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Le souvenir amer des vétérans soviétiques d'Afghanistan

Nicolas Maury

Vingt ans après leur retraite humiliante d'Afghanistan, les anciens combattants soviétiques n'ont qu'un message à adresser aux Etats-Unis: la guerre est ingagnable dans ce pays

Un "cimetière" de tanks soviétiques, au nord de Kaboul. Vingt ans après leur retraite humiliante d'Afghanistan, les anciens combattants soviétiques n'ont qu'un message à adresser aux Etats-Unis: la guerre est ingagnable dans ce pays.

Les derniers soldats soviétiques ont quitté le sol afghan le 15 février 1989, après dix ans de combats, 15.000 morts dans leurs rangs et la conviction, pour toute une génération, d'avoir combattu pour rien. La décision du nouveau gouvernement américain d'envoyer des renforts dans le pays pour lutter contre l'insurrection islamiste les replonge en plein cauchemar.

"C'est comme se battre contre du sable. Aucune force au monde ne peut prendre le dessus sur les Afghans", assure l'ancien officier Oleg Koubanov, un homme trapu âgé de 47 ans, la médaille de l'Ordre de l'Etoile rouge fièrement accrochée à la poitrine à l'occasion d'une commémoration vendredi à Moscou.

"C'est leur terre sainte. Peu importe que vous soyez russes ou américains. Nous sommes tous des soldats à leurs yeux", explique-t-il encore.

Comme plusieurs milliers d'autres anciens combattants, certains en costume de ville, d'autres en tenue de combat, Koubanov est venu assister à un concert somptueux financé par la mairie de la capitale.

"LE NOMBRE NE RÉSOUT RIEN"

L'heure est aux retrouvailles. On s'embrasse, on se prend en photo, puis on discute de l'intention du président Barack Obama de porter les effectifs américains de 37.000 à 60.000 hommes dans les prochains mois. Au plus fort de la guerre de 1979-89, les Soviétiques étaient 150.000 en Afghanistan.

"Le nombre ne résout rien", affirme Chamil Tioukteïev, 59 ans, qui a commandé un régiment entre 1986 et 1988.

"Vous pouvez mettre un soldat devant chaque maison ou installer une base sur chaque montagne. Nous l'avons constaté nous-mêmes. Plus vous envoyez des troupes, plus vous rencontrez de résistance."

Les chars soviétiques ont envahi l'Afghanistan en 1979, à la demande du gouvernement communiste alors au pouvoir à Kaboul. Après une décennie à envoyer toujours plus de soldats, Mikhaïl Gorbatchev a sonné la retraite en 1989.

"Plus ils enverront de soldats, plus ils en perdront", prédit Andreï Bandarenko, un ancien officier des forces spéciales âgé de 42 ans, à propos des plans américains.

"Qu'est-ce qu'Obama sait de la situation sur le terrain? Nous avions aussi notre imbécile, Gorbatchev, qui en savait encore moins."

Vingt ans après, Bandarenko ressent toujours de l'amertume au souvenir de sa retraite dans les montagnes au milieu de l'hiver, par moins trente degrés.

L'état-major soviétique, dit-il, n'avait pas mesuré la difficulté de se battre contre des moudjahidine maîtres du terrain, dans des montagnes arides où les températures peuvent plonger en quelques heures d'une chaleur caniculaire à un froid glacial.

A l'image des Américains, les Soviétiques avaient tenté de transformer l'Afghanistan en un pays unifié, au-delà des rivalités ethniques ou tribales, rappelle encore Bandarenko.

"Il n'y a pas de langage commun entre les groupes ethniques, entre les clans. Ils sont impossibles à contrôler."

DE GRANDS OBJECTIFS

Les Etats-Unis rejettent la comparaison avec l'Union soviétique, en soulignant qu'ils veulent apporter la liberté à un pays que Moscou voulait assujettir.

L'affirmation fait sourire l'ancien instructeur de pilotes d'hélicoptères Gourgen Karapetian, 73 ans.

"Nous avions de grands objectifs nous aussi", dit-il. On nous disait que le communisme apporterait des écoles, des routes, l'électricité, transformerait une société primitive.

"J'étais persuadé que nous pourrions aider ce peuple, améliorer sa vie. Les Américains veulent leur donner la démocratie, mais ils n'en veulent pas. Ils vivent selon leurs propres règles."

Iouri Chaidourov, un ancien soldat âgé de 47 ans à la poitrine bardée de médailles, estime que la meilleure leçon à tirer, pour les Américains, de l'expérience soviétique serait de simplement accepter la défaite.

"Ils ne gagneront jamais. Il faut qu'ils partent avant qu'il ne soit trop tard."


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