Notes Philosophiques ou Voyage en Anachronie -

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Xavier Cottier
Rédigé par Xavier Cottier le Mercredi 26 Octobre 2005 à 17:21

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Dimanche 23 Octobre 2005
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Rocher Heureux

               
Brassaï, 1974. © Michel Quétin                            Henry Miller

Brassai, Miller  (et Nietzsche)

    Comment se retrouvèrent-ils ici, ces deux peintres photographes, photographes peintres et écrivains. L'un, Brassaï, l'éternel étudiant de Transylvanie, l'autre, Miller, l'américain des années vaches enragées et vaches sacrées.

    L'histoire serait incroyable pour qui n'a pas connu les grandes heures d'Eze, faites d'impromptus, de miracles d'autant plus aisés que personne ne priait les thaumaturges d'alors. Nul prière pour des "plus", mais bien plutôt pour des "mieux".

    Brassaï en photographie est totalement inédit. Miller en écrivain, unique, provocateur et pourtant classique. Le premier aime Paris, les hommes et femmes qui hantent ses rues et cafés et, pour les remercier, leur donne sur le papier cette âme que nul autre n'aurait pu faire paraître.

    Miller est l'homme de Big Sur. Je pense, très personnellement, et sans médire des beautés d'Eze, que qui n'a pas visité Big Sur ignore ce qu'est la vraie beauté de notre planète. M'y trouvant dans les années 1980, j'y avais décelé de grandes passerelles liant cette terre du grand Ouest à l'Océan et celle de notre Sud baignée dans Sa Mer.

     Big Sur  1980's

    L'histoire des deux compères ressemble à Big Sur mais c'est à Eze qu'elle se déroula. Elle est contée par Brassaï lui-même. ("Rocher Heureux", Brassaï, Gallimard) (http://archquo.nouvelobs.com/cgi/articlesad=culture/20041109.OBS1087.html&host=http://permanent.nouvelobs.com/)

 

    La femme de Miller vient de le quitter. Ses deux enfants restent avec lui. Mais il est Henry Miller et sa chute ne sera pas longue. Il tombe très vite amoureux et se remarie.

    Un voyage s'impose. Henry Miller décide de visiter les sites parcourus par Nostradamus ce qui, également, est sidérant et le mot est bien choisi! Sur son parcours, il est désigné comme juré du Festival de Cannes, ce qui lui donne toute latitude pour continuer son excursion, c'est à dire à ne rien faire.

       Brassaï, Miller sont à la terrasse d'un café d'Eze. Nul ne sait lequel, mais cela n'a pas d'importance. Les deux hommes parlent de Nietzsche car, bien sûr, ils connaissent le passage sur Eze.

        Quelle est leur surprise de voir à quelques tables la représentation exacte du philosophe, en tous points semblables.

          Brassaï nous confessera que l'apparition n'est en fait celle que d'un vulgaire escroc qui tentera de leur soutirer quelques avantages!

     Il n'existe plus vraiment d'équivalent de ces deux hommes et les escrocs ne fréquentent plus les cafés... Eze devra donc attendre longtemps avant une telle rencontre.

"Fais n'importe quoi, mais tires-en de la joie."

Henry Miller


Xavier Cottier
Rédigé par Xavier Cottier le Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:21

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Samedi 22 Octobre 2005
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    La Grande Corniche eut ses heures de gloire. S'y rendre constituait une excursion et, en ses années 1930, le mot n'est nullement exagéré.

 

    En kilomètres, bien peu de choses. Trente, peut-être, mais combien fut rude la route pour ces voitures lourdes et peu fiables qui au premier nid de poule rendaient qui un pneu, qui un radiateur.

 

    La mission de l'excursionniste est pourtant simple. Gagner la frontière italienne de Nice en passant par toutes les communes qui ont une emprise sur cette déjà fameuse corniche. Villefranche, Eze, Monaco, Roquebrune, Menton, etc.

 

    A mi-chemin, le bien nommé "Belvédère d'Eze", trônant au-dessus du village de sa hauteur de cinq cents cinq mètres. Il est une prouesse d'architecture tant il semble qu'il doive sombrer dans l'abîme à chaque coup de vent. De ses terrasses, s'étalait un paysage sans nimbes ni nuées où il semblait que l'on puisse toucher l'inatteignable.

 

    Sur les présentoirs en fer, cartes postales et souvenirs. Parmi eux, la brochure dite "Excursion de la Grande Corniche". Lourd papier luxueux, reproductions de grande qualité, le tout édité pour et par le Belvédère d'Eze.

 

   

"Excursion de la Grande Corniche" - Belvédère d'Eze - Collection X. Cottier

 

    La plaquette commence par un audacieux photomontage à la facture très moderne pour l'époque. Au premier plan la Promenade ornée encore pour quelques années de sa jetée promenade, puis au loin les étapes du voyageur : le Belvédère, Eze, La Turbie, etc. comme autant de haltes sur une muraille invisible.

 

   

 

    Le conducteur de la petite décapotable noire voit Eze s'approcher et, sur cette photo, le Belvédère est bien indiqué. Il pourra là trouver de l'eau pour sa voiture et quelques rafraîchissements pour lui-même.

 

   

 

    "Eze - Epoque Sarrazine (sic)"! Amusant raccourci "historique". Eternelle vision de la "montagne" d'Eze qui était restée inchangée depuis tant de siècles.

 

    L'excursionniste n'a pas besoin d'en savoir plus et, sans doute, reviendra-t-il quelques jours plus tard pour découvrir le "nid d'aigle".

 

    Ce temps paraît si lointain et désuet. Nous savons qu'il ne reviendra pas.


Xavier Cottier
Rédigé par Xavier Cottier le Samedi 22 Octobre 2005 à 22:11

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De Balzac, de l'Honorabilité et des Apparences

 

ou le Comte Putatif

 

    Une ténébreuse affaire. Le cadre - cette Troisième République encore frémissante de toutes les révolutions qui précèdent, la "grande" puis les autres -, les acteurs : notables méfiants certes mais plus soucieux de la forme que du fond, l'unité de lieu : notre Comté où rien ne se faisait sans que le nouvel impétrant n'ait essuyé le crible sévère des salons de Nice et  de Monaco le nouvel impétrant.

            Les noms seront tenus sous silence car, peut-être, l'habile aigrefin a des descendants.

            Mon Dieu, pourtant, qu'ils sont méfiants! Il ne suffisait nullement à tout "étranger" de présenter à Eze bonne mine, biens ou recommandations. Notre homme avait les trois. Et un titre : il est le Comte de la C.

            Il est mondain, entreprenant, vu dans toutes les réceptions et écouté.

            Le 13 janvier 1911, lors de l'élection municipale nationale, le Comte de la C. est élu au conseil municipal d'Eze.

            Une semaine plus tard, jour pour jour, une dame B. demeurant au 107 de la rue Ordener à Paris écrivait à Monsieur le Préfet des Alpes-Maritimes. La missive n'est autre qu'une dénonciation en bonne et due forme qui, nous le verrons, n'était nullement calomnieuse.

            Le représentant du pouvoir, puis le maire de la commune d'Eze et ses habitants apprendront toute la vérité au moyen d'une "Communication aux électeurs d'Eze" que le premier magistrat du village s'empressa de diffuser largement afin d'édifier la population et se priver des services du malandrin.

            De fait, le comte n'est pas comte. Son nom de famille est Q., C-M de son prénom. Il est né au Havre le 8 mai 1874.  Madame B le qualifie d'apache car, dit-elle, de 1892 à 1900 "...il n'a exercé qu'un seul métier, celui de souteneur, et il est bien connu comme tel dans le monde spécial de Montmartre." Edifiant, le mot n'est pas trop fort.

            Nous verrons plus tard comment le bougre a pu obtenir sans risques le titre flatteur.

            M. Q., non content d'être maquereau, avait des activités de gigolo. Ainsi, déroba t il un collier à une dame K., anglaise et d'âge canonique, lui permettant ainsi de se "refaire". Madame B. se trouve être la soeur de l'une de ses victimes et de là son empressement à exercer sa vengeance. La malheureuse, morte et reposant au cimetière de Passy, était allée jusqu'à mettre le blason - vrai quant à lui - de la famille dont il avait usurpé le titre et les armes. C'est de ses deux villas de la Mer d'Eze, le "Roc-Saphir" et "Côte d'Azur" que le comte putatif avait fait imaginer aux notables locaux qu'il pourrait, en raison de ses nombreux contacts parisiens, constituer un parfait élu d'Eze.

            Le véritable Comte de la C. a pu s'en expliquer. Les archives du Parquet de Paris, au dossier (correspondance) numéro 95.971 comprennent sa déclaration laquelle démontre que le noble vieillard sans ressources s'était vu proposer la somme de 100 francs s'il consentais à reconnaître comme étant son fils le dénommé C.M. Q.

            Et c'est à cet instant que Balzac intervient. Non seulement il usurpa ainsi légalement le nom et le titre, mais obtint l'incroyable, l'inespéré. La propre mère de "l'apache" épousait le vrai Comte de la C. le 3 novembre 1904.

              Et c'est ainsi que l'élu est mort civilement. Il s'agit donc bien de Balzac, de l'honorabilité et des apparences.


Xavier Cottier
Rédigé par Xavier Cottier le Vendredi 21 Octobre 2005 à 21:53

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Jeudi 20 Octobre 2005
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André Aicardi

L'Art du Feu

    La pierre et le feu.

            Eléments fondateurs d'Eze, village scellé par le minéral et le fer. Des descendants des nobles corporations ayant édifié choses et esprits, peu demeurent. Aussi, aujourd'hui, parlerai-je avec joie d'André Aicardi, appartenant à l'un des plus anciennes familles d'Eze et ayant conservé l'art du feu.

            L'homme a la solidité des hommes des cathédrales qui, plus au nord, forgeaient le ciseau du tailleur de pierre et, ici, coulaient clefs, celles qui ouvrent les portes et portails ou soutiennent les murs millénaires, luminaires entretenus à grand prix de cire perdue, lourdes armes tenues au secret des caves voûtées et leur sensibilité d'artistes qui donnent de la beauté au quotidien.

           Depuis quarante ans, de son atelier discret tout d'abord protégé au fond d'une belle impasse du Château Barlow puis, aujourd'hui, au lieu-dit que l'on dirait tiré d'un roman de Georges Sand : les Trois Ponts, André tire de lignes de fer volutes, courbes, arabesques ornant l'ocre laiteux des pierres d'Eze mais également de bien d'autres lieux en France et en Europe.

 

            Car, notre artiste a la vertu Ezasque par excellence : la modestie. Les dons artistiques, en outre, ne semblent pas étrangers à Eze s'agissant de cette famille, alors que son frère Isidore sculpte superbement le bois d'olivier à l'entrée du village, mais nous aurons l'occasion d'en reparler.

            Tirées de son album de photographies, ces quelques oeuvres de jeunesse, autant de chefs d'oeuvres de compagnon :

Projet de portailpour l'église paroissiale

 

Armes commandée par un cinéaste américain

            Pour les concevoir - et là est la grande leçon -, de l'esprit à la main, cette dernière tracera sur un papier déjà jauni par les remugles de la forge les prémisses des trois dimensions finales. En voilà quelques exemples :

       

     Ebauche d'un travail d'une table reprenant des éléments architecturaux

 

        Puis, comme d'une canopée métallique, surgit l'oeuvre d'abord brute que l'artiste devra ensuite polir, lustrer, achever ...

    

        Enfin, le temps de la mise en oeuvre. La braise sourd, le soufflet lui impose plus de rougeoiement et voilà que la pièce rigide se tord pour enfin connaître le choc wagnérien du marteau sur l'enclume lui donnant la forme voulue. Ce geste ancestral qui, de loin, évoque d'antiques batailles est, au plus près, doux comme l'appel de l'angélus. Mais ne nous y trompons pas; combien d'années d'attention a-t-il fallu avant d'arriver avant une telle maîtrise. La passage du papier au fer, initiatique comme la transmutation du plomb en or, appelle travail et savoir-faire.

 

        De ce fer en forme de crosse d'évêque, André Aicardi a pu, il y a bien des années,  sortir la clef que voici, utilisée par nous quotidiennement,  ou, plus généralement à Eze, tout ce qui ornait fenêtres, vantaux et jardins.

        A la vue de ladite clef, beaucoup de s'exclamer : mais c'est la clef d'Eze! Ma réponse est toujours la même : "Tout à fait, celle d'un Eze qui fut mais qui n'est plus..." André Aicardi me fournit la joie d'être contredit.

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Xavier Cottier
Rédigé par Xavier Cottier le Jeudi 20 Octobre 2005 à 22:01
Notes Philosophiques ou Voyage en Anachronie -