Notes Philosophiques ou Voyage en Anachronie -

L'Histoire

Mardi 11 Octobre 2005
Le Rattachement de Nice à la Fra

Le Rattachement de Nice à la France  

« L’intégration est le préalable sociologique à la juridification »

Professeur H. A. Schwarz-Liebermann von Wahlendorf

 

Introduction :

 

Rattachement ou annexion ? La question est juridique et d’ordre constitutionnel. Linguistique même alors que le Dictionnaire de l’Académie Française, à l’entrée Annexion, nous suggère ce qui suit :

 

« (1)ANNEXION n. f. XIVe siècle. Dérivé d'annexer.
Action d'annexer ; résultat de cette action. L'annexion d'un pays par un autre. L'annexion de la Savoie à la France. L'annexion d'un champ à une propriété. Par méton. Ce qui est annexé. Étendre les lois du pays à ses annexions, aux territoires annexés. »

 

« L’annexion de la Savoie à la France » !

 

Qui faut-il donc croire ?

 

Avant tout, les faits, outre l’analyse des conditions qui les engendrèrent. Mais aussi les hommes, les acteurs de ces quelques années qui, au cœur du XIXe siècle, bouleversèrent l’Europe et, peut-être, le monde.

 

Suivant en cela le Dictionnaire de l’Académie Française, j’utiliserai le terme « Annexion ». Le premier fait indiscuté est que pour la première fois en 1860 entre dans le droit diplomatique universel la notion du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Elle ne s’appliquera plus dès lors et jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale comprise, qu’aux territoires détenus soit par la France, soit par l’Allemagne. Il s’agit, bien sûr, de l’Alsace-Lorraine.

 

En quoi l’auteur de ces modestes lignes – des « mélanges » dirais-je – est-il particulièrement concerné par le sujet. Tout d’abord en sa qualité de juriste qui eut l’incroyable chance de suivre les cours de Droit Constitutionnel du Professeur Professeur H. A. Schwarz-Liebermann von Wahlendorf dont la citation figure en tête des présentes. Puis, de façon plus personnelle et subjective, en celle de descendant de l’un des acteurs Niçois de l’Annexion, François Malausséna, sa fille Clorine ayant épousé César-Marie Figuiera, lui-même père de mon arrière grand-père. François Malausséna est donc mon quadrisaïeul.

 

Relativement à la citation du Professeur Schwartz-Liebermann von Wahlendorf, éminent comparatiste et corédacteur de la Constitution Allemande d’après guerre, elle est un condensé des problèmes passés et contemporains liés à l’adéquation entre les faits et le droit, Ainsi, l’intégration de Nice à la France préexistait-elle, en tant que préalable sociologique, à la juridification, c'est à dire à la ratification de son rattachement à celle-ci ?

 

Quant aux liens familiaux avec le dernier Sindaco de Nice et le premier Maire de Nice Française, ils me permettront peut-être de pouvoir apprécier quasiment de l’intérieur en quoi François Malausséna a respecté sa conscience tout d’abord, puis celle des Niçois.

 

I Les Questions :

 

La première est essentielle. Les liens historiques entre Nice et la France justifiaient-ils que la première soit rattachée à l'Empire en 1860?

 

Quelques dates :

 

Lorsque Nice quitte la Provence en 1388, celle-ci n'est pas française. Elle ne le deviendra qu'en 1481 à la suite de la mort du Roi René. Il est donc historiquement et constitutionnellement impossible de prétendre que le Comté de Nice a une première fois quitté le giron national et avait donc vocation à le recouvrer quelques siècles plus tard. Au demeurant, en 1526, les Terres Neuves de Provence deviennent le Comté de Nice, signe supplémentaire d'un souhait de se dégager de la Provence occidentale et Française.

 

Les "incidents" de 1538 et 1543, déjà évoqués ici, ne constituent pas des annexions ou des rattachements du fait de François Ier, Roi de France et de ses alliés. Ils sont des occupations de nature précaire qui, d'ailleurs, ne furent pas constitutives de droits.

Sceau duc de Savoie Emmanuel Philibert dans boite métallique.- 1560.- BB 98/2

 

Certes, en 1691, Louis XIV se pare du titre de Comte de Nice, mais cette fiction juridique est combattue savamment par le mariage de la fille du duc de Savoie avec le petit-fils de Louis XIV. Dès lors, hormis la destruction du château de Nice et le démantèlement de celui d'Eze dans les années 1704, la France n'apparaîtra plus avant une centaine d'années.

 

D'ailleurs, et cette fois, l'argument est meilleur.

 

En-tête d'une lettre du Général Eberlé, gouverneur de Nice sous l’Empire.- 17 Thermidor An 10.- 2 H 026, f°125.

 

La Révolution en marche avance au son du tambour de guerre. L'Est, refuge des "tyrans", menace la Convention. Nice ne fait pas exception et le 29 septembre 1792, les troupes révolutionnaires commandées par le Général Anselme, entraient dans Nice, Villefranche et ses environs.

 

    Le 10 janvier 1793, soit onze jours avant que le Roi de France ne monte les marches de l'échafaud, la Convention reçoit deux envoyés du peuple niçois. Le député Veillon et Jean-Dominique Blanqui qui est né à Eze en 1757, dans le quartier de la Trinité, séparé de la commune en 1818. Jean-Dominique Blanqui fut  professeur de philosophie et d'astronomie au Collège ci-devant Royal de Nice. Les deux émissaires apportèrent les résultats des votes des assemblées primaires, celles-ci devant se prononcer sur la réunion de Nice à la République. Ce vote très indirect et conduit en présence de l'armée révolutionnaire, conduisit le 4 février suivant au décret prononçant la réunion des "Alpes-Maritimes" à la République.

 

    La discussion a pu naître quant à la validité de cet acte pris en tant de guerre, sous le feu du demandeur et à quelques lieues des Austro-sardes qui tiennent l'Authion et le fort de Saorge.

 

    Quoiqu'il en soit, la France s'installe et les notables Niçois, tous résistants dans l'âme qu'ils peuvent être, doivent penser à organiser leur nouvelle vie sous ce nouveau régime. Ainsi Ludovic Figuiera, grand-père de César-Marie Figuiera, mari de Clorine Malausséna,  qui fut élu maire par l'assemblée primaire du 9 décembre 1792 puis réélu par celle-ci le 24 mars 1793 et restera en fonction jusqu'à brumaire an III.

Ludovic Figuiera

Brumaire au sonorités bonapartistes et voilà qu'il est promu Président de la Commission Municipale par arrêté des Représentants du Peuple près l'Armée d'Italie en brumaire an III. C'est d'ailleurs lui qui recevra le Général Kellermann dans sa maison d'Eze.

En l'an IV, il est Agent municipal dans le cadre de l'administration municipale du Canton de Monaco et maintenu à ces fonctions jusqu'à ventôse an V.

Il démissionnera de ce poste, dit-on pour raison de santé, le 5 thermidor an V. Thermidor...

Pourtant, il est à nouveau désigné en qualité d'agent municipal par l'administration du Canton de Monaco le 5 germinal an VII ce par deux fois jusqu'au 1er floréal an VII.

Il sera même, pour un temps, Président de l'administration municipale du Canton de Monaco en pluviôse an VIII.

Puis, jusqu'en 1814, il fut sans interruption maire du village d'Eze.

    Ces multiples étapes ne permettent pas, néanmoins, de parler d'intégration d'un territoire à un autre que ce fut politiquement ou sociologiquement. Les Alpes-Maritimes sont donc "Françaises" de 1792 à 1814, soit environ vingt-deux ans. Ce sont précisément ces quelques décennies qui suffirent à créer une scission au sein du Comté. D'une part le "parti Français", d'autre part le "parti - plus tard dit - Italien".

 

    Ne l'oublions pas. En cette Europe du début de l'ère Moderne, une seule puissance peut être dite de type "moniste", c'est à dire d'une seule substance linguistique et politique : la France. L'Angleterre n'est qu'une une partie du Royaume-Uni, la Prusse ni plus ni moins importante que les multiples principautés de Courlande ou petits royaumes de Bavière, l'Italie itou,  jusqu'à la Russie dont le tzar tente depuis des siècles d'étendre le pouvoir central vers ses marches, mais sans grand succès.

 

    Le Comté de Nice, avant 1388, après 1792, n'ignore pas que son voisin est un ogre. D'autres parties de l'Europe, à la même période, auront en même temps un sentiment identique à l'endroit d'autres puissances également voisines. L'Europe contemporaine est sans doute née de l'acception des uns, née de la force des autres. Rares sont les mariages d'amour entre nations mais bien plus souvent de raison. Les quelques jalons qui précèdent ne semblent pas pouvoir augurer de l'Union de 1860.

 

    La cause de cette idylle doit donc être recherchée ailleurs.


Xavier Cottier
Rédigé par Xavier Cottier le Mardi 11 Octobre 2005 à 18:05
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