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traduit de l’anglais (avec consultation de la version originale espagnole) par Marc Harpon pour Changement de Société


Ricardo Alarcon de Quesada, président de l'Assemblée cubaine : « Essayer de réinventer le socialisme »
Philosophe de formation, Ricardo Alarcon de Quesada a été professeur d’Université puis diplomate et est aujourd’hui député et président de l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire de Cuba. L’original espagnol et la version anglaise d’après lesquelles cette interview est traduite sont une version abrégée mais fidèle de l’interview accordée par Ricardo Alarcon à Manuel Alberto Ramy et diffusée sur Radio Progreso Alternativa les 27 et 29 avril dans l’émission « La Tarde Se Mueve ». Ricardo Alarcon nous y parle du récent Congrès du Parti Communiste de Cuba, en s’attachant en particulier au Pouvoir Populaire, à l’économie ainsi qu’au rôle du Parti Communiste. (Note de Marc Harpon)

Il y a seulement 48 heures, le Sixième Congrès du Parti communiste de Cuba s’est achevé, un Congrès qui, d’après ce que j’ai lu et entendu, annonce un pays et une société qualitativement différents.

Le président de l’Assemblée Nationale et membre du Polit bureau du Parti Communiste, Ricardo Alarcon, m’a accordé cette interview. Je sais que son temps est limité, donc je voudrais lui poser trois questions très précises. Les premières concernent le domaine du Pouvoir Populaire.

Manuel Alberto Ramy (MAR) : Des discussions ont porté sur l’introduction d »une plus forte dose d’autonomie du pouvoir populaire, municipal comme provincial. Comment cette autonomie se concrétiserait-elle ? Jusqu’où irait-elle ?

Ricardo Alarcon de Quesada (RAQ) : Cela a été un sujet majeur de discussion des lineamientos (1) et un aspect majeur du Congrès. A chaque fois que nous discutions de la réorganisation du système économique, nous finissions toujours par en venir au dilemme centralisation-décentralisation. Bien sûr, la question cardinale est d’aller vers une décentralisation du management, du management de l’économie, et aussi de l’exercice de l’autorité de l’Etat. Cela nous conduit au rôle des municipalités, auxquelles nous devons déléguer beaucoup plus d’autorité et beaucoup plus de pouvoir.

Les municipalités auront le pouvoir de lever des fonds et de développer des plans de production, des plans de développement et des plans sociaux. Cette conception de la territorialité était très présente dans la Commission dont je faisais partie. Elle s’est manifestée partout, dans tous les problèmes, parce que, par exemple, ce n’est pas la même chose pour une personne à Vedado de pouvoir louer une chambre dans son appartement ou sa maison et pour une personne à Zapata Swamp. Donc, si les deux doivent payer les mêmes impôts, cela décourage l’activité économique dans un des deux endroits du fait des énormes différences qui existent.

Dans toutes ces questions, Ramy, je pense qu’il est très important de prendre en compte le point suivant : nous ne débitons pas des dogmes ; nous ne disons pas « Ici, nous avons un modèle de ce que devrait être le socialisme ». Nous essayons de le réinventer, de le refonder. De ce fait, on aborde toutes les questions avec un esprit pratique, pragmatique, comme diraient les américains. L’expérience doit être révisée en permanence et, comme l’a dit Raul, nous devons garder nos yeux et nos oreilles collés au sol.

MAR : Donc l’autonomie est en marche…

RAQ : Oui, commençant avec les provinces mais aussi et surtout les municipalités. Les municipalités ont besoin de jouir de la capacité et de l’autorité qu’elles n’ont pas aujourd’hui. Elles les avaient avant, elles avaient une autonomie plus grande nominalement auparavant, mais la crise a conduit à un processus de centralisation de la gestion, de la prise de décision, qui a pu être compréhensible à une époque très compliquée, mais ce modèle ne peut demeurer permanent.

C’est pourquoi nous parlons du rythme et des moyens du changement. Il ne s’agit pas de publier des oukases : « A partir de demain, les choses ne seront plus comme elles étaient avant mais comme elles sont maintenant. »

Prenez par exemple la résolution que j’ai introduite à propos du Pouvoir Populaire et de la Réforme de la Loi Électorale, etc., et l’expérience d’Artemisa et de Mayabeque (2). L’Assemblée Nationale a décidé que les structures de gouvernement dans ces deux provinces ne seraient pas les mêmes que celles existant actuellement dans les autres régions et que nous devions essayer d’expérimenter avec les deux pour voir si nous pouvions en tirer des conclusions applicables au reste du pays.

Par exemple, un des problèmes les plus fréquemment discutés à travers la structure du Pouvoir Populaire est celui du cumul des mandats de président de l’Assemblée et de président du Conseil d’Administration de la municipalité. En d’autres termes, le maire de la municipalité, qui est le président du pouvoir populaire municipal, est aussi président de l’Assemblée municipale.

La même chose arrive au niveau des provinces. Dans les provinces et dans les municipalités, c’est la même personne qui exerce ces charges, ce qui limite la possibilité de vérifier et de contrôler, qui doit être exercée par le pouvoir législatif, c’est-à-dire par l’Assemblée Municipale ou l’Assemblée Provinciale. A Mayabeque et Artemisa nous allons commencer à séparer les deux fonctions : nous allons mettre en œuvre d’autres changements dans les mécanismes utilisés maintenant et aussi, bien sûr, concevoir des structures beaucoup plus simples dans l’administration pour satisfaire le besoin de réduire la bureaucratie, l’appareil administratif, etc.

MAR : Les corps provinciaux et municipaux comptent de nombreuses petites industries, qui ont une situation économique négative. Parce que nous avons discuté d’autres formes de propriété, d’autres façons d’organiser le management, peut-on imaginer que la création de coopératives de production industrielle à ces niveaux ?

RAQ : Oui, bien sûr, c’est une des possibilités dans les Lineamientos. Mais il y a une autre question qui est aussi importante : la séparation des fonctions. Le Parti ne devrait rien avoir à faire avec le management économique, avec l’administration, avec les décisions faites au niveau de l’entreprise, etc. Le pouvoir étatique, provincial ou municipal non plus.

En d’autres termes, nous devons développer l’autonomie ou l’indépendance de l’entreprise. En d’autres termes, la compagnie est dirigée par son directeur. La direction de l’activité concerne ses acteurs, pas l’Assemblée locale ni la cellule locale du Parti. Maintenant, à part ça, vous avez parlé de la possibilité de mettre en place des coopératives…

MAR : Des coopératives industrielles de production. Elles existent déjà dans l’agriculture. Pourquoi ne pas les transposer à…

RAQ : Oui, il n’y a rien pour empêcher ça ; au contraire, on parle de coopératives de premier et de second niveau. Et il y a une chose très importante, Ramy, qu’on n’a peut-être pas assez considéré dans les médias : Je pense que le Congrès est aussi important pour ses résultats que pour le processus qui l’a précédé, l’a mis en place et l’a guidé.

Cela a commencé le 9 novembre de l’année dernier avec la publication des Lineamientos, imprimés massivement. Du premier décembre de l’année dernière jusqu’au 28 février de cette année, ils ont été discutés dans plus de 163 000 réunions dans les usines, les universités, les quartiers, etc., et les gens ont proposé des choses.

Je sais qu’il y a eu des soupçons à l’extérieur et que certains ont dit « Oui, mais cela n’a pas d’importance, personne n’écoutera les gens ». Par rapport à ces discussions, par rapport à ces propositions faites par le peuple, 68% des 291 articles originaux des lineamientos ont été amendés et plus de trente autres ont été ajoutés. Au final, 311 lineamientos sont arrivés devant le Congrès.

Une fois devant le Congrès, les lineamientos ont été discutés par chaque Délégation Provinciale, qui a à son tour fait des propositions. Et ensuite, ils sont passés par les cinq commissions qui ont discuté toutes les propositions et fait, devant le Congrès, des changements au texte modifié.

Pour être honnête avec vous, si vous me demandiez maintenant de vous donner le texte final des lineamientos, je serais obligé de vous dire : « Ramy, je ne l’ai pas » parce que le document que j’ai vu dans ma commission a été changé des dizaines de fois. Et je sais que les autres commissions ont fait des changements aussi.

J’attends que le Secrétariat du Congrès finisse de tout mettre en ordre, après les modifications de chaque commission, faites au cours d’un débat vraiment riche, varié, où des nombreux points d’accords ont pu être atteints. Je me souviens que dans ma commission, ce qui fut approuvé n’était pas un lineamiento mais une proposition d’une province, et c’est celle-ci qui prendra effet.

Et cela ne s’arrête pas là. Une commission sera mise en place pour l’application de ces lineamientos. Au même moment, le rapport présenté au Congrès expliquait ce qui avait été fait de toutes les propositions dans ce débat long de cinq mois. Certaines propositions ne sont pas incluses pour l’instant, mais elles sont toujours valables, elles sont encore objet de réflexion.

De plus, n’oublie pas qu’une des résolutions du Congrès est de fixer la Conference Nationale du Parti au 28 janvier de l’année prochaine. La conférence peut introduire de nouveaux changements, de nouveaux arrangements, en particulier concernant le leadership du Parti. La Conférence se concetrera sur les questions politiques, le rôle du Parti, son caractère, son style de travail, mais la Conférence n’est pas l’autorité législative suprême de la nation. Nous (l’Assemblée Nationale) votons les lois.

MAR : Et cela se passera cet été ?

RAQ : Eh bien, cet été on fera au moins les premiers pas. Mais non, nous commençons à étudier ce que nous faisons cette semaine, les règles que nous devons proposer et adopter à l’Assemblée Nationale.

MAR : Une dernière question sur le rajeunissement du Parti, un sujet à propos duquel il y a eu beaucoup de discussions. Quels sont les moyens de rajeunir le Parti, aussi bien son Comité Central, son Secrétariat que son Polit Bureau ?

RAQ : Raul a été très explicite quand il a reconnu qu’il y avait des déficiences sérieuses à ce sujet et concernant le rôle des femmes, des noirs et des métis dans les instances dirigeantes, dirons-nous. On ne peut pas parler, comme certains médias internationaux, d’octogénaires dirigeant [la nation] parce que c’est plutôt vague.

Trouvez-moi un octogénaire dirigeant le Parti ou l’Assemblée ou l’exécutif dans une seule province du pays. Trouvez-en moi une seule, voyez si vous pouvez en trouver une seule. En d’autres termes, il y a des octogénaires, il y a des camarades d’un certain âge qui continuent d’avoir des postes élevés mais que peut-on faire ? La révolution a déjà 52 ans. Dès le départ, une part essentielle de la politique promue par les États-Unis était la liquidation physique des dirigeants cubains, mais les américains ont échoué. Parce qu’ils ont échoué, nous sommes encore nombreux. Donc, qu’allons-nous faire ? Nous auto-détruire ? Faire ce que la CIA n’a pas réussi à faire ? Pourquoi ? Cela n’a ni queue ni tête. Il n’est pas nécessaire de révoquer un octogénaire du Comité Central simplement parce que l’Empire n’a pas pu le tuer avant. Laissez les impérialistes bouder. Il est possible que certains camarades aient un grand mérite historique et méritent la reconnaissance du Parti. Et là, les médias se livrent à leur petit jeu. Certains de ces camarades ont 70 ans, d’autres 80, et alors ça gonfle l’âge moyen.

OK, mais pourquoi ne parlent-ils pas de ceux qui ont moins de 40 ans, ou de ceux de moins de 50 ans ? Pourquoi ne disent-ils pas que la plupart des membres du Comité Central sont nés après le triomphe de la Révolution ?

Maintenant, où est le problème ? La même chose se passe avec les noirs, les métis et les femmes. Dans le cas des femmes, je pense que ce Congrès a fait de grands progrès. Dans l’actuel Comité Central plus de 40%, 41% je pense, sont des femmes. Dans le cas des noirs et des métis, la proportion est plus ou moins celle que l’on dit. Je n’ai pas une idée précise de la structure exacte en ce qui concerne la couleur de peau, mais les noirs et les métis font un total de plus de 31%.

Je pense que les deux catégories doivent gagner de l’importance, nous devons continuer d’en augmenter le nombre. Mais, vois-tu, je peux assurer que je préside le parlement qui contient la plus haute proportion de femmes sur cette planète. Je pense que nous venons juste après un pays scandinave. Ces pays, dans leurs lois, exigent une représentation égale, donc la moitié des candidats de chaque parti doivent être des femmes.

Le problème fondamental n’est pas celui d’une politique de « tokenism », comme ils disent aux Etats-Unis, mais celui de la promotion authentique- sur la base du mérite et de la capacité personnelle- de plus de femmes, plus de noirs, plus de métis, non pour les exhiber mais pour voir comment les promouvoir à des positions dirigeantes.

Regarde on a dit beaucoup de choses. J’ai suivi les médias et les différentes positions sur le Congrès. Selon moi, on perd de vue les fondamentaux. Je dirais que ce Congrès est un Congrès d’unité patriotique, de confirmation de l’union de la nation cubaine derrière le Parti. Ce n’est pas un Congrès du Parti. Dès le départ, le Parti a voulu que les documents qu’il approuverait soient discutés par tout le monde.

Je me souviens des déclarations de son Excellence le Cardinal Ortega quand il a exhorté les catholiques à participer au débat qui a eu lieu à Cuba. Et ils l’ont fait. Ils en avaient le droit et ont été appelés à le faire.

De ce Congrès vient un message important d’unité entre tous les cubains, au-delà des idées philosophiques. Dans le rapport principal, le camarade Raul a soulevé des éléments importants selon moi : la référence à la religion, à la spiritualité. A ce propos- dans cette société comme dans toute autre- il y a une large gammes de préférences diverses parmi les gens, et ces différences doivent être prises en compte comme faisant partie de la structure sociale.

Raul s’est référé explicitement au rôle, à la fonction des Eglises Chrétiennes, de l’Eglise catholique d’un côté, à laquelle il a rendu hommage. Il a dit que les lauriers revenaient à Son Éminence le Cardinal dans le processus qui a permis la libération d’un groupe de personnes qui étaient détenues à Cuba.

Il a reconnu le rôle très important du Conseil National des Eglises de Cuba, qui réunit les Eglises protestantes et évangéliques, et les juifs, qui sont aussi associés au Conseil et se sont engagés dans le combat pour ramener le petit Elian Gonzalez à Cuba, mais a aussi mentionné la communauté juive, les musulmans et les bouddhistes, les spiritistes, les religions d’origine africaine, qui sont tous importants, et désignét tous leurs membres comme des croyants, tous les membres de dénominations et communautés religieuses, les Franc-Maçons, les confréries, qui ont été si importantes dans l’histoire de Cuba, il les a appelés à l’unité, pour travailler ensemble pour une nation qui appartienne à tous, non pas seulement aux communistes mais à tout le monde.

Une autre chose très importante, qui a fait l’objet d’une de ses critiques, et a à voir avec tout ça : en ce qui concerne les tendances à prendre des décisions arbitraires (parce qu’il n’y a aucune règle à ce sujet) dans la sélection et la désignation de responsables, la procédure habituelle est de chercher des membres du Parti ou des membres de la Jeunesse [Communiste].

Raul a été très clair- et il a critiqué toutes les organisations du Parti- que la seule chose pour laquelle on puisse exiger l’appartenance au parti est l’élection comme cadre dirigeant du parti, ce qui est logique, puisque pour devenir un archevêque il faut être prêtre d’abord. Maintenant, pour assumer une responsabilité dans l’État, le Gouvernement ou le Pouvoir Populaire, partout, personne n’a à chercher si le candidat est ou non militant du parti. On doit chercher si le candidat est une personne décente, honnête, capable et soucieuse de s’acquitter de ses responsabilités.

MAR : Je vous remercie Pr. Ricardo Alarcon de Quesada, président du Parlement Cubain et membre du Polit Bureau du Parti Communiste de Cuba.

(1) Les lineamientos sont le texte de base amendé par des millions de cubains et débattu lors du Congrès du Parti Communiste de Cuba.

(2) Suite à une loi d’Août 2010, les deux provinces en questions ont été créées au premier janvier dernier.

Nicolas Maury
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