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« Pourquoi je ne voterai pas, comme mon groupe parlementaire, la révision constitutionnelle » par Eliane Assassi

Perspective communiste

Dans quelques semaines, nous débattrons au Sénat de la révision constitutionnelle engagée par François Hollande, à la suite des attentats de novembre dernier. Une révision annoncée alors que l’émotion et la stupeur devant ces attaques secouaient encore tout le pays. Deux mesures seraient prises dans ce texte, inscrivant dans la Constitution les dispositions existantes sur l’état d’urgence, ainsi que l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés en France

L’argumentation générale du texte ? La lutte contre le terrorisme, sous l’angle assumé de l’encadrement des libertés pour assurer sa sécurité. Une vision réductrice du phénomène bien plus vaste du terrorisme, mais qui permet d’afficher à peu de frais une attitude « combative et déterminée » dans une atmosphère sécuritaire. Ces deux mesures sont pour moi extrêmement contestables, et pour beaucoup de raisons. D’abord, on peut regretter la forme même de cette révision : nous avons un texte annoncé très vite, sans véritablement de débat, décidé dans l’émotion et sous l’état d’urgence. Force est de constater que malgré la volonté de débat affichée par le Président, les pressions ont été énormes pour, justement, cloisonner, caricaturer et restreindre les discussions. Une erreur fondamentale dans une révision constitutionnelle qui doit justement permettre des échanges contradictoires. J’en viens maintenant au fond de cette réforme.

La première mesure, qui concerne la constitutionnalisation de l’état d’urgence, est annoncée comme « sécurisant » et « encadrant », le recours à l’état d’urgence. Un élargissement dont j’ai du mal à percevoir la nécessité : la simple preuve que nous vivions depuis novembre sous l’état d’urgence, décidé très vite, prouve que les textes existants sont suffisants. L’argument de facilitation du recours à l’état d’urgence n’est donc pas recevable. Quelle est donc la raison qui justifie cette inscription dans la Constitution ? Et bien de l’avis de nombreux juristes, et compte tenu du fait que le terrorisme constituera pour encore longtemps une menace, cela permettra d’établir durablement un régime d’exception. Un régime dont les effets sur le terrorisme sont très flous : pour 3.021 perquisitions, seules 4 procédures judiciaires ont été ouvertes en lien avec le terrorisme. Ce chiffre très bas ne peut permettre de justifier le recours à cette procédure, car d’autres moyens de lutte contre le terrorisme existent, notamment en lien avec la surveillance « humaine », qui nécessite des moyens supplémentaires, une organisation des services clarifiée, et qui a, par le passé, toujours eu des résultats.

Si on peut relever que la nature de la menace a changé, elle ne peut trouver sa réponse dans une inflation de la surveillance indiscriminée. De ce point de vue, l’argument qui consiste à dire « vous n’êtes pas terroriste et donc pas concerné » est un faux argument : nous avons déjà vu des dérives, notamment lors de la COP21 où des militants écologistes, parmi d’autres citoyens visés par de simples suspicions, ont eu à subir les effets de l’état d’urgence : assignations, perquisitions, etc. Des dérives déjà condamnées, entre autres, par la Ligue des Droits de l’Homme et le Défenseur des Droits, et qui pourraient se multiplier à l’avenir.C’est cet état d’urgence « permanent » et très étendu que je combats, car il est à la fois inefficace et réducteur de nos libertés. J’ai parfois l’impression, compte tenu du caractère liberticide de l’état d’urgence, que le seul motif de l’élévation de cette loi au rang constitutionnel se fait pour le protéger, justement, d’une inconstitutionnalité.

La seconde mesure de ce texte, la déchéance de nationalité des binationaux, qui demeure dans le texte final, en pratique, malgré un artifice législatif. Cette mesure est également difficile à accepter. De fait, elle crée deux catégories de Français, l’une étant soumise à une nationalité « à la carte ». Une part des Français sera susceptible de perdre sa nationalité si elle enfreint la loi. Ici c’est bien le principe lui-même qui est contestable : en ouvrant cette possibilité aux seuls binationaux, il entérine une vision essentialiste de la nationalité. En effet, ce n’est plus l¹individu mais son origine qui déterminera s’il aura plus de droits que l’un de ses compatriotes. C’est une rupture fondamentale, et le fait que cette déchéance ne concernerait que peu de personnes n’est pas de nature à nous rassurer.

En effet, droite et extrême-droite jouent déjà la surenchère et l’extension de cet outil : qui peut dire comment agirait un gouvernement plus autoritaire avec une telle arme ? Enfin cette déchéance de nationalité pour les binationaux serait tout simplement injuste envers les pays dont les condamnés détiennent une nationalité. On imagine mal comment un pays « d’origine », quel qu’il soit, accepterait sans ciller un terroriste condamné, puis déchu de sa nationalité française. Mais plus profondément, cela témoigne d’une incapacité à voir dans nos propres failles et nos propres errements une partie des causes de la radicalisation, puis du passage à l’acte. Une incapacité qui se constate donc à l’aune de cette déchéance, une sorte de bannissement destiné à « refuser » à soi-même et au concerné, qu’il a pu être Français, quand bien même il l’a effectivement été. Un aveuglement coupable dans la mesure où pour l’essentiel, ces terroristes ont vécu et ont grandi en France, et sont donc aussi des produits de nos erreurs.

Dans ces conditions, lorsque Manuel Valls déclare qu’« expliquer, c’est déjà un peu excuser », je ne peux que regretter l’absence totale de réflexion et pire, l’absence d’autocritique. Personne évidemment ne niera que la responsabilité essentielle des attentats repose dans les mains des assassins du 13 novembre. Mais refuser de voir que ce sont bien des jeunes formés, nés et ayant vécu chez nous qui sont passés à l’acte, ce n’est pas trahir, ce n’est pas « excuser ». C’est un devoir d’explication qui doit nous permettre de trouver d’autres réponses, plus inclusives, que le tout sécuritaire, et qui doit en définitive nous permettre de conserver nos libertés. C’est cela qui constituerait notre vraie victoire face au terrorisme et à l’obscurantisme.

Éliane Assassi est sénatrice de Seine-Saint-Denis depuis 2004, présidente du Groupe Communiste, Républicain et Citoyen au Sénat depuis 2012, et membre du PCF. Elle a également siégé au Conseil Municipal de Drancy. Faisant partie des sénateurs les plus présents, elle s’attache à défendre, tant en séance qu’en commission des Lois, les libertés individuelles et l’égalité des citoyens.

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