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Brath-z
le 21/06/2011 01:24
Tout d'abord, bravo pour ta "discipline de parti". En effet, chez beaucoup de personnes, l'engagement se fait "à la carte". Ségolène n'est pas élue présidente de la République en 2007 ? Les deux tiers des "adhérents à 20 euros" partent. Je prévois la même hémorragie à Europe Écologie une fois la primaire effectuée. Joly élue, les partisans de Hulot déserteront en masse. Hulot élu, les partisans de Joly déserteront en masse. Le PCF n'est pas épargné par ce phénomène.
Ce qui nous amène directement au sujet du nombre d'adhérents du parti. La direction en revendique 138 000, dont environ la moitié à jour de cotisation. Cela signifie qu'environ la moitié n'est pas à jour de cotisation. Si l'on considère (en étant généreux) que la moitié de ces militants non à jour de cotisation restent engagés dans le parti, on en arrive à environ 105 000 adhérents effectifs, comme tu le mentionnes dans ton article. D'autres sources m'indiquaient en 2009 que le PCF était en fait passé sous la barre des 100 000 adhérents et stagnait depuis lors à environ 99 000 membres. Reste à savoir si cette différence relève de la même manip qu'au PS, où plus de la moitié (!!) des adhérents avaient vu leur adhésion renouvelée sans qu'il payent leur cotisation en 2006 (superbe manip de Hollande, à l'époque), avec des scénarios aussi incongrus que d'anciens militants partis depuis une décennie qui recevaient soudainement une nouvelle carte sans avoir rien demandé...
En tous cas, la force militante du PCF reste la troisième de France en nombre, et probablement la première en activité effective (à part les "jeunes socialistes" et les "jeunes populaires" dont les actions tiennent plus de la posture médiatique qu'autre chose, on ne voit pas beaucoup d'activité militante au PS comme à l'UMP...). Ça n'est pas négligeable.
Même, vue la reculade effroyable de l'engagement politique comme syndical depuis deux décennies, c'est une sacrée performance ! Pour un parti qui réunit aussi peu de votes lors des élections, qu'elles soient locales ou nationales (avec évidemment le traumatisme de la candidature Buffet à 1,93%, précédée d'une stagnation de dix ans à environ 5% quelle que soit l'élection, elle-même précédée d'une « chute » de 10% à 5% vers 2000, après près de 15 ans d'une première stagnation électorale, à 10% cette fois-ci), sa force d'attraction militante est disproportionnée.
Alors il faut se faire une raison et regarder la vérité en face : le PCF compte aujourd'hui plus par son influence culturelle pendant 90 ans (et, particulièrement, les 60 dernières années) qu'autre chose. Ça fait de beaux restes, mais pas plus.
Les raisons en sont multiples. Certains dénoncent à juste titre Georges Marchais comme « l'artisan de la déchéance », lui qui a « prit » le parti à 20% quand il était la première force à gauche et, encore, le "grand parti de la classe ouvrière" et l'a rendu à moins de 10% un quart de siècle plus tard. Il est clair que certains raidissements "brejnéviens" de feu Marchais ont été de trop. Et puis c'est aussi pendant cette période que le PCF a cessé d'être un parti de « cellules » pour devenir un parti de « direction ». Mine de rien, ça compte. Quand la base n'est plus l'élément moteur d'une organisation, on en arrive à des aberrations comme de voir le parti de Cachin, Thorez et Duclos promouvoir les régionalismes en tous genres à la fête de l'Humanité à partir de 1984, alors même que le mot d'ordre était « produisons français ». Comment être à la fois régionaliste et nationaliste ? Fédéraliste et patriotique ? Girondin et montagnard ? Bref, comme le disait Mao (il n'a jamais fait là que constater ce que d'autres avant lui, notamment Robespierre, avaient constaté) : « le poisson pourrit toujours par la tête ». Le PCF n'a pas fait exception.
D'autres accusent Mitterrand et le PS. Il est vrai que dès 1978, le premier secrétaire du PS ne s'était pas caché de nourrir l'ambition de ramener le PCF à 10%. Mais c'est là une bien formidable excuse ! Sarkozy a nourri exactement la même ambition vis-à-vis du FN. On voit bien comment depuis 2007 le FN a baissé... il était dans une spirale descendante depuis 2002, le voici requinqué à bloc ! Bien sûr, il n'a pas totalement récupéré son potentiel électoral d'avant 2007, mais malgré pas moins de cinq scissions en trois ans, des problèmes de trésorerie en veux-tu en voilà et des incohérences innombrables, il a bien surmonté le choc. Preuve qu'il ne suffit pas de vouloir réduire l'influence d'un mouvement, ni même d'arriver au pouvoir avec ce désir, pour qu'il se réalise. Pour que Mitterrand réussisse, il a fallu bien d'autres choses. La mission était déjà à moitié achevée dès 1981 : une présidentielle à 15%, des législatives à 16%. Dès 1986, le parti stagnait à 10-11%.
Enfin, d'aucuns accusent les directions Hue puis Buffet d'avoir « sabordé » le parti en bradant le corpus idéologique au profit du sociétal cosmétique et de l'exubérance médiatique. Ce diagnostique est effectivement en partie vrai et justifié. Les innombrables couleuvres avalées sous le gouvernement Jospin n'ont, de plus, pas aidé au redressement.
Toutes ces accusations ont leur fond de vérité. Mais, si tu veux mon avis, la crise du PCF remonte à plus loin. Beaucoup plus loin. Presque 90 ans, en vérité. Oui, dès 1924, pratiquement dès sa création, le PCF s'est trouvé sur la pente descendante. Pour une raison simple : c'est à partir de 1924 que le corpus idéologique du communisme a commencé à se défaire de tout ce qui était français. N'oublions pas que de 1924 à 1936 le PCF n'a jamais dépassé les 12% des suffrages. N'oublions pas non plus que ces (un peu) plus de 15% des voix en 1936 avaient été à l'époque considérés comme un exploit difficile (pour ne pas dire impossible) à rééditer. C'est bel et bien la Résistance et la Libération, la légende du « PCF, Parti des Cent mille Fusillés » (quel slogan !), qui lui ont donné le « coup de pouce » électoral que l'on connaît, le stabilisant à 25% pendant deux décennies. Le temps que s'émousse le souvenir de sa glorieuse page patriotique et que dominent à nouveau dans son corpus idéologique les arguties à base de « front de classe », etc.
Car oui, je suis désolé, mais il est un fait que, culturellement parlant, un parti qui préfère des thématiques « étrangères » (je vise ici le corpus idéologique marxiste-léniniste, mais c'est une réflexion valable en-dehors de ce cadre) aux thématiques nationales ne dépasse jamais les 20%. Regarde le Front National, qui passe son temps sur des machins d'arrière-garde (« mort aux rouges », « pas d'homos », etc.) : il n'a jamais atteint les 20%, et malgré les sondages, je doute fortement qu'il y parvienne un jour. La fille Lepen est à 22% à 9 mois de l'élection ; en 2007, son père était à 18% 6 mois avant, et il a fini à 10,55%. C'est un fait qu'en France, s'il y a une constante, c'est que, quelle que soit la chapelle (« gauche » comme « droite ») sans discours national, pas de succès. Regarde en 2002 : les deux « principaux candidats » (Chirac et Jospin, j'ai déjà mentionné le cas du borgne plus haut) étaient deux mondialistes bon teint assumés. Chirac : 19%, Jospin : 16,2%. Quel succès ! Moins de 40% des voix pour les deux partis disposant de 80% de la représentation nationale depuis 40 ans !
A l'inverse, en 2007, les deux candidats « principaux » (Sarkozy et Royal), ainsi que « l'outsider médiatique » Bayrou étaient tous sur un discours national (totalement hypocrite, on est d'accord). Ensemble, ils ont rassemblés près de 80% des suffrages ! Et on peut même y ajouter les 10% du borgne, qui avait fait une campagne « sage » appelant aux mânes de la Nation plutôt qu'au muscle du reagganisme.
Sous la IVème, la droite nationalisto-gaulliste faisait jeu égal avec le PCF, avec entre 25% et 30%, malgré une concurrence à 15% par les poujadistes. En y ajoutant le PCF (qui était donc, encore, auréolé de la gloire de la Résistance), ça nous donne un « camp national » à 75% au moins. Sous les débuts de la Vème République, les gaullistes faisaient 40% (!!), les communistes 20%, la « droite non gaulliste », dont la moitié au moins peut être comptabilisée comme « nationale », entre 15% et 25%. Toujours cette large domination du discours national.
Une fois faite l'érosion du mythe du « parti de la résistance nationale », le PCF est très vite retombé aux niveaux d'avant guerre. Un très court passage à 15% au tournant des années 1980, puis une chute à 10% (son étiage « naturel ») suivi d'une stagnation d'une décennie, de 1986 à 1997. C'était inscrit dans son discours, qui ne parle effectivement qu'à 10% des travailleurs. Donc non, encore une fois non, toujours non, il n'y a pas d'attente massive d'un parti léniniste et bolchévique. S'il est utile sur le terrain des luttes sociales, il est contre-productif (et encore, je pèse mes mots) sur le terrain politique, car non, en France, on n'aime pas les fronts de classe, on n'aime pas les factions. J'ajoute : on a raison de ne pas les aimer, car ce sont choses nuisibles. Le PCF, revenu de son épopée patriotique, était revenu à ces lunes idéologiques dès avant les années 1970.
Et pourtant, dans les années 1980, il y a eu l'espoir du discours « bleu-blanc-rouge » tenu par Marchais. Mais le décalage était trop grand entre un discours « officiel » national et patriotique, et une nouvelle « inféodation » (le terme est injuste, en effet) à Moscou. Tactiquement, il est vrai que la marge était étroite, puisque la rupture de l'union de la gauche isolait le PCF. Mais idéologiquement, c'était intenable. Et puis, surtout, c'est là qu'a commencé (ou plutôt recommencé, vu qu'on y avait déjà eu droit sous les IIIème et IVème Républiques) le « chantage » idéologique de la sociale-démocratie autorisée dont j'ai parlé dans un précédent commentaire ( http://www.editoweb.eu/nicolas_maury/Front-National-J-ai-la-rage-une-tache-brune-et-ca-tombe-sur-moi-_a4425.html?com#com_2174535 ).
Alors après, effectivement, le discours « moderne » de Hue puis Buffet a encore réduit l'étiage, faisant passer l'étiage des 10% de « guesdites » que compte la France depuis plus d'un siècle (avant Guesde, même) aux quelques pourcents de « gauchistes » qui la peuplent depuis les années 1960. Mais c'est ainsi, le pas a été prit. En politique, on perd moins à ne pas bouger qu'à bouger trop brusquement. C'est pourquoi la réémergence d'une gauche nationale forte, évidemment jointe à la gauche sociale (comme je dis souvent, il faut marcher sur ses deux jambes, et en France, ces jambes sont le national et le social), peut-être plus intelligente et efficace que la première mais qui ne touche en fait que peu de monde (10% à droite, 10% à gauche, à plus ou moins 5% selon les circonstances) pourrait (note le conditionnel) passer par le Front de Gauche.
En effet, malgré tout ses défauts, le Front de Gauche réussit l'exploit d'un grand écart qui recouvre dans un même espace géographique les gauchistes (Convergences & Alternative et Gauche Unitaire, voire le NPA), la « gauche exubérante » (« milieux associatifs », Alternatifs, FASE, ...) et la gauche « républicaine et citoyenne » (le Parti de Gauche et République & Socialisme, voire le M'PEP et/ou le MRC). Quant au PCF, il se situe - ou plutôt se situait, vu que les « refondateurs » sont partis à la FASE - précisément au confluent de ces trois « espaces limites », cramponné à son statut de « gauche sociale » et toujours tenté (au moins pour une part) par l'ancrage à la social-démocratie.
Ce qui m'amène à conclure ce looooong commentaire par une observation sur André Chassaigne. Car que représentait André Chassaigne pour un communiste « orthodoxe » comme André Gérin ? Mise à part son étiquette « communiste » - différence cosmétique -, quel « avantage comparatif » idéologique avait-il sur le co-président du PG ?
Si on accuse Jean-Luc Mélenchon de « rouler pour le PS » et d'être « tenté par la social-démocratie » (lui s'est toujours défendu d'être social-démocrate, avec un acharnement particulier lorsqu'il était au PS) alors même qu'il a acté théoriquement depuis 1994 et pratiquement depuis 2005 (puis 2008) l'irréductibilité entre la gauche sociale-démocrate et la gauche socialiste, imagine quels procès d'intention on peut légitimement faire à André Chassaigne, qui, lui, considère qu'il existe un « continuum » de la sociale-démocratie jusqu'au communisme révolutionnaire, et qu'un nouvel ancrage « plus à gauche » du PS permettrait de mener une politique de gauche sociale ! Je m'abstiendrais ici d'une accusation à son encontre car, d'une part j'apprécie et je respecte André Chassaigne (ainsi qu'André Gérin, d'ailleurs, et même Maxime Gremetz !) et, d'autre part je déteste les procès d'intention, les brevets de respectabilité et les anathèmes. Mais quelqu'un de moins bien intentionné que moi n'aurait pas de telles préventions ni une telle pudeur.