Notes Philosophiques ou Voyage en Anachronie -

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Mercredi 6 Septembre 2006
Masque presque mortuaire....
Masque presque mortuaire....
Le livre m'était tombé des mains.

D'autres l'auraient peut-être brûlé.

Mais j'étais alors bien jeune et sa relecture me valut tant de joies que je voudrais tenter de voir en quoi Eze où, nous a-t-il dit, il eut l'intuition de son Zarathoustra, a influencé son oeuvre.

Inévitable dans une classe de philosophie, Nietzsche était connu par moi pour deux raisons. La première : son passage et sa courte résidence à Eze. La deuxième : son influence décisive sur le siècle à l'orée duquel il disparaît dans ce que l'on a nommé la folie.

Il meurt en 1900. Connaissant la suite, on ne le blâme pas...

Il est le moins germanique des philosophes allemands et sans doute le plus grand par l'influence qu'il exerça sur tout ce qui suivit.

Chacun, à commencer par sa soeur Elisabeth, tenta de résumer sa pensée protéiforme en s'en emparant pour la réduire à une peau de chagrin qui, comme toute entreprise simplificatrice, conduit aux généralités et, donc, aux exclusions.

Le Nietzsche qui arrive à Eza se sent ici grec, italien et il a raison.

La première influence d'Eze sur Nietzsche peut être découverte dans sa poésie où, tel Icare, il brûle ses ailes à la confrontation du surhumain - ce qui le dépasse - et de la nature - ce qui le transcende mais le détruit.

Je citerai ce court passage de "Parmi les Oiseaux de Proie" qui nous donne le vertige comme lorsque nous nous trouvons au bord des falaises d'Eze :

"-Mais toi, Zarathoustra, Tu aimes aussi l'abîme, semblable au pin! -Le pin agrippe ses racines,là où le rocher lui-même regarde dans les profondeurs en frémissant - il hésite au bord des abîmes,où tout autour de lui tend à descendre...."

Puis l'ami Nietzsche semble vouloir nous expliquer pourquoi il aime Eze et y a trouvé son inspiration. Le "Gai Savoir" nous révèle son secret :

"...-nous avons l'habitude de penser en plein air, en marchant, en sautant, en grimpant, en dansant, le plus volontiers sur les montagnes solitaires ou tout près de la mer, là-bas où les chemins même deviennent problématiques".

Il nous a parlé du "ciel alcyonien" d'Eze et voilà que dans sa "Généalogie de la Morale" une clé ouvre un si bel hommage que je crois rendu à Eze :

"Pour ce qui en est, par exemple, de mon Zarathoustra, je ne veux pas que l'on se vante de le connaître si l'on pas pas été quelque jour profondément blessé, puis, au contraire, profondément ravi par chacune de ses paroles : car, alors seulement, on jouira du privilège de participer à l'élément alcyonien d'où cette oeuvre est née, on se sentira de la vénération pour sa resplendissante clarté, son ampleur, sa perspective lointaine, sa certitude."

L'allusion me semble claire.

Puis notre passant affirme son appartenance à ce qu'il vit ici en clamant dans son "Coup d'Oeil sur l'Etat" :

"Les artisans du Sud sont actifs, non par désir de profit, mais par le besoin constant des autres."

De retour, il rédige ses "vieilles et nouvelles tables", partie elle aussi décisive de son "Ainsi Parlait Zarathoustra" qu'Eze lui inspira.

"Je suis assis là et j'attends, entouré de vieilles tables brisées et aussi de nouvelles tables à demi écrites..."

"C'est du soleil que j'ai appris cela, quand il se couche, du soleil trop riche : il répand alors dans la mer l'or de sa richesse inépuisable, _ en sorte que mêmes les plus pauvres pêcheurs rament alors avec des rames dorées! Car c'est cela que j'ai vu jadis et, tandis que je regardais, mes larmes coulaient sans cesse. -"

Enfin, cette vision prophétique si fréquente chez Nietzsche et qui s'adapte à Eze comme la pierre d'angle à l'édifice :

"Celui qui a acquis l'expérience des anciennes origines finira par chercher les sources de l'avenir et des origines nouvelles. -

..."Car le tremblement de terre _ c'est lui qui enfouit bien des fontaines et qui crée beaucoup de soif : il élève aussi à la lumière les forces intérieures et les mystères."

Puis l'homme s'éteindra dans cette folie qui n'est pas celle du XXe siècle mais bien plutôt celle qui précède et accompagnera au tombeau des hommes comme Louis II de Bavière ou Gérard de Nerval. D'eux, au moins, il reste une oeuvre.

Celle de Nietzsche, passant par Eze, nous rattache au monde. Ce monde contradictoire qui tente par l'esprit de sauver ce qui reste à sauver.

Il est navrant de constater qu'Eze n'est l'hôte d'aucune manifestation de nature à encourager de telles initiatives mais au contraire se vautre dans la facilité.

Mais Nietzsche apaise ma désolation en me disant :

"...la culture véritable, dans sa lutte, laisse à l'écart les institutions, et son meilleur instinct lui fait pressentir que, pour elle, il n'y a là rien à espérer et beaucoup à craindre."


Xavier Cottier
Rédigé par Xavier Cottier le Mercredi 6 Septembre 2006 à 23:35
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