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Lucien Sève est mort, oui et alors ?

Perspective communiste

Et alors ? Le monde continue de tourner, ses idées ne sont pas mortes et chacun.e est libre de ressentir de la peine comme de la joie. Voici mon témoignage

Dans l'Histoire des Francs de Grégoire de Tours, il est raconté comme Clovis s'est converti au Christianisme et comment l’évêque de Reims, Saint Rémi, lui a donné son baptême. De cette cérémonie très romancée, on retient une phrase célèbre adressée au roi des Francs : « Courbe la tête, fier Sicambre, abaisse humblement ton cou. Adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré ».

Une injonction ô combien actuelle. Je veux parler de Lucien Sève. Pas de l'homme, pas de l'individu, dont je reconnais une forme de cohérence entre les idées et les actes, mais de l'ambiance qui règne, celle des injonctions à brûler ce que l'on a adoré.

A l'image d'un barricade, Lucien Sève ne peut laisser indifférent. On adhère au génie de l'individu capable de réinvention, de création ou alors on rejette celui qui incarne une forme de révisionnisme, de capitulation idéologique. Une dualité que l'on retrouve dans le travail du philosophe et qui s'exprime, par des mots de louanges où de rejets, aux travers d'individus.

Revenons au baptême de Clovis et à sa légende. Une Sainte Ampoule, portée par une colombe, serait venu du Paradis pour oindre le front du roi des francs de Saint Chrême. Par ce geste, Clovis devenait Chrétien. 3000 de ses guerriers, firent de même. Il y aura donc les catéchumènes, les baptisés d'un côté et les incroyants de l'autre.

A croire que finalement pas grand chose n'a changé depuis l'époque chrétienne. Nous conservons nos vieilles habitudes, notre monolithisme et nos officiels. Avec une critique véritable Lucien Sève était un peu Saint Rémi, cohérent entre ses idées et ses actes. Il ne croyait plus en la forme parti, au rôle révolutionnaire d'un parti et en avril 2010 prenait une décision, celle de quitter le PCF.

Finalement ce qui est le plus choquant, ce n'est pas de critiquer ou d'aduler la personne ou son travail, c'est de voir la réaction de celles et ceux qui refusent un droit au blasphème, un droit à la critique. Ces Bernard Gui des temps modernes qui nous imposent le catéchisme officiel, l'orthodoxie dans le rite, qui font preuve de tellement de faiblesse humaine.

Ce que j’aimais avec Lucien Sève, c'est sa capacité à mobiliser tous mes sens et mon intellect. Il m'a poussé à me dépasser intellectuellement, à rechercher la contradiction et à aussi a incarner cet incroyant, que certains jugeront « ridicule », « hérétique », « dogmatique ». Ses travaux n'étaient pas vains, futiles, puisqu'ils m'ont permis d'avancer, d'élaborer, de construire une approche opposée à la sienne du communisme et de l'action politique.

Il ne croyait plus à la forme parti et au PCF, pourtant ce dernier croyait en lui. Je crois en la forme parti et au rôle révolutionnaire du parti, c'est pour cela que je suis resté, malgré le fait que le PCF ne croit plus en son rôle révolutionnaire.

Au final, lisez Lucien Sève si cela vous dit, aimez le, haïssez le, exprimez vos opinions politiques sur ces travaux, son héritage politique. Il n'y a aucune honte à dire ce que l'on pense et personne ne peut interdire cette expression.

Ne soyez pas ce « fier Sicambre » devant brûler ce qu'il a adoré et aimer ce qu'il a brûlé. Lucien Sève ne laisse pas indifférent. Il sera pour certain ce que le psaume 23 du Roi David exprime, ce berger rassurant dans les temps troublés. Comme il sera celui qui a accompagné et justifié notre déclin idéologique.

Je dédie ce texte à celles et ceux qui furent touchés par le décès de Lucien Sève. Je vous transmets tout mon amitié sincère. Je continuerai à combattre ses idées, comme je le faisais avant, et j'aimerai retrouver chez vous cette capacité à débattre à partir de ses travaux.

Pardonnez-moi si je vous ai offensé, mais comme Aragon "Et si c'était à refaire je referais ce chemin..."


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