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Martin Hirsch veut légaliser l’esclavagisme caritatif

Nicolas Maury

L’ancien président d’Emmaüs France, devenu Haut commissaire aux solidarités actives du gouvernement Sarkozy, demande la consécration officielle du statut des compagnons d’Emmaüs

Martin Hirsch veut légaliser l’esclavagisme caritatif
Le but de Hirsh n’est pas de sortir les pauvres de leur aliénation, mais bien de les y maintenir. Le capitalisme a un besoin vital de pauvres pour garder la main sur les salariés et se garantir une main d’oeuvre docile. Pour ce faire, une disposition législative sera présentée au Parlement cet automne à l’occasion de l’examen du texte instaurant le non moins charitable RSA... Pourquoi une telle requête ? Explications.

Qu’est-ce qu’un «compagnon d’Emmaüs» ?

Leur statut est particulier au mouvement fondé en 1949 par l’abbé Pierre. Dans son principe, les compagnons vivent de leur travail sans être salariés au sein d’une communauté qui pratique l’accueil inconditionnel. Anciens hébergés ou venant d’autres communautés, ils sont logés, nourris, et reçoivent une allocation. En contrepartie, ils assurent l’accueil et la logistique des centres d’hébergement d’urgence et accueils de jour de l’association, ainsi que diverses opérations ponctuelles. Un statut que l’on peut effectivement qualifier, sans être péjoratif, de "bâtard".

Travailleur solidaire, mais sans salaire

Sur le site de la communauté Emmaüs d’Angoulême, on peut lire : «Souvent meurtris par la vie et ses aléas, les compagnons rejoignent la communauté pour redonner un sens à leur vie, tout en prenant part à la dynamique d’Emmaüs : "Servir premier le plus souffrant". A Emmaüs, les compagnons ne sont pas isolés. S’ils sont contraints d’accepter les règles de vie communautaire, chacun est à la fois soutenu par le groupe et aidé par l’équipe d’encadrement. Les compagnons sont considérés comme des travailleurs solidaires. Ils bénéficient des prestations de la Sécurité Sociale. [...] Ils perçoivent une allocation hebdomadaire et des allocations vacances. De par le statut de compagnon, ils ne peuvent pas prétendre à d’autres revenus (RMI, Assedic). La communauté cotise à l’URSSAF pour la retraite des compagnons.»

... Est-ce cette forme de servage que Martin Hirsch veut consacrer ?

Une initiative tout à fait dérangeante

Il est vrai qu’aujourd’hui le tissu associatif a pris le relais des hospices et de leurs bonnes sœurs. Cependant, nous déplorons que Martin Hirsch souhaite avantager un mouvement qui est d’origine religieuse alors que la France est une République laïque.

Ensuite, nous nous interrogeons sur le fondement de cette proposition. La confusion des genres fait qu’actuellement, on assiste à une exploitation éhontée de la générosité citoyenne par la République elle-même et à l’inexorable substitution du rôle des pouvoirs publics par le monde associatif. Conséquence de son désengagement massif sur les questions sociales, l’Etat se décharge sur le bénévolat, la fiscalité ou la précarité subventionnée auprès de nombreuses associations qui, pour survivre, instrumentalisent parfois la charité par le biais des people.

Au nom du «toujours mieux que rien», le misérabilisme regorge d’effets pervers. Nous avons vu les Restos du Cœur se mobiliser pour défendre les contrats aidés, que l’association utilise abondamment alors qu’ils maintiennent ceux qu’elle emploie dans la précarité et la pauvreté… qu’elle est censée combattre. Chez Emmaüs, c’est pire : les compagnons — des pauvres au service des pauvres — sont une armée de réserve inépuisable qu’il s’agit, maintenant, d’officialiser.

Exploitation de la misère et gestion de l’exclusion

Car leur statut est non seulement marginal — ils sont pour l’instant une centaine — et exceptionnel, mais surtout contraire au principe qui suppose que tout travail mérite salaire (d’autant plus que c’est sur la base du salaire que se fixent les droits ultérieurs au chômage, par exemple, en imaginant qu’on ne fasse pas carrière chez Emmaüs). N’étaient-ce pas les esclaves qui recevaient accueil inconditionnel en échange de leur travail non rémunéré ? Ces compagnons, dont l’étiquette d’«accidentés de la vie» a fait le lit de leur volontariat, ne sont-ils pas maintenus dans un état de grande dépendance vis-à-vis d’une «communauté» qui leur assure le gîte, le couvert… et l’argent de poche ?

Là est le danger : au lieu d’exiger l’accès aux mêmes droits fondamentaux pour tous, le projet de Martin Hirsch consiste, sous couvert de bienfait, à les catégoriser. De cette manière, chacun est un statut avant que d’être citoyen : du coup, il n’y a plus à s’occuper du citoyen. Reconnus par une loi, ces compagnons resteront des exclus de la citoyenneté, tout en ayant la fierté et l’illusion de s’en sortir sans elle.

Nous ne sommes pas sûrs que cette dérive, d’une grande perversité, était la volonté de l’abbé Pierre. Comme pour le RSA, véritable pis-aller social qui institutionnalise le sous-emploi et l’assistanat alors que, pour en finir avec la pauvreté et l’exclusion, il faut exiger de vrais emplois, de vrais salaires et de vrais droits pour tous, la reconnaissance légale des compagnons d’Emmaüs les enferme dans leur statut et entérine, plus que jamais, le désistement de l’Etat sur ces questions.

http://www.actuchomage.org/modules.php?op=modload&name=News&file=article&sid=3907


Commentaires (4)
1. Tourtaux Jacques le 07/08/2008 14:57

HONTE A MARTIN HIRSCH !!!
J. Tourtaux
2. Sophie le 14/08/2008 04:41
Monsieur Maury,

Vous signez cet article alors qu'il est de moi (vous avez juste rajouté les deux phrases en italiques du début...). La moindre des politesses aurait été que vous sourciez ce texte, sans vous l'approprier.

Sophie Hancart, rédactrice d'Actuchomage.org
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