des autres pays n’a ni le droit ni le devoir de « corriger » un peuple par la force, mais plutôt de respecter son autodétermination et de lutter pour que ses États cessent d’être les instruments du capital.
La responsabilité de la gauche dans cette crise est immense. En 1914, la social-démocratie s'est soumise au nationalisme et a sacrifié son internationalisme sur l'autel de « l'unité nationale ». Aujourd'hui, certaines forces se réclamant du progressisme commettent une erreur similaire : elles acceptent sans esprit critique le discours de ce même impérialisme qui a instauré des dictatures en Amérique latine et qui justifie le génocide à Gaza et au Venezuela ; elles reprennent ses accusations, se déclarent « équidistantes » entre l'agresseur et la victime, ou se réfugient dans un silence lâche. Dans tous ces cas, elles renoncent à leur rôle historique de porte-parole du peuple et deviennent de simples notaires de l'ordre mondial.
Pour une perspective de gauche, digne héritière de Rosa Luxemburg, Lénine, Fidel Castro, Mariátegui et Simón Bolívar, parmi tant d'autres, de tels compromis sont inadmissibles. La neutralité face à l'agression impériale est complicité. Le devoir de celles et ceux qui se réclament du socialisme est de dénoncer clairement la politique des États-Unis et de leurs alliés, d'expliquer patiemment que les sanctions sont une forme de guerre, et de construire une solidarité concrète avec les Vénézuéliens, les Cubains, les Palestiniens, les Soudanais et tous les peuples du monde qui subissent aujourd'hui les assauts du néocolonialisme impérial : briser le blocus médiatique, promouvoir des campagnes de soutien, boycotter les initiatives qui aggravent l'oppression et, surtout, œuvrer au sein de chaque pays pour que leurs gouvernements cessent d'être des instruments de cette agression.
Dans le même temps, un véritable internationalisme exige de s'adresser avec la même clarté à toutes les classes ouvrières. À la classe ouvrière du Nord, il faut lui dire que son ennemi n'est ni le travailleur vénézuélien ni le migrant fuyant la crise engendrée par son propre gouvernement, mais les capitalistes de son propre pays qui recourent à la guerre et aux blocus pour maintenir leur domination. Et à la classe ouvrière du Sud, il faut lui rappeler qu'aucune puissance étrangère ne viendra la libérer et que seule son organisation, sa capacité à bâtir une démocratie et une justice sociale réelles, peut lui ouvrir un avenir meilleur.
La paix entre les nations n'est pas un rapport de forces ; elle est la solidarité active des classes laborieuses par-delà les frontières. Par conséquent, face à la crise entre les États-Unis et le Venezuela, la tâche socialiste n'est pas de choisir quel drapeau national flotte le plus haut, mais d'en hisser un autre : le drapeau de la paix sans annexions ni sanctions, le drapeau du respect de la souveraineté, le drapeau du droit de chaque peuple à choisir sa propre voie sans tutelle ni châtiment.
En 1916, Rosa Luxemburg écrivait depuis sa prison que l'humanité se trouvait à la croisée des chemins : soit le triomphe de l'impérialisme et la ruine de toute culture, soit le triomphe du socialisme. Aujourd'hui, depuis ma propre cellule, j'affirme que ce dilemme se répète sous une autre forme. Si nous acceptons que les sanctions, les blocus et les interventions soient des mécanismes « normaux » de la politique internationale ; si nous laissons les grandes puissances détruire des pays entiers au nom de la démocratie tout en piétinant la leur ; si nous permettons à la gauche de devenir une commentatrice impuissante de la géopolitique, alors nous aurons une fois de plus choisi la barbarie.
Mais si la classe ouvrière des États-Unis refuse de servir de chair à canon à cette politique, si celle de l'Europe refuse de suivre ses gouvernements dans des aventures impériales, si celle de l'Amérique latine défend sans équivoque la souveraineté du Venezuela et de tous les peuples attaqués, alors, même dans l'obscurité, une autre voie commencera à s'ouvrir.
Cette voie porte encore un nom simple et terrible : le socialisme. Le socialisme comme véritable démocratie populaire, comme fin de la guerre impérialiste, comme organisation consciente de l’économie au service de la vie et non du profit. Le socialisme comme alliance des opprimés de tous les pays.
Entre-temps, face à chaque nouvelle sanction, chaque menace, chaque manœuvre de déstabilisation, le slogan luxembourgeois reste pleinement valable : pas un homme, pas une femme, pas un sou pour la guerre impériale contre les peuples ; tout pour la lutte pour la paix, la souveraineté et la fraternité internationale de la classe ouvrière.
El Siglo, journal du Parti communiste du Chili
