Le Rattachement de Nice à la
France
« L’intégration est le préalable
sociologique à la juridification »
Professeur H. A.
Schwarz-Liebermann von Wahlendorf
Introduction :
Rattachement ou annexion ? La
question est juridique et d’ordre
constitutionnel. Linguistique même alors que le
Dictionnaire de l’Académie Française, à l’entrée
Annexion, nous suggère ce qui suit :
« (1)ANNEXION
n. f. XIVe siècle. Dérivé d'annexer.
Action d'annexer ; résultat de cette action.
L'annexion d'un pays par un autre.
L'annexion de la Savoie à
la France. L'annexion d'un champ à une
propriété. Par méton. Ce qui est annexé.
Étendre les lois du pays à ses annexions,
aux territoires annexés. »
« L’annexion de la Savoie à la
France » !
Qui faut-il donc croire ?
Avant tout, les faits, outre
l’analyse des conditions qui les engendrèrent.
Mais aussi les hommes, les acteurs de ces
quelques années qui, au cœur du XIXe siècle,
bouleversèrent l’Europe et, peut-être, le monde.
Suivant en cela le Dictionnaire
de l’Académie Française, j’utiliserai le terme
« Annexion ». Le premier fait indiscuté est que
pour la première fois en 1860 entre dans le
droit diplomatique universel la notion du
« droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».
Elle ne s’appliquera plus dès lors et jusqu’à la
Seconde Guerre Mondiale comprise, qu’aux
territoires détenus soit par la France, soit par
l’Allemagne. Il s’agit, bien sûr, de
l’Alsace-Lorraine.
En quoi l’auteur de ces modestes
lignes – des « mélanges » dirais-je – est-il
particulièrement concerné par le sujet. Tout
d’abord en sa qualité de juriste qui eut
l’incroyable chance de suivre les cours de Droit
Constitutionnel du Professeur Professeur H. A.
Schwarz-Liebermann von Wahlendorf dont la
citation figure en tête des présentes. Puis, de
façon plus personnelle et subjective, en celle
de descendant de l’un des acteurs Niçois de
l’Annexion, François Malausséna, sa fille
Clorine ayant épousé César-Marie Figuiera,
lui-même père de mon arrière grand-père.
François Malausséna est donc mon quadrisaïeul.
Relativement à la citation du
Professeur Schwartz-Liebermann von Wahlendorf,
éminent comparatiste et corédacteur de la
Constitution Allemande d’après guerre, elle est
un condensé des problèmes passés et
contemporains liés à l’adéquation entre les
faits et le droit, Ainsi, l’intégration de Nice
à la France préexistait-elle, en tant que
préalable sociologique, à la juridification,
c'est à dire à la ratification de son
rattachement à celle-ci ?
Quant aux liens familiaux avec le
dernier Sindaco de Nice et le premier
Maire de Nice Française, ils me permettront
peut-être de pouvoir apprécier quasiment de
l’intérieur en quoi François Malausséna a
respecté sa conscience tout d’abord, puis celle
des Niçois.
I Les Questions :
La première est essentielle. Les
liens historiques entre Nice et la France
justifiaient-ils que la première soit rattachée
à l'Empire en 1860?
Quelques dates :
Lorsque Nice quitte la Provence
en 1388, celle-ci n'est pas française. Elle ne
le deviendra qu'en 1481 à la suite de la mort du
Roi René. Il est donc historiquement et
constitutionnellement impossible de prétendre
que le Comté de Nice a une première fois quitté
le giron national et avait donc vocation à le
recouvrer quelques siècles plus tard. Au
demeurant, en 1526, les Terres Neuves de
Provence deviennent le Comté de Nice, signe
supplémentaire d'un souhait de se dégager de la
Provence occidentale et Française.
Les "incidents" de 1538 et 1543,
déjà évoqués ici, ne constituent pas des
annexions ou des rattachements du fait de
François Ier, Roi de France et de ses alliés.
Ils sont des occupations de nature précaire qui,
d'ailleurs, ne furent pas constitutives de
droits.
Sceau duc de Savoie Emmanuel Philibert dans
boite métallique.- 1560.- BB
98/2
Certes, en 1691, Louis XIV se
pare du titre de Comte de Nice, mais cette
fiction juridique est combattue savamment par le
mariage de la fille du duc de Savoie avec le
petit-fils de Louis XIV. Dès lors, hormis la
destruction du château de Nice et le
démantèlement de celui d'Eze dans les années
1704, la France n'apparaîtra plus avant une
centaine d'années.
D'ailleurs, et cette fois,
l'argument est meilleur.
En-tête d'une lettre du Général
Eberlé, gouverneur de Nice sous l’Empire.- 17
Thermidor An 10.- 2 H 026, f°125.
La Révolution en marche avance au
son du tambour de guerre. L'Est, refuge des
"tyrans", menace la Convention. Nice ne fait pas
exception et le 29 septembre 1792, les troupes
révolutionnaires commandées par le Général
Anselme, entraient dans Nice, Villefranche et
ses environs.
Le 10 janvier
1793, soit onze jours avant que le Roi de France
ne monte les marches de l'échafaud, la
Convention reçoit deux envoyés du peuple niçois.
Le député Veillon et Jean-Dominique Blanqui qui
est né à Eze en 1757, dans le quartier de la
Trinité, séparé de la commune en 1818.
Jean-Dominique Blanqui fut professeur de
philosophie et d'astronomie au Collège ci-devant
Royal de Nice. Les deux émissaires apportèrent
les résultats des votes des assemblées
primaires, celles-ci devant se prononcer sur la
réunion de Nice à la République. Ce vote très
indirect et conduit en présence de l'armée
révolutionnaire, conduisit le 4 février suivant
au décret prononçant la réunion des
"Alpes-Maritimes" à la République.
La discussion
a pu naître quant à la validité de cet acte pris
en tant de guerre, sous le feu du demandeur et à
quelques lieues des Austro-sardes qui tiennent
l'Authion et le fort de Saorge.
Quoiqu'il en
soit, la France s'installe et les notables
Niçois, tous résistants dans l'âme qu'ils
peuvent être, doivent penser à organiser leur
nouvelle vie sous ce nouveau régime. Ainsi
Ludovic Figuiera, grand-père de César-Marie
Figuiera, mari de Clorine Malausséna, qui
fut élu maire par l'assemblée primaire du 9
décembre 1792 puis réélu par celle-ci le 24 mars
1793 et restera en fonction jusqu'à brumaire an
III.
Ludovic
Figuiera
Brumaire au
sonorités bonapartistes et voilà qu'il est promu
Président de la Commission Municipale par arrêté
des Représentants du Peuple près l'Armée
d'Italie en brumaire an III. C'est d'ailleurs
lui qui recevra le Général Kellermann dans sa
maison d'Eze.
En l'an IV, il
est Agent municipal dans le cadre de
l'administration municipale du Canton de Monaco
et maintenu à ces fonctions jusqu'à ventôse an
V.
Il démissionnera
de ce poste, dit-on pour raison de santé, le 5
thermidor an V. Thermidor...
Pourtant, il est
à nouveau désigné en qualité d'agent municipal
par l'administration du Canton de Monaco le 5
germinal an VII ce par deux fois jusqu'au 1er
floréal an VII.
Il sera même,
pour un temps, Président de l'administration
municipale du Canton de Monaco en pluviôse an
VIII.
Puis, jusqu'en
1814, il fut sans interruption maire du village
d'Eze.
Ces multiples
étapes ne permettent pas, néanmoins, de parler
d'intégration d'un territoire à un autre que ce
fut politiquement ou sociologiquement. Les
Alpes-Maritimes sont donc "Françaises" de 1792 à
1814, soit environ vingt-deux ans. Ce sont
précisément ces quelques décennies qui suffirent
à créer une scission au sein du Comté. D'une
part le "parti Français", d'autre part le "parti
- plus tard dit - Italien".
Ne l'oublions
pas. En cette Europe du début de l'ère Moderne,
une seule puissance peut être dite de type
"moniste", c'est à dire d'une seule substance
linguistique et politique : la France.
L'Angleterre n'est qu'une une partie du
Royaume-Uni, la Prusse ni plus ni moins
importante que les multiples principautés de
Courlande ou petits royaumes de Bavière,
l'Italie itou, jusqu'à la Russie dont le
tzar tente depuis des siècles d'étendre le
pouvoir central vers ses marches, mais sans
grand succès.
Le Comté de
Nice, avant 1388, après 1792, n'ignore pas que
son voisin est un ogre. D'autres parties de
l'Europe, à la même période, auront en même
temps un sentiment identique à l'endroit
d'autres puissances également voisines. L'Europe
contemporaine est sans doute née de l'acception
des uns, née de la force des autres. Rares sont
les mariages d'amour entre nations mais bien
plus souvent de raison. Les quelques jalons qui
précèdent ne semblent pas pouvoir augurer de
l'Union de 1860.
La cause de
cette idylle doit donc être recherchée ailleurs.