La mémoire bafouée de Guy Môquet
Nicolas Maury
En mettant en doute l’engagement résistant du jeune lycéen fusillé par l’occupant allemand, deux historiens de l’Université de Bourgogne tentent de discréditer les combats communistes.
On lira par ailleurs ci-contre, la réponse, en forme de mise au point, que leur adressent trois historiens, enseignants dans cette même université et que le journal du soir n’a pas jugé utile de donner à connaître à ses lecteurs. Pourtant, il n’est nullement question dans cette controverse de querelle de spécialistes, de préciser tel ou tel point de détail, ou d’apprécier la valeur de telle ou telle archive ou témoignage, mais bien d’une attaque frontale, aussi grossière qu’elle se veut sans appel, puisqu’elle entend discréditer le sens même du combat pour lequel Guy Môquet et la plupart de ses compagnons emprisonnés, puis fusillés à Châteaubriant ou au Mont-Valérien, ont donné leur vie.
La logique de l’article est élémentaire, sans la moindre nuance : Guy Môquet dont la mémoire a été remise sur le devant de la scène publique par le président de la République, le jour de sa prise de fonction, « sans que la réalité historique soit pour autant interrogée » était membre d’un parti qui, au moment de l’arrestation du jeune homme par des policiers français à la gare de l’Est, le 13 octobre 1940, « était tout sauf résistant ». Dépeint comme un jeune lycéen « exalté », « prisonnier de la logique d’un parti enfermé dans les compromissions de l’alliance Staline-Hitler »,
il « n’a pas pu être le « résistant qu’on célèbre à tort ». Il y aurait donc erreur, énorme contresens à la fois sur la personne de Guy Môquet comme sur l’engagement patriotique des communistes, bien qu’ils aient été interdits, leurs élus destitués, les militants traqués et emprisonnés par la police de Vichy, pendant cette époque du début de la guerre et de l’Occupation.
L’accusation n’est pas nouvelle hélas : elle consiste à dire qu’avant l’invasion de l’Union soviétique par Hitler en juin 1941, il ne saurait y avoir de « résistance » communiste à l’envahisseur, comme si le fait d’être désigné par Pétain comme l’adversaire à abattre alors même que son gouvernement organise la collaboration avec l’occupant, suspend la démocratie, et promulgue les premières lois racistes antijuives, était quantité à négliger. Certes, la résistance intérieure dans laquelle les communistes prendront une part incontestée, n’est pas née du jour au lendemain : elle naît sur un terreau de classe, dans le prolongement du Front populaire et des combats antifascistes, elle se nourrit des idéaux démocratiques et de transformation sociale, elle conjugue le patriotisme et l’internationalisme et le prestige des Brigades internationales dont les communistes, sans être les seuls, furent sans discontinuer les ardents propagateurs. L’action qui prend corps à l’été et à l’automne 1940 n’a pas été sans hésitation ni fautes. Elle est souvent individuelle, son organisation clandestine embryonnaire, mais elle se construit à l’évidence face au pouvoir pétainiste qui, lui, s’incline devant l’occupant.
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’action de Guy Môquet et de ses jeunes compagnons : eux ne craquent pas sous le poids de l’énorme responsabilité pesant sur leurs épaules et ils meurent en héros.
Ce n’est pas ce qui intéresse les auteurs de l’article pour qui l’objectif idéologique essentiel semble être de faire une nouvelle fois le procès du PCF, accusé d’avoir voulu « laver une des périodes les plus troubles et ambiguës de son histoire » « avec le sang des otages ». La formule est insupportable. Elle déshonore ses auteurs.