Notes Philosophiques ou Voyage en Anachronie -

L'Histoire

Samedi 8 Octobre 2005
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LE PAPE, L'EMPEREUR & LE ROI

ou le

SOMMET DE VILLEFRANCHE

1538

 

    Imaginons.

     Nous sommes, disons en 2038. Le Christianisme, pour ne pas dire la Chrétienté, se sentant menacée politiquement et théologiquement par la montée de l'Islam sous la forme de la constitution d'une armée pan islamique, [branche militaire de l'Europe Nord/Sud, incluant l'actuelle Union Européenne, la Turquie, les nouvelles Républiques Islamiques de Russie, l'Afghanistan, le Pakistan, le Maghreb, la Lybie, l'Egypte, etc.], voit les institutions religieuses Chrétiennes mondiales implantées aux Etats-Unis comprenant quant à eux : le Canada et l'intégralité de l'Amérique du Sud, 

   Cette nouvelle Europe, comme cette nouvelle Amérique, chacune gouvernée par un pouvoir centralisé, souhait conclure un accord diplomatique, si ce n'est de paix, afin de rétablir le commerce et l'ordre mondial.

    Cette configuration est, peu ou prou, celle de l'Europe de 1538. Comme aujourd'hui, la considération démontrée à l'endroit de l'Islam tient plus de la crainte révérencielle et d'une diplomatie utilitariste que d'une vraie perception Chrétienne de la nécessité d'entretenir un dialogue fraternel avec l'Islam. François Ier en est la vivante image. Roi de France, fils de Louise de Savoie, ses vues sont mondiales, c'est à dire Européenne. Face au très puissant et craint Empereur, Charles Quint, dont le territoire Romain et Germanique couvre l'Europe de l'Est et l'Espagne ainsi que les possessions du Nouveau Monde, la clé du nouvel ordre renaissant est le Pape. "Qui n'est pas avec moi est contre moi". Cette maxime Christique aussi pleine de menaces que de promesses, conduit le Roi de France Très Chrétien à tenter le "diable".

    L'Espagne de l'Empereur Charles Quint, dont il a recouvré les deux tiers face aux troupes organisées de Barberousse, est néanmoins menacée à partir d'Alger, véritable base navale de Kheir ed-Din, dernier frère de Barberousse l'intrépide.

    D'une part, l'Espagne en la personne de Charles-Quint, première puissance d'Europe. De sa grand-mère maternelle il tient la Castille, de son grand-père paternel, Ferdinand, il a la mainmise sur l'Aragon, Naples et la Sicile. De sa grand-mère maternelle, Marguerite de Bourgogne, il peut prétendre aux Pays-Bas, Flandres, l'Artois, la Franche-Comté. De son grand-père paternel, Maximilien, il est Empereur d'Autriche et du chef des Habsbourg peut prétendre à la domination du Saint-Empire.

    Les conquêtes se suivent et se ressemblent : Buenos-Aires fondée par Mendoza, le Chili conquis par Valdivia, le Mississippi sur lequel navigue de Soto, etc.

    Face à lui, la France. Gouvernée par François Ier, contradictoire allié des "Turcs", c'est à dire de Soliman II, dit le Magnifique. Il est l'ennemi juré de Charles-Quint qui , part du feu, ne pouvant lui ôter la Hongrie en 1526, l'arrête à Vienne en 1529.

    Le Roi de France a italianisé la France et son projet de moins en moins secret est, outre de franciser l'Italie, d'en venir au rêve d'une monarchie mondiale -européenne dirait-on aujourd'hui. Mais entre lui et ses rêves, des hommes imposants veillent.

    A Eze, sans en connaître les détails, l'on sait ce qui se trame. Du Sud, le risque omniprésent d'invasion ottomane. De l'Ouest, les troupes françaises qui, de victoires en déconvenues, constituent l'éternelle menace alors que notre Prince, Charles III dit "le Débonnaire", époux de la belle-sœur de Charles-Quint, est naturellement l'allié de ce dernier. Béatrice de Portugal, Princesse de Savoie, meurt à Nice en 1538. Le Duc de Savoie est donc en deuil lorsqu'il reçoit le Congrès de Nice.

A partir de là, la lutte sera incessante. Les partis se scindent, s'opposent et les familles éclatent.

Le Congrès de Nice de l'année 1538 entre François Ier et Charles-Quint est un échec cuisant et débouche en 1543 au siège de Nice où chacun sait que s'illustra Catherine Ségurane puis à la tentative de prise de la forteresse d'Eze par Khayr-Ed-Din Barberousse.

Bertrand Figuiera n'est pas encore le Syndic d'Eze lorsqu'il prend l'initiative qui conduira à l'exécution de son cousin Cays de Pierlas mais, fils de Guillaume, Capitaine du Régiment de Soria en 1500, il sut conduire la manœuvre qui mit fin au complot du "parti français" et dérouta, dans tous les sens du mot, les troupes du pirate Barberousse.

Au sujet de ce dernier, il est vrai, les textes sont divergents. Vraisemblablement, il s'agit bien là de l'un des frères "Barberousse", corsaires convertis à l'Islam et d'origine grecque ou sicilienne.

La crainte rôdait et était partout. Elle me rappelle cette anecdote contée par le philosophe anglais Hobbes nous disant que sa fascination morbide pour la peur, alias la mort, date de sa naissance provoquée prématurément par la vision qu'eut sa mère de l'Invincible Armada à l'horizon des côtes anglaises.

La mémoire des pierres, si elle pouvait parler, contient autant de douleurs que de joies qui, confondues, donnent à Eze, le soir venu, son inquiétante mais si belle cape de velours noir.

Charles Quint

    Face à une telle situation de conflit, la règle médiévale encore en vigueur en cette moitié du 16e siècle, veut que l'on cherchât une solution diplomatique. Le lieu de la rencontre? Nice et Villefranche.

 

    Paul III, successeur des Pontifes qui pouvaient quelques années plus tôt prononcer la Paix de Dieu sans avoir à forcer le ton, a cette fois plus de mal à se constituer en arbitre des difficultés - le mot est faible - qui émaillent les relations des deux puissants monarques. L'Evêque de Rome séjournera à Nice, alors que le Roi de France, dès la fin du mois de mai, a planté ses tentes, sa cour et son armée non loin. Charles Quint, tenant des mers et océans, préfère demeurer à Villefranche.

Le Pape Paul III

 

    Les sherpas du sommet ne sont pas encore de hauts fonctionnaires, mais des légats, princes de l'Eglise, maréchaux et généraux. Le Pape Alexandre Farnèse, élu depuis quelques quatre années, est parti de Rome le 23 mars pour arriver à Nice le 16 mai.

    Le successeur de Pierre réside au couvent des Frères Mineurs, sous le service et la protection de deux cents hommes de pied et deux cents chevaux légers, outre sa garde personnelle de lansquenets. Les cardinaux sont, quant à eux, logés dans tout Nice, suivis de peu par leurs homologues français.

    Pour faire bonne mesure, comme à son habitude, l'Empereur est arrivé à Villefranche quelques temps auparavant. Si vis pacem para bellum, aussi sa suite doit-elle inspirer le respect. Vingt-huit galères, trois nefs, sept enseignes de gens à pied, soldats aguerris qui permettent à Charles Quint de laisser sa garde espagnole au Palais.

    Avant que le Roi de France n'arrive, l'Empereur entama des négociations avec le Pape. François Ier séjournera derrière le château de Nice au lieu-dit la Marina. Ce n'est que le 2 juin que ce dernier présentera ses hommages au Pontife.

    Farnèse, ce seul patronyme évoque munificence et rareté. Aussi, Paul III va-t-il faire couvrir de fleurs et de tapisseries l'humilité de sa demeure monacale. Le Roi de France ne peut, lui non plus et encore moins que d'autres, faire "moins". Deux heures avant son arrivée, ses chevaux légers rejoignent ceux de son hôte le Pape. S'y ajoutent les six milles lansquenets du Comte Guillaume, rangés en bataille à l'arrière du bâtiment. Le Roi François fut prisonnier, otage libéré sous l'humiliante condition de la rançon. On ne l'y prendra plus. Mieux encore. Sur les hauteurs de Nice, mille légionnaires Provençaux, les deux cents gentilshommes de la Maison du Roi, les Princes, seigneurs, comtes et barons. Enfin, le Roi et sa garde personnelle. C'est sur leurs mules et coiffés de leur chapeau cardinalice que les prélats vinrent à la rencontre du Roi de France. Les cardinaux Cibo et Césarin font entrer le Roi dans la résidence du Pape. Ce dernier lui évitera le protocolaire abaissement d'avoir à lui embrasser les pieds mais l'accolera chaleureusement. François présente ses enfants au Pontife, lequel fait sortir du groupe ses deux petits neveux de cardinaux. Enfin, les uns et les autres tiennent table ouverte.

    Les Niçois furent tous témoins de cette grande activité alors que les autorités, par mesure de sûreté, n'avaient laissé ouvertes que deux portes des murailles de Nice. L'une pour entrer, l'une pour sortir.

    Décision  du Duc de Savoie, maître des lieux, qui, pour montrer sa confiance, ne résidait pas au château mais au sein de sa ville.

    Le huit juin, il est temps pour les protagonistes de faire échange de leurs familles. Aussi, la Reine et ses dames de compagnie vont-elles visiter le Pape. Le onze dudit mois, il s'agit cette fois d'aller voir l'Empereur. Il demeure à Villefranche et ne semble pas vouloir en sortir. Aussi, afin de recevoir cette noble assemblée, fait-il tirer un pont de bois afin d'éviter la traversée de la rade du port à cette suite féminine. L'incident est connu. Sous le poids de cette cohorte lourdement parée, l'Empereur, le Duc de Savoie, le Duc de Mantoue et toute cette noble troupe tombent à la mer.

    Cette baignade n'empêcha pas la signature d'une trêve de dix années.

 

POURTANT...

 

Bertrand Fighiera d'Eze est le Syndic d'Eze en cette année 1547.

Quatre années plus tôt, épisode connu, François 1er avait occupé avec les "Francs-Turcs" toute la zone côtière du Comté.

Bertrand est cousin de la famille Cays et notamment de Gaspard, lequel prendra parti pour le Roi de France.

Le 25 septembre 1543, les bâtiments Turcs abordent aux côtes de la Mer d'Eze sous l'éclairage du dit Gaspard Cays qui connaît bien Eze.

L'infortuné Cays ne pouvait penser que ses alliés d'un jour le laisseraient au matin et le voilà, à l'aube du 28 septembre, entre les mains des prêtres Don Geoffroi Asso et D' Ilonse, sous l'autorité de Bertrand Figuiera, ès-qualité de Syndic.

Cays est jugé à Nice, cette ville ayant un for de juridiction et est mis à mort, décollé puis coupé en pièces remises en des tonneaux lesquels seront exposés dans les villages avoisinants, dont Eze, Bertrand ayant pris soin d'y faire figurer un avertissement sur la fin qui attend qui s'attaque aux Figuiera.

Dureté du temps mais la survie était à ce prix.

Bertrand Fighiera mourra en 1555, ayant pris soin d'occuper la chambre la plus modeste de sa maison, sans doute pour expier cet acte de "justice". 

 


Xavier Cottier
Rédigé par Xavier Cottier le Samedi 8 Octobre 2005 à 15:38
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