Notes Philosophiques ou Voyage en Anachronie -

L'Histoire

Lundi 17 Octobre 2005
New Page 8

Le Rattachement de Nice à la France  (II)

"On ne détruit que réellement que ce qu'on remplace."

Napoléon III

 

(Article précédent)

I Les Questions (suite) :

Nous l'avons vu. Les faits historiques sont à prendre en compte. Mais également les mentalités, en un mot le quotidien des deux protagonistes d'alors.

Les avocats de l'annexion mirent en avant - et a posteriori en général - l'argument de la langue. Le Niçois, dérivé du Provençal, justifierait à lui seul le rattachement à la France de ses locuteurs.

Cette affirmation n'est pas seulement erronée mais elle a pu être démontrée dangereuse. Se souvient-on de l'annexion des Sudètes par l'Allemagne en 1938 sur le fondement des germanophones de Bohême et Moravie? Ainsi, le Provençal qui n'est pas une langue nationale française mais régionale ferait que Nice est naturellement française. Dès lors, quid de l'Alsace et de la Lorraine, de la Belgique, de la Suisse et du Luxembourg? Les deux premières devraient être allemandes et les suivantes françaises? Mais, de même, une partie des Belges ne parle-t-elle pas l'Allemand? Il convient donc de l'affirmer, la langue n'est pas un critère d'appartenance. Ce, d'autant plus, qu'en 1860 et pendant tout le siècle qui a précédé, si le niçois est langue du quotidien, elle n'est pas celle des actes de la pratique, des communications commerciales écrites et des récits.

Enfin, la langue Niçoise est très largement autonome du Provençal au moment de l'Annexion et a suivi son propre cursus, détachée de la fixation définitive de la langue des Félibres par les Mistral ou Daudet.

Extrait du Journal du capitaine Ludovic Figuiera, 1788 (Collection XC)

 

Ainsi, le jeune capitaine Figuiera, écrit-il son journal de bord en italien. Nous sommes en 1788. 

Acte de cession du droit d'usage de la fontaine publique d'Eze du 1er juin 1851- Collection XC

De même, parmi beaucoup d'autres, cet acte de 1851, rédigé en langue italienne.

Les signes :

Argument rarement considéré : les Niçois auraient-ils contresigné leur annexion à la France par fierté de contribuer à l'Unité Italienne?

Chez eux, nul irrédentisme populaire, manifestations de foules en faveur d'une intégration au grand voisin gouverné sous la forme d'un empire libéral somme toute avenant. En revanche, la "question" qu'ils connaissent bien est celle de la formation d'une grande Italie dont le monarque ne serait autre que le chef de la Maison de Savoie. Pourquoi ne pas envisager celle de Bourbon des Deux-Siciles? Dès lors, la question de 1860 aurait, sans doute, été posée à la Sicile qui compte une présence "franque" de plus d'un millénaire et qui fit l'objet de maintes invasions françaises.

Voilà pourquoi. Le nouveau représentant de la Maison des Deux-Siciles, le roi Ferdinand III, meurt en 1859. François II, son successeur, saisissant de faiblesse, est bousculé par les troupes de Guiseppe Garibaldi qui, le 11 mai, prennent Marsala. Le 6 septembre, c'est le tour de Naples, l'armée du Nord rejoignant les garibaldiens et autres insurgés siciliens pour éviter la création d'un royaume séparé de l'Italie.

Il en est sorti la proclamation du Royaume d'Italie à Turin le 18 février 1861. Victor-Emmanuel II inscrit ainsi dans le marbre le fait patent que l'unité italienne a été le fruit des efforts du royaume de Sardaigne et de la Maison de Savoie.

A ce stade, il convient d'affirmer un fait, lui aussi, peu évoqué. Le Comté de Nice ne fut jamais ce petit état enclavé, si ce n'est fermé, composé d'un peuple insouciant et non informé. La vraie guerre, politique et militaire, qui fait rage en Italie est parvenue aux oreilles et consciences niçoises. Le niçois de la rue, comme celui des allées du pouvoir, est la témoin au quotidien des affrontements entre les revendications autrichiennes, pontificales et locales. Celle de la France : Nice et la Savoie, prix du soutien au nouvel état italien, n'en est qu'une parmi d'autres et la capitale de notre niçois est bien toujours Turin. On y fait ses études (Malausséna y fit son droit), du commerce, on y a des cousins et des amis. Au mois d'avril 1860, Nice se sent italienne plus que jamais. Son maire pense, parce que Sa Majesté le lui a confirmé, que le dernier verrou vers la Grande Italie, demeure cette question du rattachement du Comté à la France. Le vote qui en résulta est le fruit, lui aussi, de cette conviction.

Plus important encore. Le Traité publié par le Moniteur le 30 mars 1860, est avant tout un "contrat intuitu personae". Ce fait n'est pas important, il est CAPITAL.

(Le "Moniteur" - 30 mars 1860 - Collection Xavier Cottier)

 

I Le Contrat des Peuples :

Un traité, texte figurant au sommet de la hiérarchie légale dans le monde entier et singulièrement en France, revêt, en général, deux natures.

Ratification d'un état de fait, il fait peu cas de la conscience des peuples et, ce, parce qu'il est signé après une guerre ou d'une occupation. Les frontières sont tracées au cordeau, passent au milieu des langues et des communautés, sans souci de la réalité des échanges et de l'histoire. Il fait partie, en ce mois d'avril 1860, d'un passé quasi médiéval.

Le second, est un contrat. Il correspond davantage au "droit de cité" romain et dépend exclusivement de la nature et de la qualité des peuples et de ceux qui les gouvernent.

Il s'agit bien de cette dernière situation en cette milieu du XIXe siècle. Tout d'abord, la personne de Napoléon III. Disons, au passage, comme il est triste de constater combien la France dans son ensemble, ne tenta pas d'instruire les nombreux mauvais procès qui lui furent faits après la défaite de Sedan. Ils lui valent toujours de reposer en Angleterre. Le neveu de Napoléon Ier reposant chez ses geoliers! Plus grave, même en 1860 l'on ne sentit pas la moindre véritable gratitude nationale pour le ci-devant Prince Président, devenu Empereur éclairé, alors que sa diplomatie donna à la nation deux irremplaçables sources de richesses de tous ordres : le Comté de Nice et le Duché de Savoie.

Les niçois gardent, en général, un bon souvenir de l'occupation française d'après Thermidor et le Général Bonaparte, l'italianisant, contribua à insuffler de la conquête et de l'héroïsme sur une terre qui s'endormait quelque peu. Puis, "la paille au nez" étant devenu Empereur, Roi d'Italie, etc. ils voient se dessiner les traits d'une Europe en mouvement.

Trente-cinq ans plus tard, le personnage du Prince Louis-Napoléon est considéré avec intérêt par les niçois. Son cursus italien - ne fut-il pas membre des "carbonari" -, le rétablissement de relations normales avec le Roi de Sardaigne puis la contribution de l'institution de celui-ci en Roi d'Italie, la nature même du régime qu'il a édifié, soit l'Empire Libéral, font que son image est familière, pour ne pas dire amicale.

Les notables niçois ne sont pas plus réservés mais, disons, plus prudents et il est avéré qu'il faudra rien de moins qu'un empereur et un roi pour convaincre François Malausséna d'apporter son poids politique à l'entreprise de l'Annexion.

Puis, vint le temps de la défaite. Napoléon III à l'instar de son oncle illustre, succombe à une bataille et avec lui la France. Ce n'est, peut-être, qu'à partir de 1871 que Nice se sent française de cœur, avec le regret à l'âme de penser à rejoindre l'Italie naissante. Le lien, cette touche d'intuitu personae si importante, est rompu. Ce manque de lien explique le NON français à l'Europe de 2005. Car qui a dit :

"L'important, c'est que le gouvernement, quelle que soit sa forme, s'occupe du bonheur du peuple." ? Le Prince Louis-Napoléon en 1839.

Qui a dit : "Le gouvernement n'est pas comme l'a proclamé un économiste distingué, "un ulcère nécessaire" ; mais c'est plutôt le moteur bienfaisant de tout organisme social." ? Le Prince Louis-Napoléon en 1839.

Qui a dit? "Quant aux réformes possibles, voici celles qui me paraissent les plus urgentes : admettre toutes les économies qui, sans désorganiser les services publics, permettent la diminution des impôts les plus onéreux au peuple ; encourager les entreprises qui, en développant les richesses de l'agriculture, peuvent donner du travail aux bras inoccupés ; pourvoir à la vieillesse des travailleurs par des institutions de prévoyance ; introduire dans nos lois industrielles les améliorations qui tendent, non à ruiner le riche au profit du pauvre, mais à fonder le bien-être de chacun sur la prospérité de tous." Oui, toujours lui.

 

 

 

Napoléon III sur son lit de mort

 

 

 

 

 

   

  

 


Xavier Cottier
Rédigé par Xavier Cottier le Lundi 17 Octobre 2005 à 12:55
Notes Philosophiques ou Voyage en Anachronie -