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Nicolas Maury Militant PCF Istres






 



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Seul maire étiqueté communiste de Turquie, Fatih Mehmet Maçoglu a appliqué dans sa bourgade d’Ovacik, au fond des montagnes kurdes du Dersim, un programme « populaire révolutionnaire » qui a redonné vie à l’agriculture et le pouvoir de décision aux habitants. Aux municipales du 31 mars, il entend conquérir la principale ville du département, Tunceli. Et voit aussi plus grand


Fatih Mehmet Maçoglu, le petit maire communiste d’Ovacik qui voulait conquérir la Turquie
Ovacik et Tunceli (Turquie), de notre envoyé spécial.- Avec sa parka élimée, ses bacchantes de concours, ses cheveux grisonnants coupés court et son regard fatigué, Fatih Mehmet Maçoglu tient plus du paysan beauceron que de Che Guevara. Il y a pourtant du boutefeu révolutionnaire dans ce maire d’une petite commune turque de 3 300 habitants, Ovacik, perdue au fond des montagnes kurdes du Dersim, forteresse naturelle et conservatoire de toutes les résistances au pouvoir central d’Ankara.

Né en 1968 dans une famille de 11 enfants à Cemberlitas, un village proche d’Ovacik, Maçoglu a connu les hivers sans fin, l’isolement et la pauvreté endémique de cette âpre région, dépeuplée par des décennies de répression, des massacres de 1938 aux villages brûlés par l’armée dans les années 1990, dans le cadre de sa lutte contre les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Après 25 ans passés à travailler comme personnel de santé à travers la Turquie, le militant de la Fédération des assemblées socialistes (SMF) est revenu au pays avec un objectif, « lutter contre le système qui produit la pauvreté », résume-t-il, et un programme, « populaire révolutionnaire », fruit de diverses expériences locales, dont la plus inspirante est l’éphémère « République de Fatsa ». Le petit port de la mer Noire fut géré par des comités populaires pendant neuf mois, jusqu’à leur éradication par la junte militaire née du coup d’État du 12 septembre 1980.

Fatih Mehmet Maçoglu, le petit maire communiste d’Ovacik qui voulait conquérir la Turquie
Candidat à Ovacik en 2014 sous l’étiquette du Parti communiste de Turquie (TKP), Maçoglu a remporté le scrutin d’une courte tête face au Parti démocratique des peuples (HDP, de gauche et pro-kurde), devenant le premier et unique maire de l’histoire du TKP. Et les premières mesures n’ont pas tardé, à commencer par la création d’une assemblée du peuple où tous les habitants de la bourgade et des villages alentours ont voix au chapitre pour définir l’ordre du jour, débattre et voter les décisions concernant la gestion municipale.
Ces réunions hebdomadaires rassemblent en moyenne 150 à 200 citoyens, évalue l’élu. « La Turquie a développé un système bureaucratique dans lequel le maire, une fois élu, ne tient plus compte de l’avis de ses administrés. Ce système a éloigné ces derniers de la politique, commente-t-il. Mais à Ovacik, les gens ont vu que nous dirigions la ville tous ensemble. Ce qui était important, c’était de faire un premier pas. »

L’opposition ne se prive pas de participer aux réunions, assure Maçoglu. « Il y a même des débats très houleux », ajoute-t-il. Les décisions de l’assemblée du peuple n’ayant pas de valeur légale au regard du droit turc, elles passent par le conseil municipal pour y être entérinées.

Mais les mesures qui ont rendu célèbre Ovacik à travers toute la Turquie concernent surtout la relance d’une agriculture moribonde. Distribution de semences et de fioul aux agriculteurs, constitution de coopératives, empaquetage des productions au bourg, vente directe des produits – haricots, pois chiches, miel, sel principalement – par Internet et dans des magasins ouverts à Istanbul et Ankara : en quelque années, ces politiques volontaristes ont redonné vie à l’arrondissement.

« Comme nous sommes dans une zone de production écologique, nous avons financé des formations pour les agriculteurs. Nous avons aussi réalisé nos propres analyses des sols et fait baisser les coûts de production, indique Maçoglu. Ces aides ont permis aux villages d’accumuler des semences et des fonds, qu’elles ont utilisés pour accroître les surfaces cultivées. Quand nous sommes arrivés, la production agricole d’Ovacik n’était plus que de 20 à 25 tonnes par an. Elle atteint maintenant 600 tonnes. »

L’assemblée du peuple ne s’est pas arrêtée là. « Dans un de nos villages, 60 hectares de terres ont été collectivisés. Il y a aussi la gratuité de l’eau et des transports entre Ovacik et ses villages, l’octroi de bourses d’étude et d’ordinateurs aux élèves », énumère Ali Ölmez, militant local du TKP.

Ces réalisations ont fait naître sur les réseaux sociaux un engouement pour le maire rouge et sa municipalité, dans lequel ses détracteurs discernent un romantisme de gauche peu en phase avec les réalités du terrain. L’argument est pourtant battu en brèche par les habitants d’Ovacik eux-mêmes.

En ce dimanche de la mi-mars, la bourgade est encore assiégée par une neige épaisse et la population semble s’être donné rendez-vous dans les quelques rues déblayées du centre, sans autre but que de deviser en buvant du thé. Il y a ceux, enthousiastes, qui ont bénéficié directement de l’action municipale, comme Müzaffer, 32 ans, qui se partage entre un emploi de mitron et les ruches de son père.

« D’un an sur l’autre, on produit entre 500 kg et une tonne et demie de miel. Les bonnes années, une grosse partie de la production nous restait sur les bras. Maintenant, la mairie nous prend d’office 300 à 400 kg par producteur à un prix correct, et les bénéfices de la vente nous reviennent directement, parce qu’il n’y a pas d’intermédiaires. Nous vendons le reste de notre production par nous-mêmes », explique le jeune homme, qui espère voir l’expérience d’Ovacik faire tache d’huile dans la région, au moment où, dit-il, le gouvernement délaisse l’agriculture.

Maires en prison

Hidir Erdogan, gérant d’un petit café, résume assez bien l’opinion générale entendue dans les ruelles d’Ovacik. De Maçoglu, « au moins, on peut dire que ce n’est pas un voleur. Il a fait ce qu’il pouvait dans un contexte où il n’y a pas d’argent à dépenser », déclare le cafetier. « Les coopératives ont eu un rôle positif. Maintenant, on produit, on empaquette, on envoie directement aux consommateurs. Cela veut dire plus d’argent pour les producteurs. En même temps, il nous a fait connaître. Il ne pouvait pas faire grand-chose de plus. »

Même dans le camp de l’opposition, on peine à trouver des reproches à ce nouveau mode d’administration. « Maçoglu est honnête, mais il a une formation de personnel de la santé, alors que mon frère est un vrai administrateur », avance Seyfi, le frère du candidat CHP (Parti républicain du peuple, social-démocrate), Mustafa Sarigül, avant d’énumérer les projets municipaux laissés en souffrance : station de retraitement des eaux usées, station de ski, laiterie.

Même son de cloche chez Hüseyin, un petit commerçant dont on devine sans peine les sympathies pour le HDP – son échoppe est pavoisée de drapeaux du parti. « Disons qu’il est plutôt faible sur les services, comme l’entretien des routes, le ramassage des poubelles. Plein de gens ne peuvent pas boire l’eau du robinet parce qu’il n’y a toujours pas de station de retraitement », souligne le jeune homme. « Mais il a fait beaucoup de réclame pour la ville, cela a fait venir des touristes. Il a donné du travail aux habitants », concède-t-il.

Pour Hüseyin, le principal reproche qu’on peut adresser à l’édile, c’est celui d’avoir abandonné sa mairie pour se lancer à la conquête de Tunceli, la plus grande ville du département avec 33 000 habitants, à l’occasion des municipales qui se tiennent dimanche 31 mars en Turquie. L’erreur est double, estime le commerçant.

D’une part, l’ambition de Maçoglu fait courir le risque d’un passage d’Ovacik, bastion de gauche, dans le giron du parti présidentiel de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur). « Les gens du coin ne donneront jamais leurs voix à l’AKP, mais il y a un vrai risque, parce que sur 2 534 électeurs inscrits pour cette élection, 604 sont des étrangers – des soldats, des fonctionnaires, qui ne vivent pas tous ici, d’ailleurs, et qui sont soumis à des pressions pour voter AKP », croit savoir Hüseyin, alors que la gauche partagera ses voix entre le TKP, le CHP et le HDP. « Le mieux aurait été que le TKP et le HDP s’associent, et que Maçoglu reste ici. »

Et puis il y a « l’injustice » commise à l’encontre du HDP par l’État turc, qui a chassé fin 2016 la plupart des élus locaux du parti pro-kurde de leurs hôtels de ville et les a remplacés par des administrateurs judiciaires, au motif de connivences supposées avec le PKK. Administrée depuis 2004 par le HDP, Tunceli a ainsi vu ses deux co-maires jetés en prison. L’une des deux édiles, Nurhayat Altun, a été condamnée le 18 mars à 10 ans de prison pour appartenance à une organisation terroriste. « Après ça, Maçoglu aurait dû soutenir l’alliance révolutionnaire menée par le HDP. Il aurait fallu montrer un front uni face à l’oppression », commente Hüseyin.

Tout en admettant à demi-mots que la décision de le présenter comme candidat à Tunceli a été prise par la direction centrale de son parti, Fatih Mehmet Maçoglu défend ce choix. « Cette injustice, ce n’est pas au HDP, c’est au peuple de Tunceli qu’elle a été faite. On l’a volé en lui retirant le représentant qu’il avait élu », relativise le maire communiste, avant de riposter : « Dans une période où le capitalisme est devenu tellement agressif et prédateur, nous avons une bonne chance de faire progresser la cause du socialisme en Turquie et dans le monde. Pourquoi devrions-nous y renoncer ? »

Habitué à finir sous la barre des 1 % dans la plupart des scrutins, le TKP est décidé à utiliser Tunceli comme un tremplin pour ses idées. Pour cela, il a cassé sa tirelire et investi dans 13 voitures sonorisées de campagne, indique un aide de camp de Maçoglu. « Si on se contente d’Ovacik, notre expérience va finir par s’écrouler d’elle-même. Nous devons porter le message du socialisme comme une alternative à l’exploitation capitalisme », résume l’élu.

Le maire rouge se dit par ailleurs convaincu que la concurrence entre le HDP et le TKP ne nuira pas à la gauche, assurée selon lui de remporter Tunceli, en dépit des moyens déployés par l’AKP – un gigantesque bureau de campagne sur la place principale de la ville, une flottille de bus repeints à l’effigie du président Recep Tayyip Erdogan et de son candidat local, Gökhan Arasan.

La conviction est partagée par le HDP. Même si les autorités, à commencer par ISKUR, le Pôle emploi turc, tentent de faire pression sur les électeurs en conditionnant l’octroi d’un travail à un encartage à l’AKP, celui-ci ne prendra pas la mairie, assure Nursat Yesil, co-candidate HDP à la mairie de Tunceli. « Les gens ont compris le stratagème. Ils peuvent devenir membres de l’AKP pour obtenir un travail, mais dans le secret de l’isoloir, ils ne voteront pas pour lui », assure la jeune femme, qui exerçait la profession d’infirmière avant d’être chassée de la fonction publique à l’occasion des purges post-putsch raté du 15 juillet 2016.

La candidate est confiante dans la victoire de son parti, qui avait obtenu 42,4 % des voix lors des municipales de 2014 et 51 % aux législatives de 2018. « Le peuple nous soutient », assène Nursat Yesil, qui considère la reprise de la mairie comme « une affaire d’honneur ». « Si nous n’y parvenons pas, cela voudra dire que l’AKP a gagné » avec sa stratégie d’éviction des élus HDP, poursuit-elle.

Sur le phénomène Maçoglu, l’infirmière est peu diserte. Elle fait toutefois remarquer que les pressions policières se concentrent davantage sur son propre parti. « Quand on se déplace dans les quartiers, nous sommes constamment suivis par des blindés, et des policiers se glissent dans la foule pour faire peur aux gens. Cela n’arrive pas lors des meetings du TKP et du CHP », indique-t-elle.

Récemment, la police est intervenue pour exiger le retrait des affiches du HDP portant la mention « Ye Mao ! », au motif qu’il s’agissait de propagande communiste maoïste. « Dans notre langue maternelle, le zaza, cela signifie simplement “c’est à nous !” » s’exclame Yesil. « Le plus absurde, c’est que le TKP n’est pas inquiété, alors que la mention “communiste” figure dans le nom même du parti. »

Les sympathisants du HDP sont plus critiques à l’égard du candidat TKP. « Le problème, ce n’est pas de réussir à faire pousser trois ou quatre haricots. Le problème, c’est la démocratie et la liberté », commente ainsi Sevim, devenue gérante de café après avoir perdu son emploi à la mairie. Le même agacement se fait entendre dans le bureau de campagne du CHP. « Le communiste a beaucoup fait parler de lui sur les réseaux sociaux, mais ce n’est pas avec des pois chiches qu’on va régler les problèmes de l’économie turque », lâche Nursen Cömert, retraitée.

Maçoglu croit en tout cas en sa bonne étoile – rouge – et compte sur des reports de voix massifs du CHP pour remporter son duel face au HDP. Journaliste du quotidien local Dersim Haber, Ali Haydar Gözlü partage en partie cette analyse. « Cela va se jouer entre le HDP et le TKP. Il y a actuellement une fracture au CHP, son chef départemental a démissionné récemment, son candidat n’est pas fort et ses électeurs vont se partager entre les deux autres partis », estime-t-il.

Outre Ovacik et Tunceli, le TKP espère remporter dimanche quatre des six autres arrondissements du département, ainsi qu’un arrondissement dans celui de Mersin (sud). « Le Dersim est très important pour nous. Les gens y ont une conscience politique très développée. Tout succès ici aura un impact important sur le reste de la Turquie », explique Maçoglu, qui se dit prêt, en cas de défaite personnelle, à s’investir dans le développement des coopératives agricoles.

Dans un grand éclat de rire, Celal Ates, militant TKP à Ovacik, fixe les jalons de la conquête : « Nous allons d’abord gagner les mairies de notre département, puis essaimer vers les départements voisins – Malatya, Elazig –, puis vers les grandes villes. Pour finir, nous allons planter notre drapeau sur la place Taksim d’Istanbul. »

Médiapart

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