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Liberté et liberté

Nicolas Maury

Editorial de Maurice Ulrich dans l'Humanité du 26 juin 2007: "Liberté et liberté"

Liberté et liberté
"À bas la liberté". Ce cri historique et paradoxal fut celui, il y a deux cents ans, des Madrilènes insurgés contre les troupes de Napoléon qui venaient les « libérer ». Le monde universitaire, étudiants, enseignants et personnels, n’en est pas là, mais il s’insurge et se mobilise.

Nicolas Sarkozy veut libérer le travail et les licenciements, libérer les plus riches des impôts trop lourds qui les frappent, libérer les entreprises de leurs charges pour ne pas dire de leurs chaînes et aussi libérer l’enseignement supérieur : « Chaque université pourra choisir de rester dans l’ancien système qui est paralysé ou d’adopter un nouveau statut fondé sur le principe de la liberté. »

C’est donc au nom de ce principe que le président entend faire adopter sa réforme à marche forcée. D’abord en programmant l’adoption du projet de loi en juillet, quand étudiants et professeurs sont sur les plages ou aux petits boulots. Ensuite en s’essuyant les pieds sur les négociations entamées par sa fidèle ministre Valérie Pécresse pour reprendre lui-même en main les rencontres avec les organisations concernées.

Enfin en se prévalant une nouvelle fois du vote majoritaire qui l’a porté au pouvoir pour tenter d’imposer sa réforme des universités au monde universitaire qui, manifestement, n’en veut pas, au moins en l’état. Quand la liberté est prise en otage, il faut se méfier des libérateurs.

Nicolas Sarkozy a reporté d’une semaine l’examen du projet en conseil des ministres. Il cherche à rallier des voix à sa cause car il a contre lui le vote à une très large majorité du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, seize organisations d’enseignants, d’étudiants de personnels, la défiance des présidents d’universités. Des assemblées générales ont lieu, comme à Toulouse.

Il n’ignore pas qu’en France le pouvoir a toujours pris d’énormes risques en s’attaquant à l’enseignement supérieur et que le boomerang lui est souvent revenu. Mais il veut sa réforme car son enjeu réel n’est pas la modernisation d’un système « paralysé ». On évoque les universités américaines, britanniques.

Il y a trois ans, le Japon a privatisé toutes ses universités. Dans leur rapport stratégique sur « l’économie de l’immatériel », dont nous avons évoqué ici les grandes lignes, le PDG de Publicis, Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet, actuel secrétaire d’État aux affaires européennes, insistaient sur trois principes. Autonomie, complémentarité entre les financements publics et privés, sélection pour « déterminer plus librement les conditions d’entrée des étudiants dans le premier cycle, en adaptant les effectifs par filière aux perspectives de débouchés dans leur bassin d’emploi ». L’augmentation des droits d’inscription établissant une autre sélection pour la création de filières et d’universités d’excellence.
Emmanuelle Mignon, l’une des têtes chercheuses du président, a pu se dire favorable à la privatisation de l’ensemble de l’Éducation nationale.

La réforme en l’état actuel est plus prudente que ce qui précède. Mais il est bien clair que c’est l’objectif. Ce serait pour amener l’université française au niveau international. Mais pour quelle compétition, si ce n’est celle que le capitalisme mondialisé entend imposer à toute la planète, avec la mise en concurrence, partout, des hommes, des peuples, des pays, des services ?

Il ne s’agit en rien de la diffusion des savoirs pour le progrès de tous, mais de gagner des places dans la course aux profits. L’université française s’est constituée avec une vocation universaliste. Elle entend s’adresser à l’homme tout entier et pas seulement au producteur, au vendeur et au consommateur. Elle a besoin de moyens, de progrès, de créativité, d’indépendance, mais elle n’a pas vocation à se soumettre au marché. C’est cela sa liberté et elle peut la revendiquer.


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