EADS
Nicolas Maury
RIPOUX, CORBEAUX... ou un concentré de capitalisme
Les sommes en jeu sont colossales : 2,5 millions d’euros pour le seul Noël Forgeard, co-président du groupe. De temps à autre, viennent crever à la surface de l’actualité ces nouvelles d’un autre monde – celui de l’ancien patron de Vinci, Antoine Zacharias – où les chefs des grandes entreprises et les principaux actionnaires gagnent toujours plus et ne cessent de demander aux salariés de se serrer la ceinture.
Pas question de coup de pouce pour le SMIC, a annoncé Dominique de Villepin, en prétextant que la feuille de paie serait l’ennemi de l’emploi. À la Sogerma à Mérignac, les 1000 salariés menacés de licenciements par le groupe aéronautique sont au contraire fondés à estimer que les stock-options sont ravageuses pour l’emploi. Pour mémoire, les patrons du CAC40 se sont partagé 26,6 millions d’euros de stock-options en 2005-2006 et ils en ont pour 700 millions d’euros en portefeuille !
Les prouesses technologiques d’EADS, son splendide A380, sont éclipsées par une série d’affaires. Une bataille féroce pour la présidence du groupe a opposé ses dirigeants, et l’affaire Clearstream trouve l’une de ses sources principales dans la société. Depuis la mort de Jean-Luc Lagardère, cette société qui unit l’aéronautique et l’armement est l’objet d’un affrontement qui dépasse le cadre des ambitions de managers. L’un serait adoubé par le président de la République, un autre aurait des sympathies pour le ministre de l’Intérieur, une rivalité sourde oppose l’Allemagne et la France pour le pilotage de l’entreprise. Le rival Boeing et les autorités américaines ne facilitent sans doute pas la vie de cette entreprise. Une véritable guerre économique est à l’œuvre. Mais ce qui rend ce groupe plus perméable aux opérations troubles, c’est la pression croissante des marchés financiers.
Lorsqu’en 1999, sous Jospin (PS), l’État a renoncé à son rôle de pilote d’Airbus pour n’être plus qu’un passager influent, il a ouvert une boîte de Pandore. L’exigence de rentabilité à court terme conduit à économiser sur l’emploi, à recourir à la sous-traitance, à privilégier le cours de l’action aux dépens d’exigences industrielles. “ Une révolution est en cours chez Airbus qui n’est pas achevée ”, expliquait en mai dernier Forgeard (Les Échos). Il s’agit en fait de se cantonner à la conception des systèmes, baptisée “ cœur de métier ”, et d’externaliser le plus possible les fabrications. “ À terme, ajoutait-il, nous pourrions diminuer d’au moins 40% nos sites de développement. ”
Alors que Lagardère et Daimler-Benz, actionnaires de référence, se désengagent par étapes, de grandes manœuvres sont lancées pour prendre position dans cette industrie stratégique. Qui va prendre la place ? Qui tirera profit de l’explosion du transport aérien et du renouvellement des flottes ? Dans quelles mains seront les armes de demain ?
Ce nouvel épisode du feuilleton des stock-options ne se résume donc pas à un problème de “ gouvernance d’entreprise. Si la justice devra sans doute établir si délit d’initié il y a, c’est un jugement d’une autre nature que peut porter l’opinion et demain l’électorat. Les choix économiques qui suscitent ces scandales sont indéfendables.
Alors que l’UMP cherche à privatiser GDF d’une manière ou d’une autre, il faut l’avoir à l’esprit. L’énergie devient un enjeu vital pour l’avenir. Un sujet trop sérieux pour être livré aux logiques aveugles du marché.