Notes Philosophiques ou Voyage en Anachronie -

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De Balzac, de l'Honorabilité et des Apparences

 

ou le Comte Putatif

 

    Une ténébreuse affaire. Le cadre - cette Troisième République encore frémissante de toutes les révolutions qui précèdent, la "grande" puis les autres -, les acteurs : notables méfiants certes mais plus soucieux de la forme que du fond, l'unité de lieu : notre Comté où rien ne se faisait sans que le nouvel impétrant n'ait essuyé le crible sévère des salons de Nice et  de Monaco le nouvel impétrant.

            Les noms seront tenus sous silence car, peut-être, l'habile aigrefin a des descendants.

            Mon Dieu, pourtant, qu'ils sont méfiants! Il ne suffisait nullement à tout "étranger" de présenter à Eze bonne mine, biens ou recommandations. Notre homme avait les trois. Et un titre : il est le Comte de la C.

            Il est mondain, entreprenant, vu dans toutes les réceptions et écouté.

            Le 13 janvier 1911, lors de l'élection municipale nationale, le Comte de la C. est élu au conseil municipal d'Eze.

            Une semaine plus tard, jour pour jour, une dame B. demeurant au 107 de la rue Ordener à Paris écrivait à Monsieur le Préfet des Alpes-Maritimes. La missive n'est autre qu'une dénonciation en bonne et due forme qui, nous le verrons, n'était nullement calomnieuse.

            Le représentant du pouvoir, puis le maire de la commune d'Eze et ses habitants apprendront toute la vérité au moyen d'une "Communication aux électeurs d'Eze" que le premier magistrat du village s'empressa de diffuser largement afin d'édifier la population et se priver des services du malandrin.

            De fait, le comte n'est pas comte. Son nom de famille est Q., C-M de son prénom. Il est né au Havre le 8 mai 1874.  Madame B le qualifie d'apache car, dit-elle, de 1892 à 1900 "...il n'a exercé qu'un seul métier, celui de souteneur, et il est bien connu comme tel dans le monde spécial de Montmartre." Edifiant, le mot n'est pas trop fort.

            Nous verrons plus tard comment le bougre a pu obtenir sans risques le titre flatteur.

            M. Q., non content d'être maquereau, avait des activités de gigolo. Ainsi, déroba t il un collier à une dame K., anglaise et d'âge canonique, lui permettant ainsi de se "refaire". Madame B. se trouve être la soeur de l'une de ses victimes et de là son empressement à exercer sa vengeance. La malheureuse, morte et reposant au cimetière de Passy, était allée jusqu'à mettre le blason - vrai quant à lui - de la famille dont il avait usurpé le titre et les armes. C'est de ses deux villas de la Mer d'Eze, le "Roc-Saphir" et "Côte d'Azur" que le comte putatif avait fait imaginer aux notables locaux qu'il pourrait, en raison de ses nombreux contacts parisiens, constituer un parfait élu d'Eze.

            Le véritable Comte de la C. a pu s'en expliquer. Les archives du Parquet de Paris, au dossier (correspondance) numéro 95.971 comprennent sa déclaration laquelle démontre que le noble vieillard sans ressources s'était vu proposer la somme de 100 francs s'il consentais à reconnaître comme étant son fils le dénommé C.M. Q.

            Et c'est à cet instant que Balzac intervient. Non seulement il usurpa ainsi légalement le nom et le titre, mais obtint l'incroyable, l'inespéré. La propre mère de "l'apache" épousait le vrai Comte de la C. le 3 novembre 1904.

              Et c'est ainsi que l'élu est mort civilement. Il s'agit donc bien de Balzac, de l'honorabilité et des apparences.


Xavier Cottier
Rédigé par Xavier Cottier le Vendredi 21 Octobre 2005 à 21:53
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