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Nicolas Maury Militant PCF Istres






 



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Informations syndicales et luttes

L'usine Goodyear a fermé ses portes il y a près de deux ans, mais les conséquences se font toujours ressentir à Amiens (Somme), ville frappée de plein fouet par la crise. Au-delà de l'impact économique sur le bassin d'emploi, ce sont évidemment les anciens Goodyear qui paient les pots cassés. Les huit condamnés sont aujourd'hui les plus menacés. Mais leurs anciens collègues ont eux aussi bien du mal à tourner la page. Sur plus d'un millier de licenciés, 120 ont retrouvé un CDI


Goodyear Le vrai bilan d'une fermeture : 1 143 licenciés, 12 décès, dont 3 suicides
Leur monde s'est écroulé un jour d'hiver 2013. Bien sûr, tous savaient que les menaces de fermeture planaient depuis longtemps, mais cette certitude ne les a pas empêchés de trembler lorsque Mickaël Wamen, délégué CGT de Goodyear Amiens, leur a demandé de se rassembler dans l'usine, après avoir annoncé qu'il avait quelque chose à leur dire. « Ce jour-là, j'ai vu des collègues pleurer pour la prem ière fois, rac onte Ér ic Monvoisin, grand bonhomme calme au regard bleu perçant comme une dague. Pour nous, Goodyear, c'était plus qu'une entreprise. Certains se connaissaient depuis plus de vingt ans... On a compris qu'on ne retrouverait ça nulle part ailleurs. »

Pourtant, bosser chez Goodyear n'avait rien d'une promenade de santé. Il suffit d'en discuter avec les anciens, ceux qui y ont passé la plus grosse partie de leur vie, pour comprendre. Il suffit de demander à Pascal, dix années de maison, d'évoquer ses vertèbres en miettes. « Je travaillais à la fabrication des pneus agricoles, raconte-t-il. À force de soulever des charges de 35 kg plusieurs fois par jour, je m'étais esquinté le dos. Pendant cinq ans, j'ai demandé à changer de poste. Rien à faire, malgré dix arrêts maladie et mes courriers répétés. Un jour, un cadre de la boîte m'a avoué : "Tu sais Pascal, tes courriers, on les met à la corbeille..." » Il suffit de demander à Éric de parler de ses problèmes de santé, qu'il énumère avec une précision de clinicien : une hernie discale, un bras opéré pour cause de canal carpien bousillé, et un début de gangrène en prime. « Et encore, je ne vous dis par tout, sinon vous n'auriez pas assez d'une page entière pour tout noter ! »

OTAGES DU PASSÉ

Éric se marre. Pendant toutes ces années de turbin, ses collègues aussi se marraient. À les écouter, les corps meurtris ne pèsent pas bien lourd face à la fierté de travailler pour l'employeur le plus connu de la région, la satisfaction de retrouver les copains le matin, la sécurité du CDI. Mais lorsque, en avril 2007, la direction leur a demandé de passer aux « 4 x 8 », les salariés d'Amiens-Nord ont cessé de rigoler. Et ils ont envoyé le patron bouler.

Les « 4 x 8 », ce n'est pas difficile, c'est inhumain. Deux jours de travail le matin, deux jours l'aprèsmidi, deux jours de nuit, une journée et demie de repos, puis c'est reparti pour un tour. À ce rythme, l'organisme se détraque, le sommeil s'évapore, même les plus costauds y perdent la santé. En refusant d'adopter cette organisation du travail traumatisante, les salariés ont démarré un conflit social de sept ans, jalonné d'actions surmédiatisées, telle la prétendue « séquestration » de janvier 2014.

Neuf ans après, la plupart des salariés assurent que toute cette histoire de « 4 x 8 » n'était qu'un prétexte pour leur faire endosser la responsabilité de la fermeture, planifiée dès le début sur fond de délocalisation en Europe de l'Est. Quoi qu'il en soit, le bilan social et humain de la fermeture de l'usine d'Amiens-Nord est effroyable. Sur les 1 143 licenciés, à peine 120 ont retrouvé un emploi en CDI, selon les chiffres de la direction. 100 autres se sont recasés en CDD et 80 ont créé leur entreprise (plomberie, électricité, etc.). 130 ouvriers sont partis à la retraite... Au total, près de 700 anciens salariés pointent à Pôle emploi. Comme souvent, ce désastre social comporte son lot de drames humains. « Il y a eu beaucoup de séparations, raconte Évelyne Becker, déléguée CGT. Et puis, surtout, nous avons eu 12 décès depuis la fermeture, dont 9 pour maladie... Et 3 suicides. » Quant aux rescapés, ils restent les otages du passé. « Dans la région, notre image en a pris un coup, déplore Éric Monvoisin. Tout au long du conflit, on était vus comme des voyous. Du coup, quand je me suis remis à chercher un boulot, avec mon étiquette d'ancien Goodyear, c'est pire que si je sortais de prison ! » Malgré tout, Éric est parvenu à décrocher un CDI, dans la surveillance d'usines. Mais ses 1 350 euros mensuels lui permettent à peine de payer ses 700 euros de loyer, son crédit et de subvenir aux besoins de ses deux adolescents.

« ÇA VA, IL TE RESTE TROIS DOIGTS POUR BOSSER»

Éric est un homme doux et affable. Chez lui, la colère ne gronde jamais, elle couve silencieusement, comme le feu sous la cendre. « Les médias nous parlent de violence physique à cause de cette histoire de séquestration, dit-il. Mais que fait-on de la violence morale ? À l'époque où je travaillais chez Goodyear, je suis allé voir mes chefs parce que deux de mes doigts perdaient leur sensibilité, à cause de mon canal carpien endommagé. Ils m'ont répondu : "Deux doigts, tu dis ? Ben, il t'en reste trois pour continuer à bosser !" » Les anecdotes sympathiques de ce genre-là, Éric les collectionne : « Un jour, un gars de la maintenance s'est crevé l'oeil avec un tournevis. Vous savez pourquoi la direction a refusé de reconnaître l'accident du travail ? Parce que le type s'était amoché l'oeil avec son tournevis personnel ! »

UN CRASH INDUSTRIEL POUR TOUTE LA COMMUNE

Leurs souvenirs, les anciens de Goodyear en ont plein les tiroirs, mais ils ont du mal à les exhiber devant ceux qui « n'en étaient pas ». « J'ai l'impression qu'il faut y avoir travaillé pour comprendre vraiment ce qu'on a vécu », soupire Jean-Yves, salarié pendant quinze ans. Durant les années de conflit, il dit avoir souffert de la même incompréhension : à Amiens, la lutte des Goodyear n'a jamais suscité un enthousiasme délirant parmi les habitants, malgré les initiatives prises par les salariés pour populariser leur mouvement. « Lors de nos manifs, il y avait bien quelques passants qui nous lançaient un mot de soutien, mais c'est à peu près tout », conclut Jean-Yves, amer. Pourtant, la fermeture de l'usine affecte la ville tout entière. Jointe par « l'HD », la présidence d'Amiens Métropole estime que ce crash industriel a coûté 1,2 million d'euros de pertes de recettes fiscales à la commune (cotisation foncière des entreprises, cotisation sur la valeur ajoutée, cotisation transports...). Un manque à gagner non négligeable, dans un contexte de baisse des dotations de l'État et de crise économique. À Amiens, le taux de chômage tourne autour de 12 %, soit 2 points au-dessus de la moyenne nationale.

« Dans le coin, les fermetures d'usines se succèdent, souligne Bakhti Zouad, journaliste au " Courrier picard ". L'année dernière, c'est Sapsa Bedding, un fabricant de matelas (150 salariés), qui mettait la clé sous la porte. Toutes ces fermetures ont un double impact. À court terme, cela augmente le taux de chômage local. À plus long terme, cela affecte l'attractivité de la ville : les patrons n'ont pas forcément envie d'ouvrir une usine dans une ville où les boîtes ferment les unes après les autres... »

Cyprien Boganda

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[Fr] Perspective communiste, blog francophone ayant pour vocation le partage d’informations nationales et internationales. De proposer des analyses marxistes de l’actualité et du débat d’idée. Ainsi que de parler de l’actualité du Parti Communiste Français et du Mouvement des Jeunes Communistes de France.

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