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Coup d'Etat de Pinochet

Nicolas Maury

Le 11 septembre 1973 eut lieu au Chili un coup d'État dirigé par l'armée et la police pour renverser le président socialiste Salvador Allende, mettant un terme à la démocratie et débouchant sur l'instauration de la dictature d'Augusto Pinochet.

Le dictateur Pinochet et Salvador Allende
Le dictateur Pinochet et Salvador Allende
I/ les circonstances

Au début du XXe siècle, le Chili connaît une industrialisation rapide soutenue par la forte croissance économique des États-Unis d'Amérique. Cette dépendance vis-à-vis des États-Unis fait que la crise économique des années 1930 se répercute durement au Chili. De là vient une certaine sensibilité sociale qui s'impose dès 1938 avec l'arrivée du Frente Popular au pouvoir. Le Chili se lance alors dans une série de réformes : rôle accru de l'État dans l'économie, législation et protection sociale.

Lors du scrutin présidentiel de 1958, Jorge Alessandri arrive au pouvoir soutenu par les partis de droite. Dès 1960, il doit affronter une forte agitation sociale et lors des élections de 1964, Salvador Allende (coalition socialo-communiste) s'oppose à Eduardo Frei Montalva (démocrate-chrétien). Celui-ci est soutenu par le centre et la droite (opposés à Allende) ainsi que par les États-Unis qui financent sa campagne électorale fondée sur l'anti-communisme. Frei gagne les élections, engage des réformes : syndicats, éducation, réforme agraire, services sociaux. Mais il doit faire face à l'opposition du Congrès (qui ne le soutient plus), de ses propres partisans (qui doutent de sa réforme agraire) et lutter contre une inflation importante.

A)Le scrutin serré de 1970

Au scrutin de 1970, la gauche et la droite se livrent à un combat de coqs. Le communiste Pablo Neruda retire sa candidature et forme avec les autres partis de gauche l'Unité Populaire. Cette nouvelle alliance des gauches présente le socialiste Salvador Allende pour candidat unique et prône d'importantes réformes, « une révolution par voies légales », telles que l'expropriation des grands propriétaires terriens et des nationalisations d'entreprises. Face à Allende, se présentent Rodomiro Tomic pour la démocratie-chrétienne et Alessandri (président en 1958).

Les résultats sont très serrés : 27.95% pour Tomic, 35.76% pour Alessandri et 36.29% pour Allende. Puisqu'il n'y a pas de majorité absolue, et comme le veut la constitution, c'est au Congrès qu'il revient de confirmer l'élu à la présidence. Celui-ci adopte précipitamment plusieurs amendements constitutionnels visant à limiter les pouvoirs du futur gouvernement et confirme Allende en tant que président de la République. Le nouveau président met rapidement en place le programme de l'Unité Populaire.

B)Crise économique

Des difficultés d'approvisionnement, l'inflation galopante (508% en 1973), les difficultés de la politique économique et les grèves ont vite fait de mettre le Chili dans une situation difficile. La forte augmentation de salaires provoqua d'abord une hausse de la consommation mais ensuite une inflation. Les catégories sociales menacées par des nationalisations se révoltent, notamment les grands propriétaires dont les possessions doivent être nationalisées.

C)La résolution parlementaire contre Allende

Le 22 août 1973, les chrétiens démocrates (centre) et les membres du Parti National (droite) de la chambre des députés votent par 81 voix contre 47 une résolution intimant à l'armée de mettre fin immédiatement à ce qu'ils appellent des violations de la Constitution et de restaurer le droit, l'ordre constitutionnel et les bases essentielles de la démocratie.

La résolution déclarait que le gouvernement d'Allende recherchait à "[...]conquérir un pouvoir absolu à la fin évidente de soumettre tous les citoyens à des contrôles politique et économique des plus stricts par l'État [avec] le but d'établir un système totalitaire". La plus grande critique consistait dans l'absorption par l'exécutif des prérogatives législatives et judiciaires.

Plus particulièrement, le régime était accusé de:

* diriger par décret en contournant le système législatif
* ne pas appliquer les décisions judiciaires prononcées contre ses partisans ou contrariant ses objectifs
* diverses pressions économiques et policières envers les medias
* permettre à ses partisans de défiler armés tout en empêchant à ses opposants de se réunir légalement
* réprimer illégalement la grève de El Teniente

La résolution condamne enfin "le développement, sous la protéction du Gouvernement, des groupes armés qui, en plus d’attenter à la sécurité du peuple et ses droits et à la paix de la Nation, sont destinées à se battre contre l’armée." Les efforts d'Allende pour réorganiser l'armée et la police en lesquelles il ne pouvait faire confiance, furent décrits comme "tentative notoire d'utiliser l'armée et la police à des fins partisanes, détruire la hiérarchie institutionnelle et infiltrer politiquement leurs rangs."

D)Les prémices du putsch

Allende nomme Carlos Prats, chef des armées et allié politique, au poste de ministre de l'Intérieur. Lors des législatives de 1973, l'Unité Populaire obtient 44 % des voix. Il semble que la décision d'une intervention militaire soit prise à ce moment-là. Bien qu'il ait sauvé le gouvernement d'un premier putsch en juin 1973 (un régiment de chars s'en était pris au palais présidentiel, la Moneda), Prats doit démissionner suite à de nouvelles grèves dans les professions libérales et chez les camionneurs, ainsi qu'à la grogne du parti du Pouvoir Féminin. Il est remplacé par Augusto Pinochet. Allende prépare, pour le 12 septembre, un discours aux Chiliens devant annoncer un referendum sur une nouvelle organisation économique du pays.

II/ L'implication des États-Unis

Les États-Unis ne sont guère satisfaits de l'expropriation de grandes compagnies américaines du cuivre et de l'entente entre la Havane et Santiago du Chili. Ils décident d'instaurer un blocus vis-à-vis du Chili et coupent tous les crédits sauf ceux de l'armée chilienne. Ils offrent par ailleurs des stages aux officiers chiliens.

A)L'hostilité de l'administration Nixon

L'administration Nixon est fondamentalement hostile au gouvernement socialiste d'Allende dès son élection. Cette hostilité ressort notamment du memorandum transmit à Nixon le 5 novemebre 1970 par Henry Kissinger, alors Conseiller à la sécurité national. D'après Peter Kornbluh, chercheur au National Security Archive, qui a participé à la déclassification des archives de la CIA, "si les Etats-Unis n'ont pas directement participé au complot du 11 setpembre 1973, ils ont tout fait pour préparer le coup d'État contre Allende." Deux documents déclassifiés de la CIA démontrent que dès 1970, le président Nixon souhaitait que Allende soit renversé, en étranglant l'économie et en déclenchant un coup d'État.

Selon une retranscription d'écoutes publiée par le National Security Archive, Henry Kissinger, devenu Secrétaire d'État américain, dit au président Nixon, le 16 septembre 1973, en parlant du coup : "Du temps d'Eisenhower, nous aurions été des héros.", puis : "Nous les avons aidés à créer les conditions au mieux".

B)La stratégie de déstabilisation

La CIA a pour mission de déstabiliser le régime chilien afin "d'alimenter un climat propice au coup d'Etat". William Colby, directeur de la CIA de 1973 à 1976, affirme dans ses mémoires, que sept millions de dollars ont été dépensés par la centrale dans ce but. Le mouvement de la grève des camionneurs qui paralyse le pays en octobre 1972 est soutenu financièrement par la centrale de renseignement américaine. Réagissant aux nationalisations effectuées par le gouvernement d'Allende, plusieurs firmes américaines dont ITT apportent leur concours à cette stratégie.

La sédition au sein de l'armée chilienne a également été favorisée, en coordination avec le mouvement d'extrême-droite Patrie et Liberté. En octobre 1970, le chef d'état-major René Schneider, susceptible de s'opposer à un coup d'État, est assassiné par ces éléments séditieux menés par le général Roberto Viaux, lors d'une tentative d'enlèvement.

Les États-Unis ont directement participé au coup d'État proprement dit du 11 septembre 1973. L'administration Nixon fut enchantée du coup de 1973. Kissinger affirme par ailleurs que les grandes manœuvres américaines, dont il ne faut pas perdre de vue qu'il était le principal coordinateur, étaient terminées à l'époque du coup.

III/ Le coup d'État: Septembre 1973

Le 11 septembre 1973 à 9 h du matin, la Moneda est assiégée par l'armée sous le commandement de Pinochet. On ne laisse qu'un choix à Allende : s'exiler. Mais il refuse, fait évacuer sa famille et le personnel, et se suicide à l'aide d'une arme automatique que Fidel Castro lui avait offert.
La junte militaire se forme alors, dirigée par un conseil de quatre soldats qui mettent à leur tête Pinochet :

* Augusto Pinochet pour l'armée de terre;
* Gustavo Leigh Guzmán pour l'armée de l'air ;
* José Toribio Merino Castro pour la marine ;
* César Mendoza Durán pour la gendarmerie.

À sa prise de pouvoir, Pinochet fait en sorte d'être seul à la tête du conseil et est proclamé Président de la république. Il s'attache aussitôt à consolider son pouvoir.

Le 13 septembre, la junte dissout le congrès et met hors-la-loi les partis membres de l'Unité Populaire. Le stade national est temporairement transformé en une immense prison ; 130 000 personnes sont arrêtées en trois ans dont des milliers dans les premiers mois.
La dictature ultralibérale de l'ami de Margareth Tatcher commence dans un bain de sang.


Commentaires (3)
1. Nous ferons vivre le PCF! le 15/12/2006 17:27
Après les articles du Monde des 10 et 11 décembre :Combattre l’anticommunisme est plus que jamais une lutte d’actualité

Déclaration

Le journal Le Monde cherche visiblement à relancer l’une des attaques les plus récurrentes de l’anticommunisme en publiant sur toute la troisième page de son édition datée des 10 et 11 décembre 2006 deux articles sur le PCF regroupés sous le titre infâmant, sur cinq colonnes, « quand le PCF négociait avec les nazis ». Depuis 1945, les anticommunistes de toutes les obédiences tentent d’exploiter les hésitations stratégiques de la direction du PCF en 1940 pour salir l’histoire et l’idéologie de notre parti, jusqu’à amener l’amalgame aussi intolérable qu’écoeurant entre fascisme et communisme. Plus l’accusation est grosse, … on connaît la suite.

Le PCF est la seule organisation politique dont on attend qu’elle soit comptable de son histoire. Pour beaucoup de communistes dont nous faisons partie, qui refusent de renier nos convictions et de changer de nom, c’est notre fierté.

En 1940, après l’invasion allemande, toutes les autres formations politiques abdiquent, sinon trahissent, devant le fascisme. Elles se sont davantage consacrées depuis la déclaration de guerre en septembre 1939 à réprimer les communistes et l’ensemble des militants ouvriers qu’à préparer le pays à se défendre. Le 27 septembre, le ministre socialiste Sérol signait le décret punissant de mort toute activité communiste. On est loin du Front populaire déjà anéanti par Munich un an à peine auparavant.

A l’été 40, le pays est en décomposition, le régime de Vichy, le plus violemment anticommuniste, s’installe. La direction du PCF est géographiquement éclatée. La vision tactique du pacte germano-soviétique, gagner du temps pour préserver et renforcer l’Union soviétique, peut se comprendre aisément comme peut se comprendre que les réalités de l’internationale communiste sont en décalage avec celles de la France occupée.

C’est dans ce contexte de confusion généralisée qu’il est nécessaire de situer l’initiative éphémère de demande de reparution légale de L’Humanité par certains dirigeants du PCF. Cette application de la théorie de l’utilisation de la « moindre possibilité favorable » est rapidement désavouée notamment par Maurice Thorez lui-même et abandonnée. L’Appel du 10 juillet de Duclos et Thorez, diffusé clandestinement tout au long de l’été, traduit sans conteste la volonté du PCF de mobiliser pour l’indépendance nationale. Le choix de faire réapparaître dans la légalité au grand jour les cadres du Parti a coûté cher mais la reconstitution de l’organisation communiste dès 40 aura été décisive pour la Résistance.

Cela fait des années que ces sujets font l’objet d’études historiques, notamment du côté du PCF. Qu’y a-t-il de neuf aujourd’hui ? Un xième ouvrage signé par MM. Besse et Pennetier, historien de « gauche », vient de sortir. Ils chargent la personnalité de Jacques Duclos, dont l’apport au mouvement révolutionnaire est incontestable, et dévoilent des « notes » décousues qu’ils ont retrouvées dans les archives départementales de Paris et qui seraient issues de la police de Vichy. Elles auraient été saisies sur une militante communiste faisant partie d’une délégation partie demander la reparution de l’Huma. Ils « estiment » que leur auteur pourrait être le responsable communiste Tréand. Surtout, ils prétendent leur donner valeur de document d’orientation du PCF. Le procédé démontre pour le moins la légèreté du travail de ces « historiens ». Elle les conduit à une insinuation ignoble. Dans ces notes griffonnées, le ministre Georges Mandel est désigné comme le « juif Mandel ». Voilà de quoi alimenter la thèse si appréciée des anticommunistes : « les communistes sont antisémites comme les fascistes ». Toute insinuation dans ce sens est une insulte inacceptable pour le Parti de Maurice Thorez et Georges Politzer, pour tous les communistes.

Quelle est l’opportunité pour le Monde de remettre le couvert ? S’agit-il de donner des arguments supplémentaires à ceux qui veulent éradiquer l’identité du PCF du paysage politique ?

L’Humanité datée du 12 décembre consacre deux pages à ce même sujet. Si les articles de Jean-Paul Scot rétablissent heureusement des éléments de vérité sur le nombre de résistants communistes assassinés mis en doute honteusement par le Monde, l’article de l’historien Bourderon rentre entièrement dans le jeu malsain de MM. Besse et Pennetier à qui l’Huma juge bon de surcroît d’accorder 4 colonnes d’interview. Aucun rappel du contexte, aucun esprit critique : l’Huma choisit la ligne de la repentance avec toutes les acceptations qu’elle comporte à l’égard de l’anticommunisme. Nous dénonçons cette orientation et demandons à ce qui est encore à 80% notre journal (le reste du capital étant dans les mains des trusts menés par le groupe Lagardère) de rectifier le tir incessamment.

Mais le pire est constitué par la déclaration de la direction du PCF. De qui émane-t-elle exactement ? Ce texte valide d’emblée la thèse du livre et son esprit, osant affirmer que la stratégie du PCF en 40 « était nourrie de propos antisémites ». Elle reprend la thématique souvent reprise par les anticommunistes de « gauche » de la gentille base, composée de braves militants « ignorant tout des tractations puis des règlements de compte de sommet » opposée aux directions et à la structure du Parti. Sans son organisation, sans sa direction, sans ses structures, un parti communiste n’existe pas et le PCF n’aurait pas pu résister, l’affirmation de cette évidence n’empêchant pas l’analyse critique, au contraire nécessaire, de notre histoire et de l’action de nos dirigeants. S’il y a un divorce entre les communistes et leur direction, c’est bien en ce moment !

Nous invitons les camarades à intervenir auprès du secrétariat national du PCF pour qu’un communiqué rectificatif voie le jour !
2. Pennetier Claude le 27/12/2006 10:00
De toute évidence, l'auteur de ce texte n'a pas lu le livre (Besse, Pennetier, Juin 1940, éditions de l'Atelier). Il invente des citations (« les communistes sont antisémites comme les fascistes ».) qui sont à l'opposé de nos conclusions. Et de plus il ose écrire "Le travail démontre la légèreté de nos 'historiens'".
Historiens entre guillemets, pour des chercheurs confirmés et reconnus. Que dire alors de l'auteur de l'article qui ne sait pas que le 20juin 1940 le gouvernement est à Bordeaux et qu'il n'est donc pas question de l'influence de Vichy ou de la police de Vichy.
Il ne faudrait pas qu'un travail historique dédié aux militants communistes qui ont ignoré le cours légalistes (hommage à Gabriel Péri et à Charles Tillon) soit un enjeu dans la lutte contre MGB. Ce serait une instrumentalisation de l'histoire inacceptable et un attteinte à la liberté de la recherche.
Les auteurs se tiennent à disposition de tous les collectifs qui voudraient organiser un débat. Il vaut mieux un bon débat qu'une mauvaise polémique.

3. vincent le 27/01/2007 18:37
j'ai fais un lien vers cet article suite au reportage de thalassa du vendredi 26 janvier
sur l'Esmeralda navire utilisé par Pinochet pour torturer ses opposants
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