Incroyants, encore un effort

9. RELIGION ET MORALE

Crudeli (reprise). Il y a dans les livres inspirés deux morales : l'une générale et commune à toutes les nations, à tous les cultes, et qu'on suit à peu près ; une autre, propre à chaque nation et à chaque culte, à laquelle on croit, qu'on prêche dans les temples, qu'on préconise dans les maisons, et qu'on ne suit point du tout.
La Maréchale. - Et d'où vient cette bizarrerie ?
Crudeli. - De ce qu'il est impossible d'assujettir un peuple à une règle qui ne convient qu'à quelques hommes mélancoliques, qui l'ont calquée sur leur caractère. Il en est des religions comme des constitutions monastiques, qui toutes se relâchent avec le temps. Ce sont des folies qui ne peuvent tenir contre l'impulsion constante de la nature, qui nous ramène sous sa loi ; Et faites que le bien des particuliers soit si étroitement lié avec le bien général, qu'un citoyen ne puisse presque pas nuire à la société sans se nuire à lui-même ; assurez à la vertu sa récompense, comme vous avez assuré à la méchanceté son châtiment ; que sans aucune distinction de culte, dans quelque condition que le mérite se trouve, il conduise aux grandes places de l'État ; et ne comptez plus sur d'autres méchants que sur un petit nombre d'hommes, qu'une nature perverse que rien ne peut corriger entraîne au vice. Madame la maréchale, la tentation est trop proche ; et l'enfer est trop loin ; n'attendez rien qui vaille la peine qu'un sage législateur s'en occupe, d'un système d'opinions bizarres qui n'en impose qu'aux enfants ; qui encourage au crime par la commodité des expiations ; qui envoie le coupable demander pardon à Dieu de l'injure faite à l'homme, et qui avilit l'ordre des devoirs naturels et moraux, en le subordonnant à un ordre de devoirs chimériques.
La Maréchale. - Je ne vous comprends pas.
Crudeli. - Je m'explique ; mais il me semble que voilà le carrosse de M. le maréchal, qui rentre fort à propos pour m'empêcher de dire des sottises.
La Maréchale. - Dites, dites votre sottise, je ne l'entendrai pas ; je suis accoutumée à n'entendre que ce qui me plaît.
Je m'approchai de son oreille et je lui dis tout bas :
Crudeli. - Madame la maréchale, demandez au vicaire de votre paroisse, de ces deux crimes, pisser dans un vase sacré, ou noircir la réputation d'une femme honnête, quel est le plus atroce ? Il frémira d'horreur au premier, criera au sacrilège ; et la loi civile, qui prend à peine connaissance de la calomnie, tandis qu'elle punit le sacrilège par le feu, achèvera de brouiller les idées et de corrompre les esprits.
La Maréchale. - Je connais plus d'une femme qui se ferait un scrupule de manger gras le vendredi, et qui... j'allais dire aussi ma sottise. Continuez.
Crudeli. - Mais, madame, il faut absolument que je parle à M. le maréchal.
La Maréchale. - Encore un moment, et puis nous l'irons voir ensemble. Je ne sais trop que vous répondre, et cependant vous ne me persuadez pas.
Crudeli. - Je ne me suis pas proposé de vous persuader. Il en est de la religion comme du mariage. Le mariage, qui fait le malheur de tant d'autres, a fait votre bonheur et celui de M. le maréchal ; vous avez bien fait de vous marier tous les deux. La religion, qui a fait, qui fait et qui fera tant de méchants, vous a rendue meilleure encore ; vous faites bien de la garder. Il vous est doux d'imaginer à côté de vous, au-dessus de votre tête, un être grand et puissant, qui vous voit marcher sur la terre, et cette idée affermit vos pas. Continuez, madame, à jouir de ce garant auguste de vos pensées, de ce spectateur, de ce modèle sublime de vos actions.

La maréchale a déclaré précédemment que le but de la religion était de contrarier les mauvais penchants de l’humaine nature avant de convenir que, dans ce rôle, elle n’était pas des plus efficaces. Le philosophe indique que, selon lui, il y a dans les enseignements de l’Eglise deux morales, l’une commune à toutes les religions et à toutes les sagesses et qu’on peut appeler la morale naturelle, l’autre arbitraire qui ne convient qu’à quelques individus « mélancoliques » qu’on dirait aujourd’hui dépressifs ou névrosés. Le dogme de « l’Immaculée Conception » est un exemple de cette névrose. Il signifie que le mode ordinaire de conception est sal, que le sexe est sal, que le célibat est saint. Etrange perversion qui conduit ceux qui idolâtrent le Créateur à critiquer ses choix les plus constants ! Le dogme du péché originel doit prendre sa source dans la répulsion que peuvent engendrer chez certains les flots de sang et de liquides divers qui accompagnent la naissance et qu’on peut prendre à tort pour des impuretés. D’où le baptême destiné à éliminer ces « impuretés » par des ablutions.
« Peut-on dire que la religion rende les hommes méchants ? Sûrement elle les rend tristes » (Alain). On dit que la religion donne un sens à la vie. Faut-il vraiment que la vie ait un sens ? Beaucoup ont l’ambition (la prétention ?) de faire de leur vie un chef d’œuvre. En voulant à toute force donner un sens à leur vie, ils risquent fort de commettre des contresens. La vie se contente d’être, ce qui n’est déjà pas si mal. C’est un voyage où il faut trouver du ravitaillement et éviter les accidents. Le terme du voyage ne nous est que trop connu. La vie a un sens intrinsèque, inclus dans sa notion même et sans lequel elle ne saurait exister, qui est de persister et de s’épanouir. Tout être vivant participe d’instinct à ce processus. Le sens donné à la vie par les religions en général et par la religion chrétienne en particulier, sous des apparences de générosité, est en réalité profondément égoïste puisque ces religions n’envisagent de salut qu’individuel. Elles sont donc de ce point de vue tout à fait immorales. J’appelle de mes vœux une religion, plus conforme à notre condition de passagers obligés de la fragile Planète Bleue, qui dirait que nous serons tous sauvés ou tous perdus et pour laquelle un Dieu de Justice ne serait qu’une hypothèse de travail.
Revenons au domaine restreint que nous avons déjà évoqué, celui dans lequel se déroulent nos existences. Les relations de causalité à l’intérieur de ce domaine sont les mêmes pour tous et cessent d’être connues au-delà des limites du domaine. Cependant, les religions fixent ce que les mathématiciens appelleraient des conditions aux limites. De proche en proche, ces conditions permettent de fixer la valeur de tous les paramètres à l’intérieur du domaine, c'est-à-dire toutes les règles de vie ; autres conditions aux limites, autres règles. D’où, pour éviter les disputes dues à des points de vue différents, l’intérêt de fixer pour tous les mêmes conditions. L’incroyant ne bénéficie pas de cette facilité. Il ignore quelles sont les conditions aux limites. Il ne peut se fier qu’à son instinct et à sa raison dont il suppose qu’ils sauvegardent les intérêts du monde vivant, ceux de l’espèce humaine et son propre intérêt. C’est à la nature qu’il adresse son « in manus tuas ». « Il y a des choses qu’il faut accepter sans les comprendre ; en ce sens nul ne vit sans religion » (Alain). Les croyances d’un fidèle bien conditionné forment un réseau hydrographique qui ne cesse de s’approfondir par l’usage. Toutes ses pensées remontent comme des poissons obstinés vers la source divine. Celui d’un incroyant, partant des constats sensibles et suivant l’enchaînement des effets et des causes, aboutit à l’océan de l’ignorance et du doute. Le savant qui épouse une croyance religieuse est donc forcément quelque peu schizophrène. L’esprit du croyant est tourné vers le passé, celui de l’incroyant est tourné vers l’avenir. Or quatre-vingt dix neuf pour cent des conversations à bâtons rompus concernent le passé et un pour cent l’avenir. L’avenir, parce qu’il est largement imprévisible, est en effet beaucoup moins bavard que le passé, et le peu qu’il nous dit n’est pas forcément très réjouissant ! Les grands chefs indiens qui se préoccupaient de l’avenir de leur tribu étaient réputés pour leur sagesse, mais aussi pour leur laconisme. L’esprit du bavard incorrigible est tourné obstinément vers le passé, son propre passé.
Dés l’instant où plusieurs religions sont acceptées simultanément sur un même territoire l’instinct et la raison de l’incroyant, tels que les exprime la philosophie des lumières, sont cependant les seules références communes possibles pour tous ceux qui y résident. C’est ce qu’il ne faut cesser de répéter à tous les intégristes. Fort heureusement, les conditions aux limites fixées par les religions ne conduisent pas les fidèles à s’écarter notablement des règles instinctives de l’incroyant, à quelques exceptions près. Le feraient-elles qu’elles seraient rapidement éliminées par la sélection naturelle. Il se peut d’ailleurs que des différences relativement mineures provoquent des conflits d’une violence sans commune mesure avec la cause génératrice. C’est l’équivalent dans le domaine social d’une réaction allergique dans le domaine physiologique. Comme le dit si bien Diderot : « Il y a dans les livres inspirés deux morales : l'une générale et commune à toutes les nations, à tous les cultes, et qu'on suit à peu près ; une autre, propre à chaque nation et à chaque culte, à laquelle on croit, qu'on prêche dans les temples, qu'on préconise dans les maisons, et qu'on ne suit point du tout ». Là où croyants et incroyants divergent, c’est sur le chapitre de la justice à laquelle chacun estime avoir droit. Le croyant pense que les injustices seront réparées dans l’au-delà, quoi qu’il puisse arriver ici-bas. L’incroyant pense que la justice sera rendue à chacun ici et maintenant ou qu’elle ne le sera jamais, que seule l’espèce peut bénéficier d’une justice a posteriori. Il n’y a d’ailleurs pas de justice en soi mais seulement des justices liées aux lieux et aux circonstances. Pour mieux dire, il y a autant de justices que de juges comme il y a autant de croyances que de croyants.
Le philosophe dit plus loin à la Maréchale : « Il vous est doux d'imaginer à côté de vous, au-dessus de votre tête, un être grand et puissant, qui vous voit marcher sur la terre, et cette idée affermit vos pas ». Il vous est doux et il vous semble naturel d’imaginer aurait-il pu ajouter. Il n’est pas besoin de faire preuve d’une imagination excessive pour identifier cette divinité surplombante avec le surmoi de Freud qui est le moyen choisi par l’espèce pour faire valoir ses droits en incitant le moi à adopter des comportements conformes à l’éthique. Le surmoi, c’est l’ensemble des circuits neuronaux chargés de rappeler au moi conscient les interdits parentaux, la soumission au mâle dominant, et les intérêts de l’espèce. C’est ce qui relie un individu à ses congénères, passés, présents et futurs. C’est la racine même de la religion. Ce surmoi est le réceptacle où vont s’accumuler les recommandations et les interdits dont l’individu sera nourri au cours de sa vie, spécialement dans ses débuts, mais je suis persuadé qu’il existe chez tous un stock initial, que le cerveau est fourni à la naissance avec son système d’exploitation et quelques logiciels de base (les instincts dont l’instinct parental, l’instinct grégaire, l’instinct moral, l’instinct causal selon lequel tout doit avoir une explication). Le sympathique anarchiste, généralisant peut-être abusivement son cas personnel, considère que le surmoi est assez puissant à lui tout seul pour qu’il n’y ait pas d’autre contrainte à exercer sur l’individu. Postuler l’existence du libre arbitre n’est finalement rien d’autre que de constater qu’il existe un surmoi dont les exhortations peuvent être selon les cas plus fortes ou moins fortes que les pulsions dues à des désirs plus matériels, plus égoïstes et plus immédiats, la conscience, arbitre impartial, désignant le vainqueur. Mais ce surmoi est une donnée que nous ne maîtrisons pas plus que le reste, c’est un héritage génétique, éducatif et culturel. Certains chez qui la voix de l’espèce ou du surmoi que d’aucuns appellent la voix de la conscience est un peu plus faible qu’il n’est souhaitable peuvent trouver avantage à la renforcer par ces imaginations qui peuvent leur épargner des retours de bâton désagréables, de la même façon que, conscients de leur amour immodéré du jeu, certains se font interdire de casino !
« Mettons l’homme et le bandit en présence de Dieu, comme on suppose que le vrai croyant est en présence de Dieu, l’un et l’autre cèderont à une puissance évidemment invincible…c’est pourquoi il faut que Dieu soit incertain… le saint est l’homme qui se passe de Dieu » (Alain). Jamais je ne croirai que l’abbé Pierre, mère Térésa et tous les saints ont fait ce qu’ils ont fait par calcul, pas plus que je ne le crois de la Maréchale. Tous ont suivi leur ligne de plus grande pente. La meilleure preuve que la religion, malgré le caractère exorbitant de ses promesses et de ses menaces, n’a pratiquement aucune influence dans ce domaine, c’est que la conduite de “ celui qui croyait au ciel ” et la conduite de “ celui qui n’y croyait pas ” ne se distinguent pas aisément, ni dans la vie de tous les jours, ni dans les situations extrêmes. Le philosophe et la Maréchale sont d’ailleurs d’accord sur ce point. Est-ce à dire, « horresco referens », que ceux qui croient au ciel n’y croient pas vraiment, mais que cette pseudo croyance leur est confortable, sympathique et socialement profitable ? Qu’ils y adhèrent comme on achète un ticket de l’Euromillion avec le fragile espoir que ce soit le ticket gagnant ? Vivraient-ils comme ils le font s’ils croyaient véritablement aux récompenses et aux châtiments annoncés ? Comment osent-ils faire des enfants sachant les douleurs infernales que ceux-ci risquent d’éprouver pendant des siècles de siècles ? Oublieraient-ils aussi facilement les prescriptions de leur foi lorsque leurs passions ou leurs intérêts sont en jeu ? Comment font-ils pour résister au stress extrême qui devrait résulter normalement de l’incertitude terrible qui concerne leur sort futur, car comme dit Woody Allen l’éternité, c’est très long, surtout vers la fin ! Pourquoi ne mettent-ils pas plus volontiers la main à la poche pour garantir cette éternité ? L’argent dépensé est un bon indicateur de l’intérêt porté à une activité. Or, même dans les familles chrétiennes, le sport ou les vacances sont des postes budgétaires plus importants que celui consacré à faire vivre leur foi. Voyez avec quel enthousiasme les fidèles catholiques se bousculent pour consacrer leur vie à l’affaire mirobolante qui leur est proposée ! Voyez la part de leurs revenus qu’ils consacrent à des œuvres charitables et avec quelle munificence ils entretiennent leurs pasteurs, de sorte que ceux-ci ne pourraient nourrir femme et enfants, même s’ils étaient autorisés à en avoir ! Ecoutez ce prélat lucide persuadé que les jeunes filles de bonne famille qui se pressent pour applaudir le pape lorsqu’il prêche la chasteté et l’abstinence, ont des articles contraceptifs dans leur sac à main ! La douceur du bouddhisme cambodgien n’a pas empêché de s’exprimer la monstruosité d’un Pol Pot, ce qui est assez terrifiant. Il est plus facile d’aimer un Dieu que l’on peut modeler à sa fantaisie plutôt que des créatures obstinées à persévérer dans leur être, et, selon le mot terrible de Diderot, d’aller « demander pardon à Dieu des injures faites à l’homme ». Torturez si vous l’estimez indispensable, mais n’oubliez surtout pas de vous confesser après ! Insultez et giflez publiquement à la sortie de la messe un paroissien jeune, robuste et bien habillé et voyez s’il tend l’autre joue ! Pour pousser l’homme à l’action, on ne peut guère agir en effet que sur trois leviers : la peur, l’intérêt et la générosité que l’on peut appeler aussi enthousiasme. Tous les régimes politiques utilisent à des degrés divers ces différents leviers. La dictature privilégiera la peur, la démocratie libérale mettra l’accent sur l’intérêt. Une nation en guerre pourra davantage faire appel à la générosité, car on ne calcule plus quand la maison brûle. L’action immédiate remplace dans ces circonstances extrêmes les discussions interminables sur qui doit faire quoi et au profit de qui et les réticences qui en découlent. C’est la raison pour laquelle le communisme qui a si bien réussi dans la guerre a échoué dans la paix. C’est qu’il aurait fallu, la paix revenue, deux partis communistes se distinguant par les nuances du rouge de leur drapeau et se disputant le pouvoir, et non pas un seul, pour que le régime perdure, au lieu de dégénérer par manque de contrôle démocratique en une entente “ des copains et des coquins ” dont on voit encore aujourd’hui les séquelles. Au temps de la splendeur de l’URSS on entendait dire dans les pays de l’Est que le déficit moral qui y était observé était lié à l’absence de religion. Le retour de celle-ci a-t-il amélioré la situation ? Il est permis d’en douter. Une partie de la nomenklatura s’est muée, pour son plus grand profit en maffia capitaliste à la faveur de manœuvres qui laissent pantois. Le KGB et la CIA y ont eu certainement plus de part que le Saint-Siège. Des esprits tentateurs ont murmuré à l’oreille des industriels soviétiques qu’ils disposaient certes déjà de copieux privilèges, mais qu’il serait encore préférable pour eux de devenir propriétaires des entreprises dont ils avaient la charge. Et ils ont répondu banco ! Le communisme a échoué comme le pensait ce bon monsieur Gorbatchev à cause de la mise en œuvre de son principe, non à cause du principe lui-même qui est somme toute assez naturel. Une armée en campagne, l’équipage d’un navire, une expédition himalayenne, un ordre monastique, une famille unie, un groupe d’amis en vacances fonctionnent selon des règles ou des usages qui en sont assez proches. Il s’agit de mettre des ressources en commun afin d’assurer au mieux les besoins de chacun. Donnez le communisme aux japonais et ils le feront fonctionner ! Dans une société primitive, nul ne conteste au meilleur chasseur le droit de se servir le premier ni celui de choisir le meilleur morceau, mais il ne viendrait pas à l’idée du groupe des chasseurs d’allouer cinq cents kilogrammes de viande à celui dont l’estomac ne peut en contenir que deux, pendant que d’autres chasseurs resteraient sur leur faim. Aux yeux du plus grand nombre tout système collectiviste est irrémédiablement disqualifié, mais qui aurait parié en 1815 sur l’avenir des démocraties parlementaires laïques alors que partout les trônes et les autels venaient d’être rétablis ? Si la libre entreprise a prouvé dans les faits, peut-être pour des raisons fortuites, sa supériorité sur le collectivisme lorsque les ressources naturelles étaient abondantes et les produits de consommation rares, qu’en sera-t-il si ces ressources se raréfient ou si ces produits deviennent disponibles presque à discrétion, parce que fabriqués essentiellement par des robots ? La question mérite d’être posée. La réponse dépend, entre autres, de ce qui va se passer en Chine où la religion semble avoir perdu droit de cité.
Au risque de faire crier, je dirai qu’en politique c’est le propre de la gauche de privilégier le surmoi dans ses propos tandis que la droite privilégiera plutôt les pulsions élémentaires, comme la peur qui prend aux tripes. La gauche exprimera plus volontiers des intentions généreuses et la droite des intentions égoïstes. La ligne de démarcation gauche droite passe au travers des assemblées comme elle passe à l’intérieur de chaque individu, Les deux attitudes sont d’ailleurs indispensables et complémentaires. Pour attaquer un sol dur il faut incliner la bêche tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche. Un homme de droite sera plus facilement séduit qu’un homme de gauche par les idées religieuses car elles contribuent à le rééquilibrer. Il compense ainsi souvent l’égoïsme collectif qu’il préconise par une grande générosité individuelle. Il n’arrive pas à se faire aussi méchant qu’il le voudrait car la nature est la plus forte. En d’autres temps, malgré un racisme affiché, il avait son bon juif ou son bon arabe. L’homme de gauche se rééquilibrera en adoptant des mœurs plus libérées, un comportement individuel parfois plus égoïste, en tout cas plus hédoniste. « Nous ne sommes pas les bons et ils ne sont pas les méchants, même s’ils disent qu’ils sont les bons et que nous sommes les méchants ! » (François Mitterrand). Par une dérive qui paraît systématique les opinions de la gauche deviennent au bout d’un délai variable les valeurs de la droite, ainsi de l’esprit républicain et des préoccupations sociales. Il faut remarquer toutefois qu’une société dans son ensemble est plus équilibrée lorsque le pouvoir politique et celui de l’argent ne sont pas durablement dans le même plateau de la balance. L’équilibre des pouvoirs, en permettant le respect des droits de chacun, est l’essence même de la démocratie.

Norbert Croûton
Rédigé par Norbert Croûton le 24/11/2006 à 00:30