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Dévoiler les raisons profondes de mon initiative…


André Gerin explique les raisons de son action contre le voile intégral
Il est des moments, et des circonstances, où il devient nécessaire, voire impérieux, pour le parlementaire qui fait une proposition de loi, de développer les raisons essentielles qui ont motivé son initiative. Non pas seulement devant ses pairs, ce qui va de soi naturellement, mais aussi en direction de l’opinion publique. Tout particulièrement lorsque le projet de loi en question soulève un débat public, voire une clameur. Pour ne pas dire un tohu-bohu où se sont engouffrés, bien sûr, des milieux dont le fond de commerce repose sur l’exploitation éhontée des peurs irraisonnées et des instincts grégaires.

Je me devais de clarifier certains points obscurs sur cette affaire dite de la Burka, terme tout à fait inapproprié en la circonstance, et qui procède, par sa seule évocation, de cet amalgame que d’aucuns entretiennent et attisent allégrement, dans une sorte de danse de la guerre, gesticulations et hurlements en rab.


Il m’a paru nécessaire, sans entrer dans de le détail de toutes les approches, souvent complexes, qui ont été entreprises lors des travaux de la mission d’information, ou des débats parlementaires, de livrer quelques unes de mes réflexions intimes sur ce grave sujet qu’est le port du voile intégral. Il est salutaire, parfois, pour l’opinion publique, qu’elle puisse discerner, et surtout comprendre, les motivations profondes qui sous tendent l’action législative. Pour que nul ne se méprenne sur leur intention, ni ne les utilisent au gré de sa chapelle politique.

Je veux dire d’emblée, comme je le ressens, et comme je l’ai toujours franchement exprimé, tout particulièrement à mes électeurs musulmans, qu’ils soient pratiquants ou non, que le port du Nikab, et non la Burka qui est pratiquement inexistante dans notre pays, du moins pour le moment, est plus une provocation civique qu’un acte de foi.

Je ne prétends pas faire de l’exégèse, encore moins de l’exégèse de la religion musulmane, dont je ne connais pas les textes sacrés( Coran et hadiths), d’autant que mes propres convictions politiques sont aux antipodes de l’exploitation religieuse, sous quelque pretexte que ce soit, mais j’ai suffisamment appris de mes compatriotes, et de mes électeurs musulmans, que la foi et les pratiques du culte musulman reposent essentiellement sur la sincérité, sur l’intention profonde de se vouer à son Dieu, dans le respect d’autrui.

Or, le port du voile intégral, en plus de choquer une société fondée sur la laïcité et sur l’égalité des sexes, en plus de ses autres valeurs intrinsèques, est totalement contre productif, y compris pour les considérations même qui le dictent. La personne qui le porte, pour éviter les regards « concupiscents » des hommes, pense-t-elle, obtient le résultat inverse, puisqu’elle devient l’objet des regards, souvent insistants, et parfois hostiles, de toutes les personnes qui l’entourent, ou qui la croisent, y compris parmi ses propres coreligionnaires.

Mais cette attitude ne m’intéresse pas en elle même, puisque l’exhibition, car c’en est une, excessive qui plus est, contrairement au but diamétralement recherché par le port du voile intégral, n’est pas notre souci. Il y a tellement de gens qui s’exhibent, de façon parfois outrancière, sans que cela ne devienne un phénomène de société. Le problème est ailleurs.

Et en premier, il se trouve dans la volonté, publiquement affichée, de ravaler la femme au rang d’ objet sexuel, que l’on voile de la tête aux pieds, et jusqu’au bout des doigts, pour la soustraire aux regards. C’est faire de la femme une non personne, sans visage, et parfois même sans regard, une ombre qui passe, un cercueil déambulant. La femme qui porte un voile intégral, dans nos sociétés, et qui est observée et ressentie au travers d’un prisme de rejet, provoque un sentiment d’incompréhension, mais surtout de peur sourde. Sa présence sur la place publique, à fortiori si le phénomène se multiplie, fait craindre à la société une dégradation de son cadre de vie, et même une appropriation rampante de l’espace public, par des personnes masquées, non identifiables, porteuses d’une menace diffuse. A fortiori que le climat sécuritaire, dans toute la planète, n’est pas pour rassurer.

Certains, qui procèdent à des parallélismes douteux, ont suggéré que je serais mieux inspiré de parler de ces femmes, elles aussi objets sexuels, que la société de consommation effrénée ramène à leurs seuls atours sexuels, de ces publicités tapageuses et agressives, presque pornographiques, de femmes à demi nues, et parfois toutes nues, ou, à tout le moins, vêtues, ou plutôt dévêtues, de tenues tellement suggestives qu’elles en deviennent presque pornographiques.

Je réponds à cela, de façon claire et nette, que ce commerce de la chair, cette exploitation grossière des plus bas instincts de l’homme, n’en insultent pas moins la dignité de la femme. Mais, aussi outrancier soit-il, ce commerce odieux du corps de la femme relève d’un tout autre phénomène, d’un autre débat, d’une posture mentale qui ne peut en aucun cas servir de contrechamp pour justifier le port du voile intégral.

Les canons de la beauté et l’esthétisme, dans la perception occidentale, subliment le corps humain. Le corps nu, tel que nous pouvons l’admirer dans l’art hellénique, dans celui de la renaissance, et tout au long de l’histoire de l’art dans nos contrées, ne choquait pas. Dieu lui même n’est-il pas représenté nu, par Michel Ange, sur les plafonds de la chapelle Sixtine ? C’est de ce terreau culturel et de cette perception de la beauté du corps humain qu’a surgi cette propension, malheureuse j’en conviens, de se servir du nu, ou du presque nu, pour vendre tout et n ‘importe quoi. Le marketing borné, qui se sert de tout et de tous, a des fins mercantilistes qui se mordent la queue, a réussi la gageure de dévier les archétypes des canons de la beauté en vulgaire et en obscène. C’est une perversion insidieuse et malheureuse du beau et du pur, mais ce n’est ni une volonté délibérée de déchoir la femme, ni encore moins une provocation civique.

Mon autre grief au port du voile intégral est né de la provocation, voire de l’utilisation d’un attribut vestimentaire à des fins inavouées, mais dont on connaît les tenants, et que nous sommes déterminés à dénoncer, avant que les aboutissants visés n'en deviennent irréversibles.

A ce sujet, avant de poursuivre plus avant, pour lever toute équivoque, je veux affirmer, de façon claire, qu’à aucun moment, de façon consciente ou non, je n’ai été motivé par un quelconque ressort ethnocentrique. Je crois en la diversité. Je sais, pour avoir été un élu, et pour continuer de l’être, d’une circonscription à forte population « immigrée », comme on dit, que ce qu’il est convenu aujourd’hui de qualifier de communautarisme est une perception erronée, et tout à fait réductrice.

D’aucuns, sciemment ou non, qui brandissent ces « attitudes communautaires » comme on agite un épouvantail, préconisent aux « populations immigrées », qu’ils ne cesseront jamais de considérer comme telles, alors que nous en sommes à la quatrième génération, de gommer leur mémoire identitaire, de se défaire de tout ce qui s’attache à leur identité, leur langue, leur religion, leurs traditions, voire même leur patronymie.

Certains de ces compatriotes, conditionnés par un rejet systémique, j’allais dire biologique, ont succombé à cet ethnocentrisme ravageur, au point où Mohamed est devenu Momo, Fatiha s’est transformée en Faty, et Foudhil en Faudel. Pathétique mimétisme qui n’est à l’avantage de personne. Encore moins de ceux qui y succombent.

Non ! Cette attitude d’intégration phagocytaire n’est pas mienne. Je me refuse à dénier à mes compatriotes venus d’ailleurs, et qui sont devenus Français à part entière, le droit d’être ce qu’ils sont profondément. Ils sont les derniers maillons d’une longue chaîne de vie. Ils portent en eux, qu’ils le veuillent ou non, que nous le voulions ou non, une mémoire vivante, des traditions séculaires, que nul ne peut leur dénier.

Roberto Alagna, ce merveilleux chanteur lyrique, bien que né en France, qui fait honneur à la France où qu’il se rende, et qui est tellement fier d’être Français, continue de chanter en italien, et même de parler dans la langue de ses lointains ancêtres, ce sicilien savoureux et chantonnant. Est-ce que cela a choqué qui que ce soit ? Non, bien sûr. Cela fait même chaud au cœur.Pourquoi alors voudrait-on que Mohamed, Fatiha ou Foudhil s’intègrent en se désintégrant ?

Je connais, dans ma circonscription, des personnes d’origine maghrébine, qui parlent un excellent français, qui sont naturellement bien élevés, travailleurs honnêtes, des citoyens modèles en somme, mais qui continuent à parler arabe, turc ou berbère chez eux, qui pratiquent leurs traditions, ou leur religion, de façon sereine et discrète, sans s’en cacher néanmoins, parce qu’ils sont fiers de leur appartenance, tout autant que de leur citoyenneté française.

Il est absolument nécessaire de faire la différence entre le communautarisme positif, qui ne porte aucune aspiration à l’isolement, et l’enfermement communautaire qui procède, pour ce qui le concerne, d’une volonté délibérée de se couper non seulement de la société française, mais aussi, et surtout, de ses valeurs fondamentales.

Il faut laisser le temps au temps, pour que la cohésion et l’harmonie au sein de la société française se fasse en douceur, sans reniement et sans mimétisme réducteur. Il ne faut encourager ni l’intégration par la haine de soi, ni celle, rébarbative, qui pousse au repli identitaire exacerbé.Ce n’est donc pas cette attitude, négationniste par essence, qui a dicté mes préoccupations, et mon inquiétude, au sujet du voile intégral.

Mes appréhensions sont nées de préoccupations bien plus objectives.

Parce que le voile est un outil de prosélytisme politico-religieux qui fait une intrusion insidieuse dans un système politique républicain, et farouchement laïc, où la religion relève de la sphère privée, et où elle ne doit pas manifester la moindre influence, notable et affirmée, sur la vie politique. Même si d’aucuns s’en servent, dangereusement, à des fins électoralistes.

Parce que le voile intégral, comme d’autres attributs vestimentaires du même genre, est en réalité un signe de ralliement, voire un uniforme, d’une propagande presque sectaire, puisqu’elle est nourrie par un courant de pensée minoritaire en Islam, puisqu’elle procède d’une vision quasi apocalyptique, dont les slogans et les cris de guerre, qui se réclament du Djihad et du choc des civilisations, pourraient déclencher, si l’on y prend garde, des réactions épidermiques irraisonnées d’une société dont on attise savamment les peurs et le besoin de se prémunir de l’autre.

Cet « autre » qui n’a pas besoin d’en rajouter, puisque à l’intérieur de nos murs même, des fermentations d’un autre âge remontent lentement à la surface visible, inexorablement, des tréfonds de nos mentalités les plus rétrogrades, et les plus réactionnaires.

Le voile intégral, ajouté à tout et à n’importe quoi, à la mal vie dans les cités, au chômage endémique qui y règne, à tous les comportements asociaux qui en sont les corollaires, et particulièrement à la délinquance d’une minorité qui rejaillit sur toute une communauté, est la fixation exacerbée et l’archétype d’un phénomène que nous devons dénoncer avec force, et sans faiblesse.

La dénonciation du voile intégral, et la mise en œuvre d’une législation qui le confine à la pratique privée, hors de la sphère publique, est la moindre des précautions que nous pouvons, et que nous devons prendre. Dans l’intérêt même des musulmans français.

Car les premières victimes de ce qui n’est rien d’autre que de l’incivisme caractérisé sont les musulmans eux mêmes. A fortiori que les adeptes de ces pratiques sont ultra minoritaires. Une poignée de fanatiques, ou pire encore, des calculateurs dont on devine ce qui les meut, se sert de millions de musulmans qu’elle prend littéralement en otage.

En attirant l’attention de l’opinion publique sur ce phénomène, en le combattant sur le plan des idées autant que sur celui de la législation, en le portant tel qu’il est, et tel que nous le percevons, sur l’Agora et sur la place publique, pour le discuter et le débusquer, nous affirmons notre volonté de préserver notre société, et les valeurs fraternelles qui y prévalent, et qui la fondent, d’un militantisme de mauvais aloi qui prône l’affrontement civilisationnel, de la même manière que son pendant chrétien d’une certaine Eglise Evangélique déploie une propagande effrayante de combat final entre le Christ et l’antéchrist, dont les soldats, nous dit-on, sont les musulmans. Tous les musulmans ! Professions de foi qui prêteraient à rire, l’une et l’autre, si elles n’étaient tragiques.

Je voulais parler à cœur ouvert, et sans rien maquiller, ni de mes intentions, ni de mes convictions, des causes profondes qui m’ont amené à mettre ce sujet sur le tapis, si l’on peut dire.Je voulais aussi me démarquer publiquement des uns et des autres, de ceux qui ont crié haro sur le baudet, et de ceux qui nous ont reproché de l’avoir évoqué, de tous les extrémismes, de ceux qui exploitent les malheurs et les peurs en guise de fonds de commerce politique, et de ceux, laxistes par idéologie, qui croient qu’il suffit d’ignorer un problème pour qu’il se résorbe de lui même. Et qui ne se rendent pas compte que leur abdication se traduit par une détresse de la société qu’ils disent représenter, et qui finit par se sentir livrée à elle même, à toutes les violations de son cadre de vie, de son identité profonde.
Mais je ne finirais pas sans vous livrer une observation que j’ai faite, il y a quelques années, qui éclaire d’un jour nouveau ce phénomène du voile intégral, et des considérations qui l’entourent. En Algérie, dans tout l’Est du pays, et tout particulièrement dans toutes les villes et villages de ce pays, comme Constantine, Annaba, Sétif, Batna, et d’autres encore, presque toutes les femmes de cette région portaient, jusque dans la fin des années 70, un voile intégral qui ressemble à ce Nikab que nous dénonçons aujourd’hui. Ce voile, tout noir, et qui drape tout le corps, est fait d’une seule pièce d’étoffe noire. Il s’appelle la « M’laya ». Il ne laisse rien transparaître du corps, hormis les yeux, et le visage est masqué par un voile blanc. Le port de la « M’laya », contrairement à ce qui semblerait, n’était pas dicté par des considérations religieuses. Mais il faisait partie des us et coutumes du pays.

En fait, après l’assassinat de Salah Bey, gouverneur de Constantine, au 18eme siècle, sur ordre du Dey d’Alger, la population de cette province, au sein de laquelle ce prince était très aimé, a porté massivement le deuil pour lui. Un geste hautement politique, pour signifier son opposition à l’occupation turque. Parce que Salah Bey, contrairement aux autres beys dans d’autres provinces, et au Dey lui même, n’était pas Turc, mais Koulougli (Métis de turc et de Maure) Ce deuil, affiché ostensiblement par toute la population féminine de Constantine, se répandit dans tout l’Est algérien, et persista jusqu’à nos jours. Aujourd’hui, la « M’laya » a été éclipsée par le Hidjab moyen oriental, importé dans le pays par les Salafistes algériens.

Or, dans les années 60, et surtout 70, à la faveur des lois Giscard sur le regroupement familial, les immigrants algériens, qui vivaient en célibataires, dans notre pays, dans leur écrasante majorité, commencèrent progressivement à faire venir leurs familles. Leur vie se trouvait désormais en France.

Ils commencèrent à opter pour la nationalité française, et, phénomène intéressant, ils cessèrent de faire construire des maisons dans leur pays d’origine. Ils devenaient français à part entière, et n’envisageaient plus de retourner en Algérie autrement qu’en touristes. Mais, et c’est là où je voulais venir, parmi les centaines de milliers de femmes algériennes qui vinrent rejoindre leurs époux, pas une seule, oui, oui, je dis bien pas une seule d’entre elles, ne porta en France la M’laya qu’elle avait toujours porté dans son pays d’origine.

Ces femmes, qui avaient toujours porté ce voile intégral, qu’on ne pouvait pas imaginer en train de déambuler à visage découvert, en Algérie, avaient toutes, dans une sorte de consensus non dit, tout naturellement, et sans que quiconque le leur demande, décidé de ne pas porter la « M’laya » en France ! C’est tout simplement remarquable. Digne de servir à une thèse de doctorat en sociologie. Très étonné par cette attitude tacite et collective de civisme, par cette touchante discrétion, par ce geste d’intégration librement consenti, j’ai voulu comprendre. J’ai posé la question à l’un de mes électeurs, à Vénissieux. Originaire de Sétif, l’épouse de ce Monsieur portait la M’laya avant de venir en France. Sa réponse, émouvante et pleine de bon sens m’a conforté dans l’opinion que j’ai de l’âme araboberbere de nos concitoyens maghrébins, toute empreinte de délicatesse et d’altruisme.

Je ne saurais pas la rendre fidèlement, même en substance, mais j’en retins une partie, qui s’est gravée dans ma mémoire : « Vous savez, Monsieur Gérin, quand une personne honorable vous invite à partager sa maison, le moins que vous puissiez faire, c’est de respecter son mode de vie. »

A méditer !

Et à mettre au crédit de cette admirable communauté, dont on ne retient que les excès de certains excentriques parmi elle, qu’on fustige sans raison, et qu’on désigne en bouc émissaire de toutes nos démissions. Y compris celles qui lui occasionnent des torts considérables. Et la démission face au voile intégral en est une !

Nicolas Maury
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